Tenue:

Qu'on placarde un message ou qu'on fasse passer une annonce, Nout avait la fâcheuse tendance à répondre « présent » sans même réfléchir. Cette soirée-là ne faisait pas exception, et c'était tout souriant qu'il s'était retrouvé à Hope Corporation, tellement ébloui par la neige (bien trop rare là d'où il venait) et les lumières qu'il avait trouvé dommage que les festivités ne se déroulent pas à l'extérieur. On ne pouvait pas tomber malade ici, si ? Quelques réflexions et regards surpris plus tard, il s'était finalement décidé à rentrer dans le hall de la tour, devinant qu'il avait plus de chance d'y trouver sa partenaire que quelque part dehors.

Une tête inconnue aurait été difficile à retrouver parmi cette foule, sans doute ; mais ce qui était amusant, c'était que Nout la connaissait trop bien, la petite tête en question. Ça l'avait même fait rire, sur le coup. Elle allait pas lui filer un coup en guise de bonsoir, hein ? Sans y penser plus que nécessaire, il avisa la jeune fille et l'aborda avec une notion toute personnelle de la discrétion et du tact.

« Hey Lolaaaaa, j'ai un cadeau pour toi ! »

Et puis pourquoi pas lui mettre la peluche d'ours blanc en plein dans la figure, histoire qu'elle voit à quel point il était doux.
Pourquoi pas.

Nout réussit à attraper le paquet que lui lança Lola sans le faire tomber comme le dernier des abrutis ; hop, on échappe à la catastrophe dès la première seconde, et c'est plutôt pas mal. Un sourire aux lèvres, il l'observa sous toutes les coutures comme s'il s'était agi d'un trésor quelconque et hocha la tête. Elle pourrait pas savoir s'il jetait tout mais bon, ça aurait été du gâchis ; et il était à peu près certain que ça ne se faisait pas de se débarrasser des cadeaux. En plus, il y avait de la neige dehors et tout le monde avait l'air content autour d'eux – à peu près : on allait pas bousiller la bonne humeur. Merry Christmas. Tiens, pensa-t-il avec amusement puisqu'un rien suffisait à lui tirer de joyeuses pensées, c'était la première fois qu'il fêtait Noël !

Et c'était son premier cadeau de Noël aussi. Moment important de sa vie, aussi virtuel qu'il puisse être.

« Merciiiii ~ Je les mangerai tous en espérant que t'auras pas ma mort sur la conscience. »

Y'avait peu de risques. Il laissa planer son regard sur Lola avant d'ajouter, comme subjugué par une soudaine et inattendue révélation :

« Eh, elle est sympa ta robe ! »

En même temps, elle ne risquait pas de venir déguisée en ours. Quoiqu'en y pensant, il aurait aussi trouvé ça pas mal. Ils étaient canons tous les deux ! Tiens, il se demandait comment avaient pu s'habiller les autres. Et puis où ils étaient ? Peut-être qu'ils étaient restés admirer la neige dehors, eux aussi.

En fait Lola voulait peut-être vraiment le tuer au final ; parce que si ses gâteaux étaient pas empoisonnés, Nout manqua quand même de s'étouffer avec. Heureusement, les assassins involontaires n'eurent pas le dernier mot et il hoqueta une réponse incompréhensible à propos de leurs costumes assortis, la main devant la bouche. S'il était toujours capable de sortir des bêtises, c'était qu'il allait bien (seuil convenable et pertinent de d'évaluation de la gravité de la situation chez l'égyptien). Il avait même pas remarqué, tiens ! C'était cool, le rose. Plus que le noir pour une soirée ; il avait toujours trouvé triste de s'habiller aussi sombrement alors qu'on était sensé s'amuser. Ils en pensaient quoi, toutes les mines de suie autour d'eux ? Il faillit dire à Lola qu'il avait hésité avec un costume bleu ciel, mais la petite jeune fille l'avait attrapé et le forçait à la suivre. Dans un cruel manque d'instinct de survie, Nout se laissa faire, la seule pensée intelligente passant par son esprit à ce moment là étant : « elle a de la force dans les bras pour sa taille ! »

Et un trou noir à la place de l'estomac aussi, sans doute. Il chercha le lama des yeux comme un idiot. Avec un ruban autour du cou, il aurait fait illusion dans la salle ! Mais ouais, donner de la nourriture à une peluche n'était pas... Quoique...

« Tu vas prendre dix kilos en une soirée. Je le sais, je suis devin. »

Ou presque. Au pire ils s'en fichaient, ils étaient dans un jeu ! L'excuse à toutes les largesses. D'ailleurs y'avait plein de trucs bizarres, sur ce buffet...

