Nout
Dreamland
Messages : 322 Date d'inscription : 07/09/2013 Localisation : On peut s'arranger.
| Sujet: Nout ; » ... « Dim 22 Sep - 23:56 | |
| ❝Nout | ✗ Comment tu t’appelais ? Haji Massari. ✗ Tu as choisi quel pseudo ? Nout. ✗ Tu as quel âge en fait ? 15 ans. {21/06/2010} ✗ Tu viens d'où ? Le Caire, Égypte. ✗ Tu veux aller sur quelle île ? Dream Land. ✗ Tu fais quoi dans la vie ? Clown et amuseur public. (danger ambulant, aussi) ✗ T'es un super-héros ? ...
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» Mémorisation Physique. ✗ La couleur de tes yeux de biche ?- Spoiler:
Il a les yeux noirs ; noir de chez noir. On distingue à peine sa pupille dans cette mer d'encre – qui aurait plutôt d'ailleurs des reflets acajous au soleil. Nout s'en fiche, si vous lui demandez, il dira que c'est noir corbeau. Cela dit, on avouera que peu de personnes risquent de se pencher sur son visage et le fixer jusqu'à saisir toutes les nuances de son regard. Alors il peut bien dire ce qu'il veut, n'est-ce pas ? Il aurait aimé avoir les yeux violets. Dommage que sa mère ait toujours refusé qu'il colle des lentilles sur ses précieux yeux (« Et si ça t'abîmait les yeux, comment tu ferais, hein ? »). Eh bien il mettrait des lunettes, cette question. Comme il présente de toute façon un début de myopie, ça ne l'aurait pas vraiment dérangé. ✗ Et celle de tes cheveux au vent ?- Spoiler:
Bruns sans reflets, légèrement ondulés. Comme sa mère, comme son père et comme ses frères. Comme son voisin, aussi. Et toute une liste d'amis et de connaissances. Ça vous intéresse, hein ? Ils sont passés par toutes les longueurs possibles du fait de leur rapidité à repousser une fois sorti de chez le coiffeur. Présentement, ils sont censés être courts mais réussissent à faire de jolies boucles sur sa nuque et à lui obstruer la vue de temps à autre. Nout les repousse distraitement et les coiffe maladroitement ou pas du tout. Il les aime bien et ils lui tiennent chaud à la tête, mais ça s'arrêta là. ✗ Tu sens la rose ou tu pues le yack ?- Spoiler:
Avant, Nout ne se parfumait pas. Maintenant qu'il est arrivé à Euphemia, il se plaît à essayer tous les parfums qu'il trouve – volontairement ou non, puisque quand il se glisse dans l'herbe ou les arbres, il ne fait pas attention aux odeurs qui s'accrochent à lui. En général, il pue un savant mélange de plusieurs fragrances assez odorantes et qui peuvent (souvent) ne pas se marier entre elles. Quelques rares fois, il sent juste le bonbon ou la barbe à papa. ✗ Taille & Poids ?- Spoiler:
Un mètre soixante-quatorze et il ne passe jamais sur la balance. Il se juge de corpulence normale, pas maigre et pas en surpoids. Il est souple, et son crâne vous le dira, plutôt résistant aussi. On ne brise pas ses os si facilement (merci Dame Nature pour tout ce que vous avez fait pour moi). ✗ Signe distinctif ?- Spoiler:
La peau un peu foncée, les doigts et le corps remplis de cicatrices blanchâtres dont la principale se trouve au niveau de son menton, divers accessoires selon son humeur du jour. Des dents propres quoique pas parfaitement alignées. Nout a l'air un peu abimé, un peu cassé. Normal, quand on passe son temps à caracoler de droite à gauche.
» Analyse cérébrale. ✗ On n'est pas parfait hein ?- Spoiler:
Ça c'est sûr. Et Nout en est conscient. Comment ne pas l'être quand on vous a répété tout au long de votre vie que vous n'étiez rien d'autre qu'un feignant bon à rater ses cours ? Il n'est ni le frère, ni le fils, ni l'ami parfait. Il a intégré. Un peu m'en foutiste sur les bords, assez nonchalant avec sa fâcheuse tendance à tout traiter comme si rien ne pressait et avait autant d'importance qu'une chaussette, parfois détaché du monde, il n'est pas responsable et aime bien s'exclamer pour un rien quand il en a envie, ce qui lui vaut d'être traité de bruyant voire d'excentrique à tout bout de champ. Il faut dire qu'en effet, il est parfois bizarre, notre ami. Il fait des trucs dangereux sans même sourciller, pour s'amuser, et semble dénué de limites ou de perception correctes du danger. Ou pas la même que celle du commun des mortels. Et depuis son arrivée à Euphemia, c'est encore pire qu'avant : comme si le monde virtuel avait multiplié ses traits de caractère par dix. Bha, au fond il s'en fiche. Il s'aime bien comme il est. Encore mieux maintenant, même. Puérile ou non, il fait ce qu'il veut et quand il veut. Le tout, c'est de s'amuser, avec le sourire. ✗ Mais on gère la fougère ?- Spoiler:
Évidemment que Nout n'est pas une boule de défauts sans la moindre qualité. Ce serait triste, en plus d'être irréaliste. Une fois qu'on le connaît, si on a réussi à l'apprécier, le jeune homme sera plus ouvert et sympathique, peut-être enthousiaste si vous avez des points communs. Une fois qu'il vous a adopté, il ne vous lâche plus et n'hésite pas à vous rendre service. En plus de ça, il est souriant en permanence. Pas toujours gentil, pas toujours de confiance, un peu distrait, un peu bizarre, mais quand il veut bien faire, il ne le fait pas à moitié. Sa maladresse peut le rendre touchant. Et ses ennuis, il les garde pour lui, ou alors il les file à ceux qu'il déteste, mais au moins il prend soin de ses amis. Ça peut créer une distance, peut-être ? Non, le reste du temps, il est trop envahissant pour ça. Il faut malgré tout garder à l'esprit qu'il est aussi stable qu'une girouette et qu'à moins d'être très proche de lui, vous pouvez avoir de mauvaises surprises. ✗ Tu préfères les garçons, les filles, les deux, les chatons ?- Spoiler:
