• On a tous un passé :
"Plus jamais papa ! Plus jamais j'y retourne, je veux plus les voir !"

Un hurlement retentissant dans le minuscule appartement du Bronx où la famille Silver vivotait. Ce hurlement, celui, rageur et désespéré d'une petite fille de dix ans à peine. Cette petite fille, faiblarde, tremblante, à la tignasse blanche, se nommait Amanda. Une petite jeune fille à l'aspect si pur et si simple qui se retrouvait le visage en sang sans raison apparente. Ce jour là avait été le dernier de sa vie en tant qu'humaine parmi les autres. C'avait été le jour de trop, la moquerie de trop, la persécution de trop. La raison n'est toujours pas très précise même aujourd'hui mais, il paraissait normal pour certains de maltraiter la petite fille faiblarde et étrange du fond de la classe. C'est marrant, de la traîner dans les toilettes à la récré, de lui balancer tout le contenu de son petit sac au visage, de lui mettre la tête dans les toilettes et de tirer la chasse, ignorant les coups sur le bord de la cuvette et le sang qui se mélange au nettoyant wc. C'est marrant d'ignorer les hurlements et les larmes. C'est moins marrant quand le souffre douleur n'est plus là par la suite.

Depuis son entrée dans le grand monde de la scolarité, Amanda n'avait eu que très peu de répit, son héritage génétique pathologique l'y avaient empêché. La forme d'albinisme qu'elle tenait de sa mère faisait d'elle un monstre, une chose anormale, et inacceptable en société. Alors elle était peut être très sérieuse, très gentille, très intelligente, peu importe : tu n'es pas comme les autres, tu ne sera pas acceptée, jamais. C'est donc à dix ans que la jeune fille mit un terme à ces années de souffrances, refusant de mettre dorénavant le nez dehors, au grand dam de son père, qui ne pouvait pas se permettre de s'occuper d'elle quand il avait tant de soucis à gérer. Sa femme, la mère d'Amanda, avait besoin de soins réguliers et passait dix mois sur douze à l'hôpital. Et ce n'est pas avec un salaire d'employé d'une libraire qu'on peut payer les meilleurs soins aux Etats Unis et entretenir une enfant qui vit à la maison.

Fort heureusement, le sort de la jeune Amanda fut pris en main pour quelques années, grâce à la bonté de sa tante, soeur de son père, Mlle Silver, enseignante à domicile. Elle même avait souvent insisté pour qu'Amanda n'aille pas à l'école, sentant une certaine tension entre sa nièce et le monde en général. Mais son père supposait à tort qu'elle vivait bien son intégration dans la société. A tort.

La petite Amanda évolua alors parfois seule chez elle, dévorant des tas de livres, se passionnant pour la littérature, ne voyageant que grâce à internet et à ses livres, profitant au maximum de ses cours à domicile avec sa tante. On peut vivre bien, quand on est seul chez soi, mais le propre de la solitude, c'est qu'elle peut nous peser. Passer son adolescence dans la solitude, considérant son père que comme un "inconnu vivant chez elle" et n'osant visiter l'hôpital qu'une à deux fois par an, de peur du regard des autres, tout cela ne fut pas bénéfique à la jeune Amanda. Faible et renfermée elle était et elle resta. On ne peut se forger de carapace qu'au contact des autres et si cette carapace est nécessaire, son absence aggrave la peur de l'autre au fil des ans. Néanmoins, dans cette situation, les contacts à distance sont une bénédiction qui efface la solitude.