Nout était trop occupé à observer et guetter sa partenaire du coin de l’œil (il ne savait pas pourquoi mais ça ne l'aurait pas étonné qu'elle décide de manger la moitié du buffet et il ne voulait pas louper ça – ou alors il voulait juste être serviable ou cas où elle s'étoufferait, allez savoir) pour se servir lui-même ; et au moment où il s'était enfin décidé à goûter un truc coloré et potentiellement toxique – plus ça avait l'air normal, moins c'était drôle, il aperçu Bubblegom plus loin, qui agitait le bras dans leur direction. Comme Nout était la discrétion et la douceur incarnée, il lui renvoya son appel avec dix fois plus d'énergie, manquant d'envoyer son bras dans la tête d'un serveur et dans le plateau d'un autre. Cool, Bubblegom était là lui aussi ! Et avec une fille qu'il ne connaissait pas, tiens. Bha, il finirait bien par la connaître, non ? Il ne se faisait pas de soucis.

« Hey Bubbli' ! »

Il serait bien allé le voir, il sentait que Lola aussi en avait envie : mais ce n'était pas évident de se frayer un chemin à travers les couples de danseurs. Comment est-ce qu'ils arrivaient à danser tout en parlant et portant des talons aussi hauts ? Nout avait oublié son gâteau jusqu'à ce que Lola ne lui tende un verre et qu'il se rende compte que non, il n'avait pas trois bras et qu'il ne pouvait pas tout prendre à la fois. Fichues contraintes physiques. Mais rien qu'on puisse arranger sans un peu d'habilité ; il regretta d'avoir fait de la place pour le verre, tiens. C'était dég – oûtant.

« Je pense pas que ce soit du champomy, en fait. » Fit-il en observant son verre, critique. Plutôt un truc « pour adultes », parce qu'il n'y avait bien qu'eux pour aimer boire des trucs infects toute la soirée parce que ça faisait « classe ». Les grandes personnes, hein...
Sa réflexion fut coupée par l'intervention de Noise, vers qui il tourna des yeux surpris ; puis il se mit à rire, faisant à peine attention à la remarque et au geste de Lola. Rooooh. Trop bien.

« Et t'as pas envie d'aller le voir ? Elle est cool sa peluche, elle ressemble un peu à ton lama – ah, j'aime bien sa coiffure auss- »

Mais on avait pas fini de le couper, mince ? Qu'il puisse parler et penser en paix. Surtout si c'était pour lui présenter son interface (ouiii, il le connaissait, pas besoin de lui faire faire la visite) et couper la musique. Qu'on remonte le son. Comme si ça avait pu changer quoi que ce soit et faire repartir la fête, Nout fit disparaître son interface sans un regard au bouton parasite.

« Non merci. Ils vont remettre la musique, j'espère ? »

Il commençait à avoir faim, en plus.

C'était pas cool de leur part : pas à ses yeux comme ça l'était pour la plupart des autres, mais quand même. Nout lança un regard intrigué à sa partenaire sans avoir la jugeote de se souvenir que tout le monde n'avait pas envie de rester là. Que certains avaient une famille et des amis qu'ils voulaient revoir à tout prix ; et pendant un court instant, il revit les visages de ceux qu'il avait laissé derrière lui. La bulle de nostalgie creva sans avoir pu vraiment faire effet. Il les reverrait un jour, pas besoin de s’inquiéter. Entre anesthésie et éternité, Nout avait peut-être perdu le sens des choses et la logique lui échappait. Ça ou il n'en avait jamais vraiment eu.

On était en droit de se poser la question.

« Mais non, rétorqua-t-il sans perdre son sourire, ça servirait à rien. En plus, ils ont pas l'air de savoir ce qui se passe, eux non plus. »

Sourcils froncés, Nout se laissa porter par les bruissements et les murmures, soudain soucieux. Il n'aimait pas les bugs. Et si personne ne savait ce qui se passait, c'était forcément un bug, hein ? Il contempla ses mains comme si elles avaient pu tout à coup devenir translucides – et disparaître.

Y'a d'la joie.

« Bhaaaa on va pas rester là à pleurer, quand même ? »

Il savait qu'il y aurait d'autres occasions, et cette idée, loin de lui réchauffer le cœur, le transperçait d'une incompréhensible angoisse.

