De la pluie. La première fois que j'en voyais depuis mon arrivée ici, sur ce jeu plus vrai que nature. Enfin jusqu'ici, je ne l'imaginais pas si parfait ; même les aléas du temps avaient été respectes à la lettre, calqués sur le monde réel. De la pluie, de la pluie virtuelle. Une idée folle qui me semblait brillante. Mais quel contact pouvait-elle avoir? Le même que dans le vrai monde sans doute, mais je voulais en avoir le coeur net. Machinalement j'avais pris mon parapluie en main, soigneusement rangé à côté de la porte d'entrée, puis hésité, et finalement étais partie avec, savait-on jamais. Je voulais ressentir cette découverte, retrouver celle que j'aimais, qui me ferait sentir que je suis en vie. Car depuis la chance inespérée qu'on m'avait offerte, je me demandais parfois si je n'étais pas déjà dans l'Au-delà.
Je ne m'étais pas trompée : figée sur le trottoir, j'avais lentement levé une main pour que je puisse la voir, je l'avais tendue devant moi, paume face au ciel. Parfaitement identique. Le son de l'eau se répercutant sur les pavés, la sensation mouillée qu'elle laissait sur la peau. Tout. Je levais alors le visage en direction des nuages, le laissait quelques instants se faire submerger de gouttes qui tombaient à un rythme irrégulier et reprenais ma route, satisfaite. Je ne prêtais pas vraiment attention aux passants autour de moi, la plupart tenant une ombrelle au-dessus de leur tête, pas dans la main comme je le faisais. D'autres cherchaient à s'abriter dans leurs vêtements du mieux qu'ils le pouvaient et lorgnaient sur mon parapluie inutile. Dans tous les cas était-ce sans doute la raison de leurs regards interrogateurs. Je passais mon regard d'un visage surpris à l'autre en adressant un vague haussement d'épaule. Ma destination? Je n'en avais pas. Voyons... L'épicerie n'était pas très loin, et j'avais besoin de racheter du riz et de l'ananas. Motif valable.
Le temps d'accéder à l'échoppe, la pluie cessa comme elle avait commencé. Déception. Tant pis, j'étais dehors et trempée mais au moins j'avais un but maintenant : acheter le nécessaire, rentrer. J'avais tout mon temps et la seule chose qui pouvait me guetter était un rhume. Un rhume que celui qui marchait derrière moi ne voulait certainement pas attraper à en juger par la vitesse de ses pas. Oui il me percuta, oui je titubais un instant et manquait de tomber. Je ne disais rien, me contentais de le regarder s'éloigner et entrer dans la petite supérette : un grand, un costaud, un de ceux contre qui on ne peut humainement pas gagner au bras de fer.
"Oui, je crois..."
Quelqu'un venait de demander si tout allait bien et je l'avais pris pour moi en époussetant mes vêtements. Mais la brute qui m'avait bousculée en était le destinataire. Je n'étais pas la seule à avoir trépasser sur sa route? Je relevai la tête pour le vérifier : un fantôme. Enfin... non, cette fille ne pouvait être qu'un esprit. La tête renversée, des cheveux blancs, elle flottait tout simplement. Pourtant je ne voyais pas au travers de son corps, et elle gouttait de pluie elle aussi.
"Et...Et toi?"
J'avais essayé de lui retourner sa question de la façon la plus naturelle possible, même si elle ne s'était pas adressée à moi, quitte à être prise pour folle. Je n'étais sans doute plus à un malentendu près.