Les chatons, ça va de soi. Non, en fait, il n'en sait rien et il s'en fiche. Si vous lui demandez, il dira qu'il doit sûrement y avoir du bon à fréquenter les deux. ✗ Moi j'ai un rêveuuuh ?- Spoiler:
Son rêve, c'était de vivre quelque part comme Euphemia. On peut donc dire qu'il l'a réalisé en répondant « oui » à son SMS. ✗ T'as peur de quelque chose ?- Spoiler:
Nout semble littéralement ignorer toute notion de peur. Aucun animal, aucun défi, aucun risque ne parvient à le faire reculer. On attend encore qu'il se prenne le pied dans un piège à loup et retienne la leçon. ✗ Quels sont tes goûts ?- Spoiler:
Un gros n'importe quoi. Sans papa ni maman sur le dos pour réguler ses petites folies, il va s'en donner à cœur joie. Il peut faire ce qu'il veut, maintenant, non ? Dans la mesure du possible, Nout va essayer tout ce qui lui paraît bien et avec sa notion de l'amusement, les pains d'épices vont pouvoir trembler. Sa passion de la mythologie égyptienne ne va pas disparaître, tout comme son goût prononcé pour la jonglerie et les galipettes. A priori, il pourra se promener décemment vêtu le lundi et ressembler à un ours polaire rose et bleu le lendemain. Pourquoi se murer dans de vieilles habitudes puisqu'il est en plein rêve ? Un rêve éveillé. Quoi de mieux. Il fait vraiment tout ce qu'il veut. ✗ Signe distinctif ?- Spoiler:
S'il en a, il ne le sait pas. A vous de juger.
» Chargement du jeu. ✗ On a tous un passé :2025« Je vais te confier un secret. »
Il lui avait souri. Et elle avait grimacé, hésitant à lui demander de se la fermer – parce que les secrets d'Haji n'apportaient que des emmerdes. Elle le savait bien.
« Tu me fais peur.
-T'es toujours là. »
Logique imparable. Elle le laissa passer un bras autour de son cou et murmurer son satané secret à son oreille, seulement pour le repousser violemment une demi-seconde plus tard. Elle le regarda, choquée qu'il ait l'air de ne pas comprendre.
« Ça va pas, non ?!
Il haussa les épaules, ce qui donna seulement à la jeune fille envie de crier un peu plus fort.
« Pourquoi ça n'irait pas ?
-Parce que t'es complètement dingue, merde ! J'espère que t'es pas sérieux ! T'attends pas à ce que je te laisse faire ! »
Personne te laissera faire, Haji. Et si tu abandonnais la partie ? Reset, reset. Cours un peu plus sous la pluie. C'était bien ce qu'il était en train de faire, non ?
« Eh, est-ce que tu m'aimes ?
-Quoi ? »
Incertaine quant au sens des ses paroles et de ce qu'elles impliquaient, elle resta coite. Le jeune homme se mit à rire, doublant sa gêne et sa perplexité. Il s'était toujours amusé à se passer la corde autour du cou, Haji. Ce n'était pas différent des cent autres dernières fois.
« Tu diras rien. »
Ça faisait encore plus mal de savoir qu'il avait raison. Bien sûr qu'elle ne dirait rien et ne ferait rien. Liliane enfonça les mains dans les poches de son jean et grogna.
« Tu fais chier. »
Arrête de rire, bordel. Réagis.
« Je sais. »
GAME OVER Try again ?
▬ Août 2016, parc Al-Azhar, Le Caire, Égypte
L'heure était grave. Ça n'aurait pas pu aller plus mal. Jambes tapant frénétiquement le dossier du banc fraîchement repeint d'azur, le petit garçon se mit à vociférer pour la troisième fois en deux minutes à peine, s'attirant un regard noir de sa mère sans s'en soucier ; il y avait bien plus important, puisqu'il...
« Maman, je m'ennuuiiiiiiie...
-Commence par t'ennuyer en silence, tu vas réveiller ton frère.
-C'est ennuyant le sileeeeence... »
Il fit la moue pour atténuer le froncement de sourcils de sa mère, en vain. Celle-ci ne se préoccupait que de lisser la couverture du bébé qui dormait tranquillement dans son landau – d'un sommeil de pierre, Haji aurait pu le jurer, puisqu'il ne se réveillait que pour hurler la nuit, de toute façon. Un coup d’œil las au paysage et il vit la silhouette d'Ahmed et du chien, la tête en bas, se disputer le frisbee jaune fluo qui voletait d'un coin à l'autre du parc depuis plus d'une heure. Le cadet soupira bruyamment, calant sa feuille translucide à plat sur ses cuisses. Le support inégal étoilait plus la feuille de trous et de ratures que de coups de crayon orange, mais l'artiste semblait s'en contenter. Il s'y plongea même tant, bouche cousue, que Dina se sentit obligée de lui jeter un regard en coin toutes les 20 secondes, histoire de vérifier qu'il ne commençait pas à gribouiller sur le banc ou sur ses vêtements. Et elle parlait en femme d'expérience.
Le petit second était turbulent dans le sens où il lui arrivait de pousser des cris sans qu'on comprenne pourquoi – et persistait à dessiner tous les dieux de l’Égypte ancienne sur n'importe quel support de n'importe quelle pièce. Parce qu'elle savait qu'il n'y avait qu'elle que ça obsédait, elle laissa les mauvaises notes de côté dans son analyse. En revanche, elle lui aurait bien demandé de se redresser ; il allait finir par se casser le dos à dessiner dans une position aussi incongrue.
