Inspire, expire. La sensation du filtre contre tes lèvres est comme une délivrance alors que tu sens la fumée de ta cigarette s’engouffrer dans tes poumons. Alors qu’elle te brûle la langue et la gorge. C’est désagréable. Un peu, pas assez. Pas assez pour te faire arrêter, pas assez pour que tu daignes l’écraser. Tu n’avais jamais réellement aimé ça, fumer. Au fond, tu avais commencé uniquement par l’influence de tous ces drogués avec qui tu trainais, dans une autre vie. Mais peu à peu, ça s’était établi comme un besoin, une envie, une entrave que tu t’étais toi-même infligée. C’est con. Un peu, pas assez.

En soi, tu n’as pas le temps, ni la nécessité d’y penser. On pourrait même dire que tu n’en as rien à cogner. L’air revêche, les mains enfoncées dans les poches arrières d’un jean serré, la tête relevée, tu fais claquer tes bottes sans l’ombre d’un remord contre le sol pavé du quartier malfamé. Le respect ? Connais pas. Au fond, ça aussi, tu t’en cognes. Notamment parce qu’au vu de l’effervescence des lieux, personne ne prendra le temps de remarquer le bordel que tu fais. Et que par conséquent, aucun crétin ne viendra te les briser. Non, c’est loin d’être le jour pour. Aujourd’hui tu veux juste boire à t’en pourrir le foie, t’amuser, rigoler, finir avec assez de verres dans le nez pour te réveiller le lendemain sans te rappeler de ce qu’il s’est passé. Avec un homme, ou pas. Ca fait d’ailleurs quelques temps que tu ne t’es pas permise une quelconque aventure que ce soit. J’le vis pas trop mal, étonnamment.

Mais tu n’as pas le temps d’y penser. Pas maintenant. Pour l’heure, l’essentiel est de trouver un bar. Un bon, un discret où tu pourras te faire offrir des verres à coups de sourires en coins et vue plongeante sur décolleté. Opportuniste ? Un peu, pas assez. On a tendance à me voir comme une traînée. Tu t’en balances. Volontiers. Tu profites de ta vie, au diable les préjugés.

Cependant, là n’est pas la question et tu as vite fait de jeter le cadavre de ta cigarette alors que tu arrives aux alentours du bar où tu as l’habitude de te perdre pour une jolie cuvée. Ton pas se presse, un peu, pas trop. Ralentit, accélère à nouveau. Tu la connais cette tête rouge. Tu la connais cette tronche insolente qui arbore la même couleur de cheveux que toi. Et tu souris, imperceptiblement, légèrement. Un sourire en coin, qui en dit long. Autant que le sien à vrai dire. Et tu accélères, encore, pour aller t’arrêter près de lui et lui jeter un regard en coin, avant de tout simplement lâcher :

« Tu n’as pas peur de te faire mal, parmi tous les vilains garçons ici ? »

De la provocation. Pure et dure. Mais il le sait. Il te connaît. Un peu, pas assez.

Il parle, beaucoup. Un peu, pas assez. Pas assez pour t’amuser, pas assez pour t’impressionner. Bien que ce ne soit pas ce qu’il cherche à faire en soi. Au final, il ne cherche qu’à t’attaquer comme tu l’attaques. Et toi tu souris, tu souris face à sa provocation, face à cette façon qu’il a de s’amuser avec toi comme tu t’amuses avec lui. Au final cette soirée promet d’être riche aussi bien en conneries qu’en…Acrobaties. Ce n’est pas plus mal, toi qui « ruminait » intérieurement ta libido contrariée, un peu plus tôt.

Mon joli minois ? « J’ai écrasé des poissons plus gros que toi, chaton. » En soi, ce n’est pas réellement un mensonge. Pas trop. Ton travail t’as souvent obligée à casser des gueules mais il n’était pas rare que tu en finisses toi-même amochée.
Tu soupires, croises les bras sur ta poitrine en balayant de tes pensées ce petit accès professionnel avant de river ton regard dans celui de ton interlocuteur, qui n’a pas hésité à se rapprocher pour te narguer. Allons bon, tu as tendance à oublier qu’Arzel est une grande bécasse. Un peu, juste assez. Nouveau sourire, tu fermes les yeux un moment, puis hausses les épaules avec nonchalance pour ensuite à nouveau le regarder. « Tu devrais avoir honte de me plumer. »

Tu t’en contrefiches à vrai dire. Que tu sois celle qui paie ou pas, que tu dépenses ton argent dans une consommation un peu trop abusée d’alcool, tu sais bien qu’il finira par se faire pardonner son « insolence » à la fin de cette soirée. Et il commence déjà, à vrai dire, dans un élan de galanterie qui te fait ricaner alors que tu glisses à nouveau tes mains dans les poches arrières de ton jean. Tu souffles sur l’une de tes mèches venues encombrer ton visage, les sourcils froncés, et inspectes les lieux sans réel intérêt avant de te tourner vers lui, l’air faussement blasé. « Moi qui espérait que tu aurais au moins l’audace de m’emmener boire dans un endroit mieux que ça. »

Ce n’est que de la provocation. Pure et dure. Rien que ça. Parce qu’il doit le savoir, que tu te fous éperdument des endroits où tu traînes tes fesses. Que tant que tu bois, tout te va. Mais aujourd’hui, spécialement plus que d’habitude, tu as envie de le pousser à bout. Un peu, pas trop. Juste assez pour voir jusqu’où il peut aller. Et tu souris, encore. Un sourire en coin que tu lui décoches et qui une fois de plus en veut dire long, avant d’aller jusqu’au comptoir où tu t’installes, l’air revêche.