Alors que le voile sombre de la nuit s'abattait sur le serveur –  doux stéréotype que le crépuscule en un lieu aussi lugubre – une jeune femme se hâta vers le bâtiment du bar. Se guidant avec sa canne blanche, les yeux fermés et les cheveux au vent, son pas devient progressivement plus lent mais reste élégant. Douceur au milieu de tous ces ivrognes qui extériorisent tout ce qu'ils ont pu boire ces dernières heures. Naturelle et peu impressionnée, elle reste de marbre face à tous les commentaires qu'ils peuvent lui lancer. Posant sa main libre sur la poignée pour ouvrir la grande porte du bar, c'est ainsi que cette histoire commence.

L'atmosphère est lourde, composée principalement d'alcool. Les mélanges sont intéressant, si l'air n'était pas aussi pesante ça aurait pu être agréable. Cherry s'avança timidement vers le comptoir, faisant attention de ne percuter personne. C'était difficile pour elle malgré ses sens développées. Sans sa canne, elle aurait probablement étalé la moitié des clients présents. Elle est incroyablement maladroite parfois, ce qui lui demandait une concentration en plus.
Les mains sur le comptoir, légèrement penchée en avant, elle passa sa commande d'une petite voix hésitante. Elle avait eu le temps de réfléchir à ce qu'elle allait boire. Habituellement elle se contentait d'un thé de n'importe quelle saveur, mais là c'était différent. Elle n'avait pas envie d'attirer les regards – même si c'était déjà le cas – en un lieu pareil. « Un rhum cerise s'il vous plait. » Le barman acquiesça et se mit au travail tandis que la jeune femme alla se trouver un tabouret de libre. Elle en trouva un à l'écart du troupeau d'homme sans qu'il soit si isolé que ça. Le juste milieu à vrai dire. Elle s'assit avec délicatesse avant de remettre en place sa légère robe blanche.

Pianotant du bout des doigts, comme si le temps allait avancer plus rapidement, elle se contenta de patienter en silence. Attentive et curieuse, elle écouta les quelques discutions qui animaient le bar. Rien de réellement intéressant en soi. Son verre de forme triangulaire se fit poser devant elle. Elle hocha la tête pour remercier l'homme puis tira sa boisson vers elle. Un liquide d'un rouge pur remplis à ras bord et décoré d'une cerise. Elle le porta à ses lèvres pour boire une première gorgée, lente et savoureuse. La chaleur de l'alcool mélangé au sucre caressa doucement sa gorge. C'était une sensation qu'elle avait presque oublié.
Cherry est du genre à devenir accroc à certaines boissons ou aliment. L'alcool, le thé et les sucreries pour résumer. Ce n'est pas comme pour les alcooliques, elle ne ressent pas un besoin vital d'en avoir. Elle les associe juste inconsciemment à des moments agréables. Rien de mal, non ?
Elle joue avec son verre, l'index tournant dessus. Elle est dans son monde. Dans sa bulle. Comme si rien ni personne ne pouvait l'atteindre. Puis un bruit attire son attention. Qu'est ce ? Des bruits de pas. A en juger le bruit et la lourdeur, c'est très probablement un homme. Ça se rapproche rapidement … dangereusement... Une connaissance ou un inconnu ? Un ivrogne ou un nouveau client ? Mystère...

Le temps s'arrête, le souffle se coupe. La voix d'un homme qui prend la parole. C'est à ce moment là qu'entre en jeu son don d'observation auditif et olfactif. Contrairement à ce que les gens peuvent penser, un handicape peu devenir une force. Il n'est pas rare d'entendre les gens converser à propos d'un sixième sens, mais avant d'en avoir un nouveau faut-il déjà maîtriser les autres. L'homme sait s'adapter. Cherry voit. Elle est aveugle, mais elle voit. Avec ses délicates mains agiles, son ouïe affinée et son odorat expérimenté. Sans vue, certes, pourtant en une seule et unique phrase elle pu identifier quel type d'homme il était.

A sa manière de parler, il devait être assez jeune sans trop l'être. Peut-être un peu plus vieux qu'elle mais restant dans la vingtaine. Sobre, ça c'était sûr. Il ne portait pas l'odeur de l'alcool sur lui et parlait de manière claire. De même, la provenance de sa voix la renseigna sur sa taille. Elle ne pouvait évidement pas en connaître la valeur exacte mais savait qu'il était bien plus grand qu'elle. Il ne semblait pas hostile, cela lui suffisait pour le moment.