La feuille atterrie dans le berceau avant qu'elle ait pu le sermonner. Le cou de nouveau dans le vide, il eut un beau souhait pour son petit frère chéri.
« J'ai dessiné Osiris pour qu’il le reconnaisse quand il le verra bientôt. »
Dina laissa couler une gentillesse pour laquelle il s'était déjà fait punir. Depuis la naissance de Tarek deux semaines plus tôt, il avait multiplié les allusions à la mort et lancé dans son berceau toutes les représentations de dieux mortuaires possibles. Ce n'était pas comme s'il comptait passer à l'acte ou le pensait vraiment, après tout ; le chiot qu'Ahmed avait reçu pour son anniversaire subissait la même mise à l'écart, menaces et dessins compris. Une simple jalousie infantile.
Dina prit la feuille entre ses doigts, jugeant les traits maladroits et grimaçants. Derrière elle, un homme aux cheveux très noirs se pencha par-dessus son épaule pour admirer le chef-d’œuvre, la faisant sursauter.
« Mais c'est très beau dis-moi, tu t'es améliorées en dess-... Oh, eh ?!
-Désolée, j'ai cru que tu étais un pervers. »
Hassan frotta la joue contre laquelle la paume de sa femme avait injustement tapé. Haji tendit une main mécontente vers lui.
« C'est parce que c'est moi qui l'ait fait, papa !
-Ah, je me disais bien, aussi...
-Tu as terminé ? »
Hassan jeta un œil dans la direction par laquelle son collègue était parti et hocha la tête. Dina se leva immédiatement, quasi militaire dans ses gestes nets et précis, et héla son fils aîné d'un large signe du bras que le petit garçon lui rendit. Pendant que ce dernier faisait la course avec le petit berger allemand, Dina prenait des nouvelles des affaires de son mari.
« Il a accepté ?
-Bien sûr qu'il a accepté ; je pourrais persuader le pape de me vendre le Vatican avec du soleil et du chicha.
-Tu as acheté le Vatican ? », demanda Haji qui n'avait pas tout suivi, en se redressant à l'aide de ses mains.
Son père lui sourit.
« Non, c'était un exemple, peut-être un peu exagéré... (il ignora sa femme qui répétait « peut-être » en riant doucement), mais j'ai trouvé un financement de plus. »
Les termes « finances », « politique » et « économie » plongeaient toujours Haji dans l'incompréhension la plus totale. Il rejeta sa tête en arrière, perplexe et méditant la phrase de son père, quand un grand coup de langue molle lui couvrit le visage de bave. Il hurla une injure bien sentie au chiot qui agitait la queue et qu'Ahmed avait tiré en arrière, catastrophé. Il voulut se relever mais ne fit que glisser sur le côté, embrassant la pelouse verte et manquant de renverser le landau au passage, qui tangua dangereusement.
Tarek joignit ses vagissements à l'exclamation commune de ses parents.
« HAJI ! »
Bleeeeeeeh.
Les Massari vivaient dans un des quartiers les plus riches et les plus récents du Caire, bien loin des anciennes maisons et églises qui formaient la vieille ville, à l'abri de ces façades artificielles qui vous criaient que les propriétaires avaient les moyens de s'acheter quatre voitures dernier cri et peut-être autant de maisons ; la petite famille ne vivait pas dans le besoin, c'était sûr. Hassan était le directeur d'une ancienne école franco-égyptienne qui se faisait à présent un devoir d’accueillir toutes les nationalités possibles, offrant un perfectionnement des plus réputés en langue mais également en sciences et en littérature. Depuis la célèbre révolution du papyrus qui avait mis le pays sans dessus dessous durant le printemps arabe, l’Égypte peinait à se redresser et retrouver sa stabilité d'autrefois. Elle comptait encore sur le tourisme pour renflouer les caisses, certes, mais les paris étaient à prendre ailleurs : Hassan, qui s'était souvent mêlé de politique et n'hésitait pas à ouvrir le débat, pensait que son pays pouvait tenter une percée parmi les plus grands. L’Égypte avait le potentiel, il ne lui restait qu'à trouver les moyens. Quoi de mieux qu'attirer les regards et regagner une tolérance depuis trop longtemps perdue ? Dina n'était pas moins convaincue que son mari et n'était pas en reste. Elle avait beau avoir abandonné ses études en commerce à la naissance de son fils aîné, elle avait un bagage en informatique et comptabilité assez solide pour se révéler nécessaire : de plus, personne n'osait aller chercher des crosses à une femme qui avait touché à tous les sports de combat dans son enfance « au cas où on voudrait me voler mon sac ou pire » et avait cassé le bras d'un manifestant un peu trop zélé en 2011. Dina était sur tous les fronts quand il s'agissait de défendre le statut de la femme et les droits de l'Homme qu'elle jugeait base commune à tout bon pays. Sa tête nue et ses cheveux bouclés, qui frôlaient à peine ses oreilles, se faisaient à eux seuls la réclamation d'une autre vision du monde arabe.
Du reste, Haji n'avait jamais été triste chez lui – aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir. Quoique collé entre un père souvent occupé et une mère obsédée par l'ordre et la réussite (principalement scolaire, ainsi qu'en attestaient ses nombreuses réprimandes), la présence d'un frère de trois ans son aîné qui s'occupait de lui et qu'il adorait rendait le tout beaucoup moins austère qu'il n'aurait dû l'être. D'où les accès de jalousie à la naissance d'un intrus qui bouleversait un quotidien rythmé comme les aiguilles d'une horloge et l’arrivée d'un monstre poilu – quoi qu'au final, la différence était vraiment mince aux yeux du petit garçon. Ils s'accaparaient l'attention de ses proches et c'était là le fond du problème.