Oulà, pauvre PNJ. Enfin Nout imagina que c'en était un pour ses pauvres jambes : RIP, comme ils disaient en anglais (un des rares mots qu'il avait été capable de retenir en cours – ou ailleurs, il ne savait plus trop où il avait pu l'entendre). Ses yeux noirs embrassèrent les lumières et les visages, surpris que quelques couples se soient remis à danser si vite après l'accident. La vie continue, hein ? Mais hors de question d'aller tabasser un pauvre type dans les toilettes. Ça se faisait pas. Qu'il ait un corps au bout du fil ou soit juste un assemblage de données déshumanisées.

« Je suis d'accord pour tout sauf pour le tabassage : ce serait pas super sympa. Si tu veux on peut choper tout le buffet et aller dehors. »

Il avait peur qu'elle n'arrive pas à se calmer avec autant de personnes autour d'elle – ou qu'elle envoie un nouveau coup de talons dans les jambes ou la robe d'un invité. Il voulut s'agiter et manqua de renverser ce qu'il tenait en quasi-équilibre.
Argh, il avait trop de trucs en mains.

Eh oui ; c'était pas cool, songea-t-il en observant la mine déçue de Lola, mais rien n'allait comme il fallait ce soir. Ça aurait dû être une bonne soirée, ils auraient dû manger, boire et faire la fête. Au lieu de ça, ils se retrouvaient à vouloir tabasser des filles en robes de princesse et balayer des interfaces mesquins d'un revers de la main. Enfin, Nout s'en fichait royalement de son interface et de ce maudit bouton, il serait volontiers passé à autre chose si ça n'était pas resté en travers de la gorge de sa partenaire. Comme un gros bonbon qui a du mal à passer. Il haussa les épaules, puisqu'il ne voyait pas le problème. S'énerver pour quoi, pleurer pour quoi ?

Il ne le faisait jamais, lui.

« Parce que j'espère rien, justement. Pas ça, en tout cas. »

L'égyptien reposa adroitement son verre sur la table, ne gardant que le paquet de gâteaux de Lola et le dessert qu'il avait entamé. Il n'avait jamais touché de neige, aussi synthétique soit-elle. Le soleil c'était beau, les nuages encore plus. Eeeeeh, mais où est-ce qu'il était passé, son joli sourire. Il lui aurait bien tiré la joue s'il avait eu une main de libre.
A défaut de pouvoir la faire sourire de force, il donna un petit coup dans son épaule.

« J'ai jamais fait de bonshommes de neige mais je suis sûr que je suis très doué pour ça ; et puis t'as qu'à penser que demain tu verras Bubbli. Il est sûrement plus doué que moi pour consoler les autres. »

C'était pas dur.

Si Nout avait pu lire les pensées de Lola, il aurait sûrement éclaté de rire : à défaut d'avoir eu l'idée de demander un pouvoir plus utile, il suivit la jeune fille sans rien ajouter, s'attardant sur les dorures avant qu'elles ne disparaissent totalement. C'était pas grave, y'avait pas de quoi faire un drame, et une fois la nuit passée tout irait sûrement mieux. Comme on oublie un mauvais cauchemar, elle oublierait ce satané bouton et cette soirée ratée. Enfin, ratée... Le froid le saisit à la gorge et il n'y pensa plus. C'était bien. C'était comme ça, surtout. Hey...

Et l'air était aussi frais qu'ailleurs. Il laissa ses chaussures crisser dans la poudreuse, posant ses affaires sur un monticule épais de neige. Là, bien en vue, il ne risquait pas de les perdre s'il se retrouvait avec des flocons plein la figure. Il laissa le sourire idiot revenir à la charge, entreprenant de rouler entre ses mains déjà transies des boules à la rondeur inégale et discutable. C'était pas mal pour une première fois, hein ? Mine de rien, c'était pas aussi facile que la barbe à papa. Tiens, il se demandait si...

« Hey, Nounours a retrouvé son habitat naturel ! »

Il souffla un nuage de buée qui se perdit immédiatement dans l'air. Il y avait tellement de lumières à Hope Corporation : il pouvait presque les voir pulser sur l'étendue piétinée et immaculée.

Nout écrasa une lumière bleue du plat de la main et rajouta une boule à son petit tas ; il se retourna juste à temps pour voir Lola revenir, un manteau autour des épaules. Du moins le crut-il jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il ne s'agissait ni plus ni moins d'un des rideaux qui ornaient (auparavant, de toute évidence) la jolie pièce. Il partit d'un grand éclat de rire qui résonna, comme celui de son interlocutrice au parc une certaine nuit. Il s'en fit mal aux côtes tant l'exclamation s'était échappée brusquement. Pour sa défense, il ne s'y attendait vraiment pas – et c'était une bonne idée pour ne pas finir congeler, mais Nout n'y pensait pas et se plaisait bien au froid, finalement. La maladie qui pouvait suivre, pfiout, elle n'existait pas dans son monde.