Un charmant sourire elle lui adressa, détachant son cocktail sucré de ses lèvres. Amusée par le fait qu'ils devaient être tous deux les seuls clients capables de réfléchir convenablement elle passa silencieusement une main dans ses longs cheveux pour coincer une de ses mèches derrière son oreille. Elle n'avait pas encore répondu. Effectivement elle le faisait languir. Lui debout planté près d'elle qui devait probablement trouver ces dernières secondes un peu longues. Sauf si celui-ci avait une patience en or.

Elle n'allait pas lui interdire une place, chacun est libre de choisir où il souhaite s'asseoir. D'un côté elle se sentait même rassurée d'avoir une présence autre qu'une bande d'hommes sentant le vomis et la gnôle. C'était un peu comme si elle s'imaginait pouvoir se cacher derrière lui en cas de problème. Étrange oui. Elle ne le connait pas, elle ne sait pas qui il est. Il pourrait même être pire que cette bande d'ivrogne. Mais pour l'instant elle préférait le considérer comme une personne amicale. Et si ce n'était pas le cas, mauvaise idée que de refuser sa présence.

Relevant légèrement son nez pour passer sa tête de l'autre côté, faisant balancer sa chevelure rousse, elle afficha un second sourire en sa direction avant de lui répondre d'une voix douce. « Pas du tout, je t'en prie. »

Le temps lui avait paru long malgré le fait que seulement quelques secondes s'étaient écoulées depuis la venu de l'homme. C'était dû au fait qu'elle n'avait aucune notion du temps. Elle savait juste que la nuit avait déjà prit le dessus depuis une ou deux heures. Concernant ce sujet elle se reposait toujours sur les autres, parfois obligée de demander fréquemment l'heure. Mais quelle heure était-il exactement ? Elle ne souhaitait pas le savoir, elle voulait juste profiter d'un instant de répits sur cette île de barbare.

Elle se mit à siroter lentement de manière à profiter un maximum de ce genre de boisson dont le prix est exorbitant. Elle n'avait pas particulièrement soif mais c'était agréable. Chaud et bien sucré. Il devait y avoir un ou deux ingrédients en plus car – comme pour la plupart des cocktails – l'alcool ne se sentait pas vraiment. C'était une sorte de jus de fruit piégé aux apparences inoffensives, destiné à être bu de manière gourmande et rapide pour finalement ruiner le client. Elle n'était pas dupe, mais s'en fichait pas mal au final.

Le niveau sonore de la taverne augmentait progressivement. Lorsque celui-ci diminuait légèrement, il y avait toujours quelqu'un pour briser la venue du calme. Pourtant la jeune femme n'avait pas choisit sa place par hasard. Personne n'allait venir les déranger où ils étaient . . . Ou peut-être pas d'ailleurs. Qui peut savoir à l'avance ce qu'il allait se passer ? En tout cas, pour le moment ils avaient la paix. Toujours aussi souriante et agréable, elle prit l’initiative de commencer une conversation. « Le bar n'est pas l'endroit le plus calme du quartier, mais au moins dans ce coin nous pouvons apprécier une boisson sans être coincé parmi ces hommes, non ? » Un léger rire chaleureux s'échappa sans permission avant qu'elle ne se cache timidement derrière son verre. Ne dit-on pas que l'alcool met environs cinq minutes pour monter à la tête ? Six pour être exact. N'importe quelle persuasion inconsciente est plus puissante que n'importe quelle loi de la physique. Quand on boit, on sait qu'on est mal. Surtout lorsque l'on n'a pas l'habitude.

A peine avait-elle reçu une réponse qu'un bruit de talon vint attirer son attention. A la consistance de la chaussure et le bruit léger qui s'en échappait elle en conclue rapidement qu'il devait s'agir d'une femme. Cela signifiait alors qu'elle n'était plus la seule à avoir osé s’aventurer en cet antre typiquement masculin ? C'était plutôt risqué, mais elle avait surement ses raisons tout comme Cherry. Elle était curieuse mais pourtant elle ne se posa pas trop de question. Les hypothèses étaient multiples, ça n'en valait pas réellement la peine d'y accorder trop de temps

Jouer la comédie, elle ? Jamais non. C'est une fille adorable et vraiment gentille bien qu'un peu trop propre sur elle. On pourrait croire qu'elle cache un terrible secret, mais qui le sait ? Elle est sincère et naturelle. Et quel avantage allait-elle tirer d'être hypocrite face à un inconnu ? Aucun. Elle voulait simplement profiter de cette soirée. Boire. Faire connaissance. Ce genre de choses.
Il n'y a pas que sur Euphemia que les bars sont des endroits de rencontre. Les MMO, les Jdr papier, les livres, le films ou tout simplement la réalité... C'est un peu l'ANPE des voyageurs. Tout et n'importe que peu s'y passer, surtout n'importe quoi en fait.

