Avant, je m'appelais Alice Lindley mais comme ma mère m'avait menti sur mon père, j'ai finit par m'appeler Alice O'Neal. Hayden, lui, il m'appelait Hysteria alors c'est le nom que j'ai choisi pour Euphemia. La première fois que je me suis connectée avec ce pseudo j'avais vingt ans et maintenant j'en ai vingt-et-un. Je suis née en Angleterre mais mon père était Irlandais et j'ai vécu presque tout ma vie dans son pays. J'habite actuellement à Hope Corporation. Pour y gagner ma vie, je danse avec du feu; je suis une artiste de rue. Hayden me dit souvent que j'ai un don. Un truc qui permet d'inverser les flux; comme le courant d'une rivière ou le sang dans le corps. Sauf que j'arrive pas à l'activer. Je sais pas comment ça marche. Hayden est le seul à savoir quoi faire mais il dit que c'est trop dangereux alors c'est comme si j'avais pas de don, finalement.

J'ai des yeux rouges et de longs cheveux blancs mais c'est parce que dans la vraie vie j'étais albinos. Maintenant, à Euphemia, je n'ai plus besoin de lunettes. Je ne mets pas de parfum mais mes vêtements sont imprégnés d'une odeur de menthe mélangée à l'odeur de mon shampooing aux épines de sapin. Je mesure un mètre soixante-cinq pour cinquante-quatre kilos. J'ai des jambes de papier; je trébuche, tombe, perd mon équilibre en permanence. Pourtant je ne sens pas ma chute; la douleur ne m'atteint que peu voire pas du tout dans certaines situations. Les égratignures, les mains abîmées, les bleus un peu partout, ça c'est moi. Je suis insensible à la chaleur; à force d'être avec du feu en permanence, j'ai fini par m'habituer. J'ai ce tic désagréable de me mordre le bout de l'ongle de mon pouce droit.

Qui es-tu ? Hayden. C'est quoi un Hayden ? Mon nom. Ça sert à quoi un nom ? A t'identifier, à se rappeler de toi. Moi aussi j'ai un nom ? Pas encore. Ça veut dire que tu vas m'oublier ? Si tu veux je peux t'en donner un. Et ce serait quoi alors mon nom ? Hysteria. Ça veut dire quoi ? C'est ton nom. Et tout le monde m'appellera comme ça ? Non. Juste ceux qui savent qui tu es. Je suis qui ? Hysteria.

Je ne comprenais pas. Mes propres parents ne voulaient pas entendre mon vrai nom. J'ai essayé de leur crier mais ils me souriaient bêtement et m'appelaient Alice. C'était moche, comme nom. Ce n'était pas moi ! Pourquoi est-ce qu'ils obstinaient à m'appeler par ce nom qui ne me convenait pas ? Hayden disait que tous les adultes étaient comme ça. Qu'ils donnaient à leurs soi-disant possession un nom sans leur demander lequel était le leur. J'ai trouvé ça ridicule. Tous les jours un peu plus que la veille, je les trouvais ridicule. Pas parce que je me croyais supérieure ou quelque chose du genre. Juste parce que Hayden m'apprenait à me comporter de la sorte. Il y avait pourtant une personne avec qui Hayden ne disait jamais rien; ma sœur, Selena. C'est vrai, on s'entendait bien. On jouait beaucoup aussi et je l'aimais plus que n'importe quel autre humain. Mais elle ni personne n'égalerait le bonheur que j'avais quand je parlais à Hayden.

Quand je parlais de lui, on me disait que j'étais folle, que j'étais sûrement malade ou que je me faisais des idées. Alors on m'a emmené voir un monsieur qui disait être docteur. Sauf qu'il me posait plein de questions bizarres auxquelles je n'avais aucune réponse. C'est Hayden qui me soufflait tout bas ce que je répétais naïvement. Le docteur nous a renvoyé de son cabinet. Je crois qu'il avait été vexé. Hayden vexait toujours les gens qu'il méprisait. J'aimais bien, je trouvais ça drôle. Mes parents, eux, n'appréciaient pas beaucoup de comportement et ne voulaient pas entendre que ces paroles n'étaient pas de moi.

Je croyais que ces jours-là étaient douloureux. Que lorsqu'ils m'engueulaient, c'était difficile à vivre. C'était sans compter ce dernier jour où j'ai vu mon père. J'étais descendue, la veille de Noël, accompagnée de Selena. Peut-être qu'on verrait monsieur Noël avec un gros ventre et qu'il nous donnerait tout de suite les cadeaux ? L'espoir dans les yeux, on est arrivées devant la porte du salon et notre déception fut grande. Il n'y avait pas de gentil monsieur. Juste Papa et Maman qui se battaient parce qu'apparemment Papa n'était pas mon vrai Papa. Et Maman m'a emmenée avec elle et sa valise. Est-ce que j'étais une valise moi aussi ?

On est partis en Angleterre avec ce qu'elle appelait mon nouveau Papa. Hayden ne l'aimait pas. Alors j'avais décidé de ne pas l'aimer. Et je me suis même forcée à le détester. Puis il n'avait pas le droit de prendre le même nom que mon Papa. Lui il s'appelait Philippe. Papa c'était Papa. En plus Philippe il habitait loin. Il habitait dans un endroit avec plein de moutons. On faisait des pulls avec leur laine et Hayden et moi on avait même une grande praire pour jouer. Sauf que Selena et Papa me manquaient. Alors ce n'était pas des jours heureux.

Philippe était gentil, c'est vrai et j'avais tout ce que je voulais mais ce n'était pas drôle. Parce que je me sentais seule. A l'école, les enfants ne m'aimaient pas parce qu'ils pensaient que j'étais folle. Comme quoi Hayden n'était qu'un monstre, qu'il était différent, que parce que j'étais amie avec lui je ne pouvais pas être amie avec eux. Je me suis sentie triste là aussi. Pourtant quand j'y repense aujourd'hui, j'en ris. Hayden n'a jamais été une invention, un ami imaginaire ou une autre part de moi-même. Hayden était Hayden. Il n'y avait pas d'autre explication. Hayden était son nom. Il me suffisait.

Même maintenant, Hayden est avec moi. Même lorsque je suis passée à Euphemia, il est resté présent. Quand à mon anniversaire, j'ai reçu ce casque, Hayden était là. Il avait toujours été là, d'aussi loin que je m'en souvienne. En arrivant à Euphemia, Hayden m'a expliqué ce que j'avais à savoir. Parce qu'il comprenait ce que ces gens disaient, moi je n'écoutais pas. Rester coincée dans ce jeu me convenait. Ma vie ne m'intéressait pas et je n'avais jamais aimé Philippe au même titre que ma mère me décevait. Je n'avais pas d'amis non plus et Hayden était avec moi. Alors tout allait bien. Si il n'y avait pas eu ce problème de me sentir morte. Le froid, la chaleur, la douleur, rien ne m'atteignait. Comme si je pouvais tomber dans un bassin de glace d'un plongeoir de vingt mètres en feu, ça ne changerait rien. Mon corps saigne, brûle, c'est vrai. Mais je ne sens rien. Parfois j'ai peur de disparaître..