Mais Haji était heureux. Avec le temps, la frustration passe. Ce n'était sûrement pas ce qu'il se disait en collant un nouveau dessin menaçant au dessus de la niche d'Anubis, mais c'était la vérité. Il avait mis les poings sur ses hanches et tiré la langue au chiot qui n'y comprenait rien, fier de lui.
Rien ne peut vraiment aller mal quand on a six ans, de toute façon.
2024
Le grondement sourd qui roulait dans la gorge de la bête noire lui tira un pas involontaire sur le côté ; le corps se souvient de bien des choses. La tête d'Haji n'oubliait pas non plus. Les yeux marrons foncés contrastaient étonnamment avec les crocs luisants qui pointaient hors de la mâchoire puissante.
« Qu'est-ce qu'y s'passe, mec ? T'as peur des chiens ? »
Comme si.
Il avait fichu un coup dans l'épaule de Mustafa et était parti en riant.
▬ Octobre 2017, établissement Al Sadate, Le Caire, Égypte
« Vite, chope le ballon ! »
Quand Ahmed n'était pas là pour surveiller Haji, c'était son cousin qui s'y collait ; le petit garçon eut à peine le temps de lever les bras qu'une balle blanche et cabossée s'y nichait comme par magie. Il jeta un regard étonné à ses crayons qui avaient fatalement dégringolé de ses genoux jusqu'au sol en ciment gris.
« Je te donne 9/10, juste parce qu'à deux secondes près tu te la prenais dans la tronche. (il sentit qu'on lui ôtait brusquement le poids des mains) Tu fiches quoi là tout seul, tu bronzes ? »
Haji leva les yeux vers le visage de Mohammed, qu'il distinguait mal en contre-jour. Il avait beau n'avoir qu'un an de plus que lui, il le dépassait de 10 bons centimètres et son crâne rasé lui donnait l'air de sortir de la cité voisine ; le plus jeune haussa les épaules, sans se formaliser du ton quasi agressif de son interlocuteur. Il était toujours comme ça, Mohammed. Il vous donnait l'impression d'avoir pris trois cafés en trop et de vous chercher constamment des noises. Haji savait qu'au fond, il était plus sympathique qu'il n'en avait l'air.
« Je dessine, répondit-il en ramassant ses crayons de couleur.
-Dessiner ? Woh, mais lâche ça putain, on est pas en classe ! Viens plutôt jouer avec nous. On essaye de mettre la pâté aux irlandais là-bas. »
Il suivit la direction que lui pointait son cousin d'un menton abîmé ; Au centre de la cour, Moise (c'était ainsi qu'ils surnommaient Mohammed Nasser) et Haytham échangeaient des éclats animés avec deux rouquins qui, de loin, auraient pu être les copies conformes des jumeaux Weasley dans Harry Potter. Mohammed guettait une réaction qui se faisait désirer sur le visage de Haji.
« Je croyais qu'ils étaient anglais ?
-Raaaaah, on s'en fout, ils sont roux et ils nous font chier, c'est tout ce qui compte ! Allez, ramène-toi ! »
Traîné par une poigne de fer, le gamin fut bien obligé de délaisser les feuilles, mais pas sans avoir pris la peine de les caler sous une pierre avant de partir. Ainsi rassuré, il suivit Mohammed sans broncher, une flopée d'injures en égyptien et anglais se détachant à présent sur le fond sonore de la cour de récréation.
« Au fait, fit soudain le plus grand en se tournant vers lui, ta mère t'as pas trop engueulé pour ton zéro ? »
Haji haussa les épaules, la dispute du soir dernier ne lui revenant que partiellement en mémoire. Il avait dû rester debout longtemps, pourtant, le temps que sa mère énumère toutes ses mauvaises notes et fasse les pronostiques d'avenir qui en découlaient. De ce qu'il s'en souvenait, ça ne l'avait pas gêné. Même pas ennuyé. Tout au plus avait-il dû soupirer.
« Si, mais bon, j'ai l'habitude.
-Bha, ça ira mieux, tu verras. »
Comme s'il avait besoin d'être consolé, Mohammed lui fila une tape dans le dos qui faillit le faire trébucher. Entre temps, le duo était arrivé près des autres enfants, qui menaçaient de se sauter à la gorge en criant des injures qu'ils ne devaient même pas comprendre. La situation dégénéra et le surveillant intervint quand Mohammed se jeta sur un des « irlandais » pour lui refaire le portrait.
Tout ce qu'Haji pensa, regardant le grand baraqué tenter d'écarter quelques élèves curieux s'étant réunis pour hurler « bagarre » à tue-tête et dans au moins quatre langues différentes, ce fut que sa tante Yasmin n'allait pas être contente du tout et que c'était lui qui allait devoir donner une tape dans le dos de Mohammed dès le lendemain.
« Ça ira mieux, tu verras. »
Laissant Ahmed rire dans son coin et Tarek glousser dans sa chaise haute, Haji tapota l'épaule de Mohammed qui, penché sur ses devoirs en guise de punition, sentait encore le regard glacial de Dina planté dans son dos.
Novembre 2019 ; Le Caire, Égypte
« On sort le chien, maman !
-D'accord ! Ne vous éloignez pas trop !
