Les brins d’herbes frôlent nos pieds nus. La lune rouge sang hurle qu’elle nous veut du mal. Ce regard accusateur nous transperce. Mon dieu, si jamais un tel dieu existe, qu’il apaise nos souffrances d’une manière quelconque, la plus simple qui soit. On hurle à l’unisson, la lune, ma folie et moi. La folie, c’est cette douleur qui se terre dans mes jambes, dans mes os, dans mes bras, sous ma peau. Est-elle physique cette douleur ? C’est étrange, c’est comme si elle emplissait mon être, mais en même temps, on se sent si vide. Tellement vide. Trop vide. Si vide qu’en tombant, nous pourrions nous briser comme une poupée de porcelaine. Et comme cette même poupée de porcelaine, notre teint est livide, presque cadavérique. Nos dents se serrent, elles se contractent et empêchent les hurlements de sortir. Les yeux à moitié clos sous une telle torture, on tente comme on peut de voir notre chemin. On se prend des branches dans les yeux, ça griffe, ça brouille la vue. Nous sommes aveugles. Souvent, on marche sur des pierres, parfois, sur des insectes ou des brindilles, c’est surprenant ; C’est presque un soulagement,  durant un centième de seconde, on pense à quelque chose d’autre. Nos habits sont en lambeaux, déchirés par les branches croisées sur le chemin de notre course mais, nous n’y prêtons pas attention. Nos larmes perlent sur nos joues, et à intervalle régulière, elles tombent sur le sol humide. Aideront-elles un arbre à pousser, donneront-elles vie à quelque chose de grandiose ? Mais alors pourquoi ? Pourquoi ces larmes ne sèment-elles que le fruit de nos déceptions et de nos peines ?


Nos pas ralentissent soudainement, c’est la fin de l’aventure. Mais nous ne voulons pas qu’elle cesse cette histoire. Mais pourtant, il faut bien qu’elle s’arrête. Elle s’arrêtera quelque part. Mais non, on insiste, elle ne doit pas stopper se maintenant. On reprend la course. On s’essouffle plus qu’auparavant. Un point de côté nous trouble. Les pas ralentissent à nouveau, mais nous persistons malgré tout. Ce n’est pas là où tout doit se terminer. Les brindilles et les roches se font plus nombreuses, elles sont de plus en plus douloureuses, et le chemin est semé de plus en plus d’embûches. Pourrons-nous continuer ? Sûrement. Mais pourrons-nous le faire ensemble ? Si seulement. Un jour, il faudra que la folie ou moi-même nous décidions à nous séparer. Les enjambées sont de plus en plus épuisantes et de plus en plus lentes. Cela doit faire quelques heures que nous courrons ... A moins que cela fassent quelques jours. On a cru apercevoir un soleil à un moment, était-il réel ? Peut-être fantasmions-nous ? Qu’en sais-je ? Qu’en sait la folie ? A part m’enivrer, me séduire, m’être agréable, que fais la folie ? Elle danse. Elle rit. Elle vit. Elle jouit. Et moi, à côté d’elle, je fais le fier, je fais le beau, j’ai la folie, mais vous ne l’avez pas. Mais parfois, je me demande si j’ai vraiment. La folie, elle est elle et moi, je suis moi. Or, je ne peux posséder réellement que ce qui est mien, et donc, ce qui est moi. Je n’ai finalement aucune folie.


Je continue la course. La folie n’est plus là, elle m’a quitté quelques heures auparavant. Elle s’est arrêtée pour se reposer, mais la douleur, cette véritable compagne, a tenu à continuer. Qui aurais-je du suivre ? S’arrêter, c’est mourir. Continuer, c’est vivre. Faut-il continuer dans la douleur ? Je ne sais pas, mais j’ai dû faire un choix. Un choix difficile, mais j’ai continué malgré tout. Les branches ne paraissent plus être dérangeantes. Les roches au sol, tout comme les brindilles, ne semblent plus être des obstacles. Mais pourtant, la douleur est toujours là, elle continue avec moi. Et maintenant, je ne me sens plus vide. Je sens de la bonté, et autant de haine à ses côtés. Et si je tombais maintenant, ça serait à la manière d’une matryoshka. Plus petit, plus résistant et prêt à me relever.


D’ailleurs, je m’écroule maintenant. Non pas à cause de la fatigue, mais grâce à la paix. Je vois le bout du tunnel. Le lac arrive. Il est là. Je me laisse plonger dans ses bras froids mais réconfortants. Il m’accueille. Ni douleur. Ni folie. Juste moi. Seul dans ces eaux. En plus de la bonté, de la haine, je découvre une personne différente. Plus forte. Quelqu’un sorti des épreuves de ces bois. Peut-être que cette personne saurait faire la part des choses et trouver les bons chemins à présent. Finalement, s’être perdu n’était pas une si mauvaise chose. Pour se relever, il faut apprendre à tomber. Mais en attendant, restons un peu dans le liquide noir du lac, il est réconfortant, et malgré sa température basse, je le trouve chaleureux.




La lune reste rouge, mais là où je suis, elle ne pourra jamais m’atteindre.