Il finit par s'étrangler sur un dernier hoquet et lança une boule de neige sur Lola. C'était sa faute, hein, y'avait pas idée franchement !

« Toi aussi t'as une bonne doudoune hein. T'es genre... super classe là-dedans. Et t'inquiète, je suis invincible. »

Il en saisit une autre.

Ouh, c'était froid ! Nout s'essuya la joue avec sa manche, surpris malgré lui de sentir l'humidité sous ses doigts. C'était pas forcément très bon pour la santé en plein hiver et sous un ciel dégagé, mais en été, il ne devait pas y avoir mieux contre la canicule. Au lieu de se vider des bouteilles d'eau entières sur la tête : son cousin l'avait fait avant de se prendre la pire punition de sa vie. Gâcher l'eau c'était mal. Aujourd'hui il devait en avoir des tonnes de litres sous les pieds.

« Nan, en fait c'est la première fois que j'en fait une. »

Il se gaussa de la manière de marcher de Lola, manquant de lui faire gentiment remarquer qu'on aurait dit un gros éléphant, mais un détail quelconque sur le sol lui fit oublier son compliment. Le temps qu'il se sorte de sa pseudo rêverie, la jeune fille avait repris la parole. Il leva les yeux au ciel et se baissa pour ramasser une nouvelle poignée de neige. La consistance le fit sourire, peut-être ? Il gardait souvent ses réflexions pour lui.

« Je sais pas, tu crois qu'on peut perdre des orteils dans un jeu vidéo ? En fait tu te souviens que tu m'avais demandé pourquoi j'étais venu ici, un jour ? »

Oui ou non, il s'en fichait, au fond. Lui, il s'en souvenait. C'était ce qui comptait. Il écrasa une boule de neige directement sur le manteau improvisé de Lola.

« Ben c'est parce que j'ai pas envie de faire comme là-bas. C'est cool. T'as dit que tu voulais faire un bonhomme de neige ? »

Il avait toujours l'autre au Caire. Là il voulait juste faire un gros bonhomme de neige et se dire que oui, cette soirée était géniale. Pas mettre un manteau.

Nout regarda les petites boules qui s'entassaient encore sur le sol, se demandant comment les faire grossir autrement que par magie. Il en prit une et se baissa pour la faire rouler, lui faisant prendre des dimensions qui auraient bien été à un bonhomme de neige nain. Il interrogea sa partenaire du regard, perplexe. Ce n'était pas drôle si ce n'était pas gros, de toute façon ! Il voulait pouvoir se tenir devant lui et lui serrer la main ; enfin, la main, façon de parler. D'ailleurs il n'allait pas avoir de jambes à proprement parler non plus, pauvre homme.

« Comme ça ? »

Puis les images de Noël entrevues dans les quelques magasines et livres de Liliane remontèrent à la surface. Un sourire en pierres et un nez en carotte. Une écharpe, aussi. Nout se remit à sourire en faisant tourner la boule de neige autour de lui.

« On pourra lui mettre une cape noiiiiiire, ça fera comme Father. »

Nout ricana, continuant de transformer la petite boule de neige en future Himalaya ; noir et vert radioactif, ça convenait très bien à un bonhomme de neige so d4rky. Dommage qu'ils n'aient pas de colorant noir : il n'arrivait pas à voir le principal GM autrement que comme un gros corbeau à l'air patibulaire. Bouh. Enfin, il ne l'avait jamais rencontré mais c'était comme ça qu'il se l'imaginait, la cape en plus. Ses doigts gourds tassèrent un peu plus la neige pour la rendre dure comme la pierre. Non, il retirait ce qu'il avait dit. Blanc, c'était très beau.

« On a qu'à trouver quelqu'un qui en a une et la lui voler. »

Il faillit rajouter « sans le tabasser ». Ne sut pas pourquoi il s'en empêcha à la dernière seconde et enchaîna plutôt :

« Ou alors on désape directement Father et on met ses vêtements au bonhomme de neige. »

Ce qui devait être la meilleure idée qu'il avait jamais eu à Euphemia, franchement. Son petit tas prenait forme petit à petit sous ses mains abîmées par mille et une bêtises d'adolescent.
Et la salade on la trouvait sur la table, facile. Si les goinfres de l'intérieur n'avaient pas déjà tout mangé.