-Nan, t'inquiète ! Mets ton manteau, Haji. »
Une fois le manteau jeté à terre et enfilé selon une méthode « ninja » qu'Haji trouvait très classe et bien pratique, les deux frères dévalèrent les escaliers jusqu'au hall d'entrée vitré qui laissait mourir les derniers rayons du soleil sur sa surfacer réfléchissante. L'air du soir était frais et portait des odeurs venues des quatre coins du Caire que seul Anubis, truffe levée au ciel, était capable de percevoir. Le nez maintenant collé au bitume propre de la petite rue, il menait Ahmed par la laisse rouge sans lui laisser le temps de souffler, les forçant parfois à courir pour soutenir la cadence. En trois ans, le petit chiot avait bien grandi et était devenu une bête monstrueuse. Du moins, de l'avis d'Haji ; Ahmed et ses parents continuaient à le trouver magnifique et Tarek, à part étaler sa nourriture sur son pelage fauve, ne devait pas en penser grand chose.
Ahmed freina soudain, arrachant un cri de détresse à ses baskets blanches et un sursaut à son petit frère, qui se retrouva sans comprendre avec la laisse dans les mains. Il eut beau jeter un regard mêlé de panique et d'incompréhension à Ahmed, celui-ci avait déjà commencé à tourner les talons.
« Faut que je dise un truc à papa, j'avais oublié ! Garde Anubis, okay ? Je reviens tout de suite. »
Et il disparut sans plus de cérémonie dans la semi-obscurité qui commençait à envahir les rues, laissant Haji seul avec son ennemi de toujours, lequel reniflait tranquillement un poteau électrique. Il se prit un regard assassin pour la peine. Ne pas être spécialement petit pour son âge et sauter les clôtures sans peine, voire s'en prendre quelques unes dans le ventre de temps à autre, c'était une chose ; retenir un gros chien de plusieurs dizaine de kilos, c'en était une autre. Déjà Anubis recommençait à avancer, traînant Haji derrière lui. Le cuir lui cisaillait douloureusement les mains sans parvenir à arrêter le chien dans sa progression.
« Arrête d'avanceeeeer, se plaignit-il comme si l'animal pouvait le comprendre, Ahmed m'a dit de rester là ! »
La vie avait vraiment un drôle de sens de l'humour. Alerté par un bruit quelconque, oreilles dressées dans l'expectative, le berge allemand fit un bond gargantuesque avant de s'élancer en avant. Haji avait lâché la laisse sous le coup et avait atterri contre le sol, éraflant ses genoux et ses coudes. Il eut à peine le temps de voir le bout de la laisse disparaître au premier tournant.
« Maiiiis... Sale bête... »
Il se redressa sur ses mains, ignorant les petits cailloux qui s'enfonçaient dans sa peau. Déjà le dilemme clignotait en voyants lumineux dans son esprit, ne lui laissant pas de répit. Rester là et attendre Ahmed, aller chercher Anubis ? Ce que le petit garçon se disait, anxieux tandis que ses jambes le portaient à nouveau, c'était que son frère allait se fâcher contre lui.
Il ne voulait pas qu'Ahmed se fâche contre lui.
Le débat avait duré en tout et pour tout moins de soixante secondes, minute après laquelle il s'était rué à la poursuite du chien, laissant derrière lui les lumières encore visibles de l'appartement.
« Haji ? C'est bon, on peut y all... »
La fin de la phrase mourut quelque part dans son larynx. Ahmed tourna sur lui-même dans la rue, tentant de discerner le contour des immeubles et maisons qui l'entouraient. Aucune trace d'Haji ou d'Anubis. Il siffla. Fort. Sur tous les tons.
Au bout du dixième essai sans réponse, les larmes et la panique lui montèrent aux yeux.
« Haji ! »
2024
« D'où elle vient ta cicatrice, là ? Je t'ai jamais demandé. »
Le doigt de la jeune fille suivit la courbe d'une trace blanchâtre sur le menton de son ami. Il leva yeux vers elle, surpris, et fit le même geste comme pour s'assurer de quoi elle parlait. Puis il se remit à sourire et secoua la tête.
« Un duel contre un éléphant. Je te raconte pas. Terrible. Il avait des défenses longues comme ça. »
Le garçon mima les bâtons d’ivoire aux coins de sa bouche avec ses deux index, puis se prit celui de son amie dans les côtes, le délogeant malgré lui des genoux sur lesquels il avait confortablement installé sa tête.
« Ce que tu peux être con ! »
« Anubiiiiis... »
Hors d'haleine, Haji avait laissé défiler les quartiers sans s'arrêter, enchaînant les tournants et les marches arrière. Chaque fois qu'il pensait apercevoir un bout de fourrure, il reprenait sa course, emprunt d'une énergie nouvelle. Il avait fini par se perdre. Ses jambes cessèrent de fonctionner, réclamant du repos, tout comme ses poumons brûlants. Il inspira un grand coup d'air pollué, scrutant la route sous ses pieds. Depuis quand est-ce qu'elle était aussi accidentée ? Il eut peur à l'idée d'être sorti de son petit quartier résidentiel. Moins assuré, il se força à mettre prudemment un pied devant l'autre.
Il faisait noir et on y voyait goutte. Il faillit se casser la figure à plusieurs reprises sur les déformations du terrain. Il n'avait aucune idée de l'endroit où il pouvait être ; il avait juste suivi le chien, et maintenant, il l'avait perdu. Un sanglot de rage l'étouffa, brisant le calme de la nuit. Il l'avait perdu et en plus de ne pas pouvoir rentrer chez lui et d'avoir mal aux genoux, Ahmed allait le détester. Il y avait de quoi se plaindre, la vie était vraiment injuste.
Ou pas tant que ça.
Haji sentit un grillage rouillé contre ses doigts. Il fronça les sourcils, baissa les yeux, et vit un trou dans les mailles à la faible lumière de la lune ; et prise dans ce trou, une touffe de poil fauve. L'enfant ne fut pas long à pousser un petit cri de joie et se baisser pour s'engouffrer par l'ouverture de fortune. Il s'écorcha un peu sans s'en formaliser ; sa main rencontra quelque chose de froid et de dur. Il se redressa une fois de l'autre côté, leva sa trouvaille à hauteur de ses yeux.