Quelque chose lui traversa l'esprit : Elle ne s'était même pas présentée. C'était difficile pour elle de s'adapter. Dix-huit ans où l'on se présente sous son nom puis son prénom pour au final abandonner tout ça pour un pseudo. Il lui arrivait parfois de faire des lapsus à ce niveau là, mais elle se reprenait rapidement. C'est la première règle de base pour se faire des amis, ou du moins généralement. « Au fait, moi c'est Cherry. » Elle l'avait prononcé avec son parfait accent écossais, comme toujours. Cela faisait toute la différence d'ailleurs par rapport à la prononciation français.

Elle fit un second premier pas. Qu'avait-elle à perdre après tout ? Malgré sa timidité elle fit cet effort. Elle n'avait jamais eu de vrais amis dans sa vie passée, personne à qui se confier, personne avec qui construire de vrais souvenirs. Elle le regrettait et avait décidé de remédier à ça. C'était probablement une bonne occasion.

Elle  mit quelques secondes d'hésitation avec de poursuivre timidement « Et toi ? » Allait-elle savoir son nom ? Allait-elle pouvoir sympathiser avec lui ? Elle l’espérait en quelques sorte.

Un bruit sourd et lourd – répétitif – fit vibrer le sol et les meubles du bar. Cherry pu le sentir sous ses doigts et en conclu qu'il devait s'agir de pas. Mais pas n'importe quels pas, des pas de quelqu'un de gros, ou grand, ou les deux même. Son hypothèse reposait sur un personne imposante ou une obèse. Mais elle ne fut pas perturbée par sa venu ni par le silence gêné qui s'installa quelques secondes.
Slumber, un drôle de nom. Ou plutôt un drôle de pseudo. Elle avait sentit son sourire dans sa phrase, une pointe de confiance même. Ça ne l'étonnait pas du tout, on a souvent plus envie de se confier à une douce voix aux apparences fragiles et inoffensives. Surtout si elle présente un handicape. Après tout, que pourrait-elle faire ?

Qu'allait-elle faire après ça ? Probablement rien, ou peut-être un petit tour, une aventure dans une ruelle sombre pour faire battre à la chamade son petit cœur faible, la visite d'une ruine, ou rentrer dans son motel miteux déprimer dans son grand lit crasseux. Elle ne savait pas trop, elle hésitait. Mais elle pouvait l'accompagner oui, elle adorait parler avec quelqu'un, même un inconnu. Elle n'a jamais supporté la solitude, surtout depuis que son frère est partit sans elle.
La fin de sa phrase attira particulièrement son attention : « J'ai terminé ce que j'avais à faire ici. » Parce qu'il n'est pas venu ici pour boire ou se détendre … ? Était-ce un détective ? Un espion ? Elle s'imagina quelques secondes des petits histoires farfelues à ce sujet avant de revenir à la réalité.

Le jeune homme prit soin de commander deux shot d'un célèbre breuvage assez fort. Elle n'en avait jamais bu, mais curieuse elle décida tout de même de participer – même si son verre n'était pas encore vide – juste pour le principe... Alors qu'elle allait accepter elle sentit – et entendit - Slumber s'écrouler en arrière. Sentir oui. Elle ressentit une sorte de vent s'écarter d'elle pour laisser place à un bruit fracassant. Une mine inquiète, elle voulu se pencher au dessus de lui pour lui demander comment il allait mais une présence gênante se trouvant devant elle. Le fameux colosse. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait autour d'elle. Tout se passa trop vite pour elle. Un nouveau bruit se fit entendre en direction de la sortie. Ils allaient se battre ? « Je vous en prie, vous n'allez tout de même pas vous battre ? » Elle ne savait même pas à qui elle s'adressait.

