Noël, c'était une histoire de famille. C'était pas un moment à passer entre potes, non – c'était pas un truc à fêter tout seul, sûrement pas. Une fois le petit sapin minable installé dans le salon et les cadeaux déposés sur la table face au canapé, plus question qu'un seul étranger soit aperçu dans l'appartement. Pas de Bidule, pas de Machin, pas qui que ce soit dont le nom ne soit pas Renard ; Amandine l'aurait refusé, à moins d'une exception très spéciale. Même Victoria était chez elle pour les fêtes. Considérant l'attachement de la jeune femme envers son ami, c'était assez important pour être noté. Chacun chez soi.

Sauf qu'elle n'était pas chez elle, là.

Inutile de préciser que son humeur frôlait celle d'un type envoyé réparer une fuite à Tchernobyl. A ses yeux, la situation était sensiblement la même. On l'avait coincée dans ce jeu de merde sans la moindre garantie qu'elle en sortirait un jour ; pour ce qu'elle en savait, elle pouvait très bien crever là sans jamais avoir revu le monde extérieur. Sa fille risquait de grandir orpheline, Prudence risquait d'abandonner les études pour trouver un travail quelconque, sa tante risquait de se foutre en l'air à trop vouloir les aider, l'état de sa mère risquait d'empirer. Son père allait s'inquiéter. Victoria devait pleurer.
Et elle, incapable de ne serait-ce que leur tendre la main pour les aider.
Pendant ce temps, au pays des Bisounours, devinez quoi ? On leur organisait une soirée de Noël débile. Putain de merde, quelle bonne idée. Non, sérieux. Wow. Elle crevait d'envie d'y aller. Une vraie boule de joie surexcitée.
Alors si elle avait accepté, au final, ce n'était clairement pas de gaieté de cœur – très loin de là. Elle refusait simplement de rester à se morfondre comme une idiote. Si quelque chose devait se passer ce soir-là, à priori, ce serait à cette foutue soirée. Mieux valait donc y aller. Ne serait-ce que pour surveiller, quoi. Si elle réussissait à s'amuser dans le même temps, tant mieux ; si elle emmerdait son monde à trop grogner, tant pis. Pas son problème.
D'un geste souple, Sharknado accrocha sa boule décorative à une branche du sapin déjà bien chargé. Jean bleu marine, bottines brunes, t-shirt dans les tons bleu acier et veste sombre ; elle n'avait pas été chercher bien loin pour s'habiller. Ne sachant trop quoi offrir à des gens qu'elle ne connaissait absolument pas, elle s'était dit que des chaussures feraient l'affaire : et puis, après s'être rendue compte que connaître leur pointure serait genre, comment dire, drôlement pratique pour ça, elle s'était résolue à leur en offrir plus tard. Gratuitement. Ça lui éviterait de faire des conneries jetées au bout de deux minutes parce que ça ne leur plairait pas.

Bon. Restait à les trouver, maintenant.

Avisant une petite demoiselle qui semblait attendre le déluge – comme elle, donc – la demoiselle fit la moue. Bah. Ça coûtait rien d'essayer, quoi. Elle finirait bien par les chopper.

« Booonsoir, lâcha-t-elle une fois à son niveau. Sharknado. »

Voilà. Maintenant si elle répondait « salut, et qu'est-ce que j'en ai à foutre ? » elle n'aurait plus qu'à continuer de chercher ; si elle faisait genre « ah, moi c'est Lola/Justice » eh ben bingo, jackpot pour elle.

Ça promettait d'être long, tout ça.