La laisse rouge d'Anubis.
Il fit un pas dans le vide, se figea soudain. Autour de lui, tout était noir. Et personne n'allait l'entendre crier.
« Hajiiii !
-Haji, tu m'entends ? »
Coincée à la maison, Dina faisait une crise d'angoisse à l'instant même ; elle n'avait pas arrêté de crier et de s'emparer du téléphone sans réussir à composer le numéro tant elle était agitée. Hassan avait dû lui ôter des mains et la forcer à s'asseoir pour surveiller Tarek le temps que lui et Ahmed parcourent les rues. Lorsqu'ils avaient quitté la maison, elle passait d'une pièce à l'autre en énumérant toutes les pires hypothèses à voix basse. Son fils avait été tué, violé, capturé, et elle restait près du téléphone à attendre une rançon. Inutile d’essayer de la raisonner.
Ahmed, accroché à son père, passait régulièrement la main sur ses yeux, la voix brouillée de lourds sanglots. Il n'avait pas arrêté de pleurer depuis qu'il était revenu dire à ses parents qu'Haji avait disparu avec Anubis ; les larmes n'avaient fait que redoubler quand sa mère l'avait giflé sous l'emprise de la panique. Hassan serra l'épaule de son fils et tenta un sourire rassurant.
« T'en fais pas, on va le retrouver.
-C'est ma fauuuute, j'aurais pas dû le laisser tout seul...
-Ce n'est la faute de personne, Ahmed. On va le retrouver, fais-moi confiance. »
Les reniflements pitoyables continuèrent à cogner contre les murs de la ruelle.
Il avait mal au menton et à la cheville. Chaque fois qu'il essayait de se relever, il retombait. Il avait de la poussière plein la bouche. Il ne voyait plus rien. Les lumières pulsaient inégalement contre sa rétine.
Où est Ahmed ?
Il avait l'impression qu'il pleuvait.
▬ Juillet 2022, Vieux Caire, Le Caire, Égypte
« KISUMUK ! »
Les enfants s'étaient éparpillés comme une nuée d'oiseaux agités ; en quelques secondes seulement, ils avaient traversé la rue qui menait au vieux Caire en poussant des hurlements de joie, le vendeur enragé à leur suite. Sous les yeux ébahis de quelques touristes, ils prirent tous les virages possibles et imaginables, slalomant comme de beaux diables pour semer leur poursuivant.
…
Attablés à une table à l'ombre d'un petit auvent, les trois adolescents discutaient des cours et du beau temps devant une boisson fraîche quand les passants s'écartèrent brusquement. Bordés de cris surpris, les enfants déboulèrent dans la rue qu'ils parcoururent à la vitesse de l'éclair. Deux secondes après qu'ils aient disparus par une petite embouchure, un homme ventripotent arrivait, trépignant et tonnant à qui voulait l'entendre des « voleurs » et « délinquants » entrecoupés de quintes de toux.
La jeune fille au voile noué autour de la tête se leva, manquant de renverser son verre.
« Mustafa ?! »
Le garçon à sa droite laissa tomber la paille qu'il mordillait pour donner un coup de coude à ses voisins, visiblement hilare.
« Tiens, c'est pas vos petits frères qui viennent de passer ? »
Il ignora son ami qui, atterré, avait posé le front contre la table. Il reprit, sourcils froncés dans une profonde réflexion :
« Eh Ahmed, j'suis pas sûr mais j'ai cru voir ton cousin aussi...
-Uuuuuurgh... »
…
Les enfants finirent par se jeter entre les murs de la première église qu'ils croisèrent ; tassés, à l'abri des regards inquisiteurs, ils soupirèrent de concert.
« On a eu chaud ! J'ai bien cru qu'il allait nous rattraper.
-Tu parles, il est trop gros pour tenir la distance !
-Wohohoho, Mustafa...
-Il avait qu'à pas insulter ma mère, ce connard. »
Le gamin sortit les friandises de ses poches avec un sourire jusqu'aux oreilles ; le coup de pied qu'il avait mis dans l'étale, lui, il n'avait pas pu le ramener. Contrairement à Haji et Mohammed, Mustafa et Omar habitaient des quartiers qui, sans être extrêmement défavorisés, étaient loin d'être riches pour autant. L'un était le benjamin d'une fratrie qui, hormis lui, comprenait cinq sœurs, et l'autre n'avait que sa mère à la maison : la femme était sacrée pour eux, on n'aurait su la critiquer sans se prendre un coup ou une remarque, pire encore si l'insulte visait la famille en particulier. Raison pour laquelle le vendeur de confiseries avait mis Mustafa en rogne suite à une allusion des plus méchamment colorée à sa mère et qu'il avait été loin d'apprécier.
« Non mais. »
Il lança un sac à la figure de ses amis, et dut pousser trois fois de suite celui d'Omar contre sa poitrine avant qu'il l'accepte. Celui-ci se raidissait dès que les outrages pouvaient valoir réprimandes matérielles. Un père en prison depuis des année lui suffisait.
« En tout cas t'as géré, Mustafa, c'est trop cool, fit Mohammed, de plus en plus enclin à inciter la jeunesse du Caire à emprunter les pires voies de traverse, il va réfléchir à deux fois avant de nous emmerder, celui-là. »
La grimace d'Omar n'échappa pas à Haji, qui lui sourit. Ça ou la punition allait leur revenir dans la figure comme un boomerang douloureux, il savait ce qu'il en pensait. Il y a quelques années, Haji aurait protesté. Plus maintenant.
« Haji, Mohammed ? »
La voix claire qui s'était élevée leur fit rentrer la tête dans leurs épaules. Près de l'entrée de l'église, un grand jeune homme tapait du pied, les mains sur les hanches. Mustafa jura à voix basse, foudroyant Haji du regard.