Elle se leva de sa chaise tout en attrapant sans difficulté sa canne rétractable. Elle se dirigea maladroitement vers l’extérieur, faisant tomber au passage quelques chaises dans sa hâte. Elle réussit à se frayer un chemin – sa taille fine lui était bien utile dans ce genre de situation – puis s'approcha du jeune homme. Elle tâta du bout de sa canne le sol jusqu'à atteindre Slumber. L'embout en plastique l'avait à peine touché au coude. Elle se baissa à sa hauteur, posant sa main libre sur son bras, pour lui chuchoter : « Relevez-vous doucement de manière naturelle, et à trois on court. » L'idée de s'enfuir comme ça l'amusait. Elle cachait d'ailleurs difficilement son sourire qui pouvait malgré tout être interprété comme un rictus naturel.

Elle tenait toujours son bras, de manière ferme mais sans lui faire mal, pour pouvoir courir avec lui sans problème. S'il acceptait bien sûr... Elle tapota doucement de son index sur sa peau.

1 … 2 … 3 …  

Tapis dans l'ombre, un silence glacial s'installa. Doute, anxiété, angoisse... C'était la lourde atmosphère qui régnait sur les lieux. Le cœur fragile de la donzelle battait de manière irrégulière et rapide. Elle essayait de respirer le plus calmement possible tout ne reprenant son souffle, ses mains devant ses lèvres pour étouffer le bruit.

Tel un animal à l'affut, elle releva la tête lorsqu'elle entendit les bruits de pas de l'homme qui les poursuivait. Ils étaient lointain mais son ouïe était excellente, plus poussée que la plupart des gens. C'était naturellement dû à son handicape, l'humain s'adapte automatiquement. Elle pouvait entendre des bruits éloignés que la plupart des gens ne remarquent pas. C'est assez pratique pour écouter une conversation.
Mais la n'était pas la question. Qu'allaient-ils bien pouvoir faire ? Aller dans un bâtiment abandonné était apparemment la seule solution. Elle acquiesça pour le suivre et monta ce qui semblait être des escaliers. Elle se pressa un peu, mais pas trop. Étant assez maladroite, ce n'était pas du tout le moment pour trébucher. Elle entra dans le hall de la bâtisse puis se guida en effleurant les mur du bout des doigts. Elle en fit le contour pour entrer dans une autre pièce, puis une autre …et encore une autre... pour pouvoir se cacher.« Autant se placer le plus loin possible, il va bien finir par abandonner, non ? »

Elle était attentives au bruits et surveillait qu'il la suivait bien. Elle alla s'asseoir dans un coin lorsqu'elle se pensa hors de danger. Elle ne savait pas du tout où elle était, mai à l'odeur l'endroit était probablement poussiéreux et fermé depuis un bon bout de temps. Elle préféra ne toucher à rien, ne risquant pas de faire du bruit et d'attirer l'attention sur eux. Elle avait imaginé cette fuite un peu plus drôle, elle était à la fois déçue et désolée. « Je ne sais pas ce qu'il te veut, mais il à l'air de t'en vouloir. J'espère qu'au moins je n'ai pas empirer ta situation.» Elle parlait toujours d'une voix douce, mais basse. Elle serrait sa canne contre elle, prête à se relever si besoin. Elle s'en voulait un peu, mais de quoi exactement, elle ne savait pas. S'ils n'avaient pas fuit, que ce serait-il passé ? C'était de toute manière trop tard.

Un léger grincement se fit entendre : la porte d'entrée venait d'être ouverte. C'était sans doute Longsilver, des pas lourds sans aucune discrétion. Il avait commencé à les chercher dans toutes les pièces, de manière furtive. Cherry priait intérieurement  pour qu'il ne les trouvent pas. Elle se releva doucement et se tourna vers Slumber – ou du moins la où elle pensait qu'il était – puis murmura : « Est ce qu'il y a un placard ou une autre pièce disponible depuis ici ? Si on se cache assez bien, nous devrions pouvoir nous en tirer. » Elle s'interrompit quelques secondes et baissa le regard d'un air inquiet. Elle afficha une petite moue puis poursuivit. « J'aimerai qu'il n'y ait pas de blessés... »

Elle tripota nerveusement ses doigts en l'attente d'une solution, se sentant un peu inutile et faible. Elle n'aimait pas la violence et préférait l'éviter.