Lorsque la demoiselle atteint ses dix-sept ans, sa tante lui annonça de but en blanc qu'elle ne viendrait plus : son éducation était terminée, et elle devait s'occuper d'autres enfants. Qui plus est, elle n'était même pas de New-York, et faisait l'effort de venir l'aider tant qu'elle le pouvait, après tout, elle était sa nièce. Mais elle ne pouvait plus : elle fatiguait, vieillissait. "Tu vas devoir te débrouiller" lui dit-elle d'un ton froid " Et prendre sur toi, ma p'tite." Elle avait toujours été un peu brusque bien que compatissante, mais ce coup de pied au derrière qu'aurait dû être cette sentence ne fut qu'un renvoi au fond de son trou pour l'adolescente qui ne mit plus le nez dehors, même pour aller à l'hôpital.
Ça n'était pas seulement dû à la remarque de sa tante qui, avec le recul, n'est violente pour personne à part Amanda. Cela coïncidait avec l'événement le plus important de la vie d'Amanda, qui se faisait alors appeler Taxim en ligne : elle rencontra Nikita. Pas en chair et en os, grands dieux non ! Toujours sur internet. Jamais dehors, jamais. Et Nikita... Elle était tout ce que Taxim aurait voulu être, tout ce dont elle avait besoin, elle était fascinante, envoûtante, tellement forte et belle. Des jours, des mois passèrent, jamais Taxim ne se lassa d'elle mais, en revanche, elle doutait de la considération de la russe à son égard. Tant qu'elle lui parlait, après tout, ça lui convenait. Tant qu'elle existait pour elle. Elle ne vivait plus que pour lui parler. Le monde n'attendait pas après elle, mais Taxim attendait après Nikita, toujours.

Mais s'il y avait quelque chose de plus difficile à cerner que Nikita, c'était bien le futur et le destin. Et lorsqu'il frappa à la porte de Taxim, elle fut perdue, désespérée. Son père, qu'elle ne voyait presque jamais tant il cumulait les petits boulots, vint un jour, au beau milieu de l'après-midi, lui annoncer que l'état de sa mère s'aggravait, qu'ils devaient payer un meilleur hôpital, et qu'elle, Amanda, ermite de dix-neuf ans, devrait trouver un travail et se fondre dans la masse. Immédiatement après le départ de son père, elle joignit Nikita, en larmes, désespérée, et lui parla de tout. Et à la plus grande surprise de l'américaine, la rouquine lui proposa un marché, qu'elle accepta immédiatement sans la moindre discussion. Nikita promettait les meilleurs soins pour sa mère, lui payait tout, et lui permettrait de vivre, en contrepartie, Taxim devrait la rejoindre sur Euphemia, ce monde virtuel pour lequel Taxim avait reçu une invitation plus tôt dans la journée, et être à son service, quoi qu'elle lui demande. Tax', qui n'avait pas pris le sms d'annonce au sérieux, revit son jugement. L'amour et le désespoir ne font pas toujours bon ménage, et Taxim s'y engagea corps et âme.

• Ton arrivée à Euphemia et ta réaction :
Pour une personne prompte à rêver, ne se permettant de vivre qu'en ligne, le monde d'Euphemia avait tout pour plaire à Taxim. Elle revoyait tous les mondes fabuleux qu'elle avait imaginés dans ses livres. Elle avait suivi Nikita sans discuter, acceptant toutes ses lubies et ses projets étrange. Elle avait appris à servir, et profitait de sa place auprès de Nikita autant que possible. De nombreuses fois elle avait douté, parfois elle avait envisagé de partir, notamment lorsqu'elle lui imposa le port d'un uniforme assez dérangeant, dans son travail au Bacchus et en tant que domestique mais, rapidement, Nikita l'avait senti et lui avait servi sa dose d'intérêt qui suffit à sa loyauté. Car cette loyauté est indiscutable et infinie.

Après son installation chez Nikita, Taxim eut à cœur de se donner corps à âme dans son travail de domestique, et au bar. Peut être ainsi arriverait-elle à toucher réellement son cœur un jour. En attendant, tout ce qui comptait était la préservation de la russe, et de pouvoir la satisfaire. Car si elle venait à la laisser tomber, qui sait ce qu'il adviendrait de la jeune Taxim.