« Mec, c'est ton frère !
-Il a dû nous voir quand on courrait, plus haut dans la rue, fit remarquer Omar, soudain angoissé.
-Qu'est-ce qu'il veut, il est pire que ta mère...
-Mustafa, je sais que tu es là, et tu as le bonjour de Fatma. »
Le concerné se laissa aller contre la pierre avec un soupir à fendre l'âme. Maintenant que la grande sœur préférée était dans l'histoire, Haji ne leur donnait pas deux minutes avant de se montrer. Ils allaient devoir rendre les bonbons et s'excuser. Ou juste rassurer Ahmed. Il avait toujours besoin d'être rassuré, Ahmed.
Qu'est-ce qu'il veut ton frère, Haji ? Il est pire que ta mère.
Haji passa le bras par dessus le muret à demi écroulé et adressa un sourire à son grand frère.
« Salut ! »
Parce que c'est ta faute, tu le sais bien.
2019
Tout doucement, la porte grinça sur le rai de lumière venu du couloir. Assis dans son lit, le petit garçon tourna à peine la tête vers l'intrus qui restait collé à la porte. La compresse blanche qui lui barrait le menton brillait presque plus que la lampe de chevet. Il retourna la feuille sur laquelle il gribouillait depuis le départ du docteur. Points de suture. Bandages. Beaucoup de pleurs et de hoquets. Ça fait mal, le béton, quand on tombe et qu'on se le prend dans la figure.
T'es qu'un sale menteur, Haji. C'était ce que les yeux d'Ahmed hurlaient sans avoir le courage de le dire – il n'avait pas séché les siennes, de larmes.
« Eh... »
Il s'approcha tout doucement du lit, chercha à tirer quelque chose de ce regard qui le fuyait obstinément. Il ne l'avait pas regardé depuis qu'ils l'avaient retrouvés en pleurs dans une ruelle d'un vieux quartier.
« Dis-moi ce qui s'est passé. »
Le petit regardait ses mains zébrées d’égratignures, observant un silence résigné. Ahmed avait peur de pousser, comme son père avait eu peur de poser les questions. Mais il fallait bien que ça sorte, malgré l'appréhension.
« J'ai perdu le chien.
-On s'en fout de ça, c'est pas la question ! »
Il ne savait pas que pour lui, au contraire, c'était tout. Haji passa une main maculée de gris sur ses yeux rougis.
« Qu'est-ce qui s'est pas-...
-Tu le sauras pas. »
Merde. Il se demanda s'il s'était remis à pleurer, derrière sa paume. Parce que lui il était à nouveau au bord des larmes.
« Personne saura. »
Ahmed n'avait jamais eu le cœur arraché, mais il s'imagina la douleur semblable à une opération à vif, sans anesthésie. T'as merdé, big brother.
« Pourquoi ? »
Il voyait bien ses yeux briller, mais aucune trace sur ses joues brunes.
« Parce que ! (l'exclamation étranglée, inattendue, le fit sursauter) T'avais qu'à être là ! »
Il prit une respiration asthmatique qui se bloqua au milieu de sa gorge avant d'avoir pu atteindre ses poumons. Haji ne s'était pas remis à pleurer. Et il le regardait, maintenant, droit dans les yeux. Ils savaient tous les deux qu'ils n'y pouvaient rien, que ce n'était pas entre leurs mains que le rouage s'était grippé ; mais ils n'étaient pas prêt à se le pardonner.
Pas encore.
« T'as pas de rideaux ? »
Haji fit un signe de dénégation à son amie qui se tenait près de la fenêtre nue que les volets électriques ne couvraient jamais non plus.
« Non, j'aime bien pouvoir voir le ciel.
-Et la lumière des lampadaires, elle te gêne jamais ?
-Je me suis habitué.
-Une autre de tes manies bizarres ? »
Ce n'était même pas dit méchamment. Comme d'habitude, il se contenta de sourire et hausser les épaules.
« J'sais pas. A toi de voir ? »
Et comme d'habitude, elle soupira longuement.
▬ Mars 2024, établissement Al Sadate, Le Caire, Égypte
Coincé entre Mohammed qui jurait à travers ses dents serrées et la jeune fille raide comme un piquet, Haji suivait le mouvement du crayon entre les doigts de son père, qui venait taper le bois du bureau dans un « tac » régulier. L'horloge lui répondait en crachotant ses secondes saccadées. Tic, tac, tic, tac, tic, tac... Au bout de quelques minutes d'un pur silence réflexif, Hassan poussa un profond soupir.
« Pourquoi est-ce que je ne suis même pas étonné de vous voir là ? »
Mohammed s'agita et voulut protester ; sa voix buta contre celle de la fille en un tonnerre d'excuses et d'imprécations assourdies qui firent grimacer le quadragénaire. Haji retint un éclat de rire qui laissa un grand sourire sur ses lèvres.
« C'est leur faute à eux, moi j'ai rien fait du tout !
-Quoi ! Elle a voulu nous péter la gueule, oh !
-C'est pas ma faute si ton imbécile d'ami a failli me péter la nuque !
-C'est mon cousin, d'abord !
-Cool, ça veut dire que la connerie est congénitale !
-Je te permets pas de...
-SILENCE. »
Toutes les têtes convergèrent vers l'adulte qui avait asséné un coup de paume sonore contre son grand bureau, faisant trembler quelques crayons dans un pot en argent ciselé. Bouches à nouveau cousues, Mohammed lança une menace silencieuse. Elle lui fut renvoyée tout aussi poliment. Les mains dans les poches de son sweat, Haji attendait. Avec sa bonne humeur apparente, il détonnait contre le patchwork agacé de la scène.
« Je ne veux pas savoir qui a commencé et encore moins entendre de telles grossièretés. Mademoiselle Rousseau, qu'importe la situation, se battre dans l'enceinte de l'établissement est formellement interdit. La violence ne résout rien. Me suis-je bien fait comprendre ? »
La concernée souffla par le nez, yeux et tête baissés. Elle s'agitait dans son blouson de cuir et si son désaccord se manifestait clairement à travers son nez plissé, elle n'osa pas le formuler à voix haute. Un « oui, monsieur » s'échappa de ses lèvres à la place, pressé de clore le chapitre. Les yeux noirs du directeur voyagèrent de la fille aux deux garçons qui avaient recommencés à parler à voix basse. Ils furent rappelés à l'ordre par un sermon brutal qui les fit sursauter.
« Quant à vous deux, ce n'est pas parce que le règlement ne mentionne pas l'interdiction de glisser sur les rampes de l'escalier que vous avez le droit de le faire et de mettre non seulement votre intégrité en danger mais aussi celle des autres. Il serait peut-être temps d'apprendre à grandir un peu. »
Mohammed passa une main gênée sur son crâne rasé. A bientôt quinze ans, il savait qu'un brin de maturité n'aurait pas été de trop. Mais il retrouvait la même rengaine dans les paroles sèches d'une mère à qui il reprochait les absences de plus en plus longues d'un père blasé. Et contrairement à Haji, il n'avait aucun grand frère pour lui donner des coups de coude et tenter de le remettre dans le droit chemin. Autant de choses qui ne se devinaient pas et qui lui firent tourner la tête. Ce fut Haji qui acquiesça à sa place.
« Oui, monsieur.
-Bien. »
Ce regard fixe semblait attendre quelque chose d'eux, et que le plus jeune matérialisa par une main tendue vers la jeune fille. Elle le regarda pire que s'il avait menacé d'assassiner ses parents. Ça commençait bien.
« Je suis désolé d'avoir failli te blesser. Je le ferai plus, promis, alors tu me pardonnes ? »
Peut-être décontenancée par cette excuse de bac à s able, elle resta muette une bonne minute et demie avant d'ouvrir la bouche sur un bref silence. Jugeant que les gestes comptaient pour autant que les mots et que rester là à ne rien dire n'allait pas faire avancer les choses, elle finit par serrer sa main.
« Ouais. Okay. »
Les regards qu'elle ne cessait de lancer à la porter du bureau trahissaient l'envie qu'elle avait de la passer en sens inverse. Mohammed fut délicatement poussé devant elle par son cousin, visiblement désireux de rétablir la paix de chaque côté.
« Mohammed aussi est désolé, même si c'est un crétin congénital.
-Eh... !
-Et que je le suis aussi. »
L'insistance ou le grand sourire d'Haji eurent raison des dernières réticences des deux adolescents, qui se serrèrent la main tout en retenant des grimaces plus qu'explicites. Hochement de tête entendu, excuses soufflées plus que prononcées, et ils se se séparèrent rapidement. Haji reprit sa place entre les deux, mains derrière le dos.
Hassan leur offrit le sourire mi-figue mi-raisin d'un père qui ne pouvait pas en attendre plus de sa progéniture capricieuse.
« Bien, j'espère que ça vous servira de leçon. La prochaine fois, il n'y aura aucun avertissement. »
Il mima la lame de la guillotine avec le côté de sa main. L'allusion était claire, mais les enfants étaient libres ; ils titubèrent hors du bureau avec un long soupir.
« Purée, j'ai cru qu'il allait nous assassiner. »
Honnêtement, il n'en avait sans doute pas été loin. Haji savait qu'il en entendrait parler à la maison. Les nouvelles arrivaient bizarrement jusqu'aux oreilles de sa mère, que ce soit ou non par l'intermédiaire de son père. A croire que les murs avaient des oreilles, et qu'ils s’appelaient tous Dina Massari. La fille avait filé sans demander son reste et sans ajouter le moindre commentaire. Si Mohammed avait marmonné un « bon débarras » courroucé, Haji l'avait rattrapé en quelques foulées, sourd aux protestations du jeune homme derrière lui. Il lui barra le passage vers les escaliers, pas gêné pour un sou.
« Tu pars comme une voleuse et tu nous a même pas dit ton nom.
-J'en veux pas, grogna une voix mélodieuse de l'autre côté du mur.
-Il t'as pas sonné, tocard ! » Répliqua la demoiselle en agitant le poing dans la direction où Mohammed tapait impatiemment du pied.
Le silence dura quelques secondes, qui parurent toute une éternité aux trois protagonistes.
« Liliane, lâcha finalement la brune en ramenant ses épais cheveux en arrière, je peux y aller, maintenant ?
-Pas de problème. Moi c'est Haji. »
Il entendit le bruit de ses bottes s'arrêter un instant dans les escaliers, avant de repartir de plus belle en direction du rez-de-chaussée. Le bruit d'une porte vitrée qu'on claque termina bruyamment cette course folle. Lorsqu'Haji se retourna, Mohammed se tenait près de lui, bras croisés sur son t-shirt gris et masque de tueur à gage sur la figure.
« T'as entendu ? Elle a dit qu'elle s’appelait Lil-...
-J'en ai rien à secouer de son nom, okay ? C'est rien qu'une grognasse de plus. Allez, suis-moi, on va aller choper Haytham et Mustafa pour aller manger un truc. »
Haji se laissa entraîner à travers les couloirs par la poigne de fer de Mohammed, qui ne lui rendit sa liberté qu'une fois à l'air libre. Le soleil de midi, qui se reflétait sur le béton de la cour, leur fit plisser les yeux. Dans un coin, deux adolescents s'amusaient à reproduire à grand renfort de mouvements comiques les coups de pieds et coups de poings d'un film de combat à la mode. Lorsqu'ils virent Mohammed et Haji s'approcher, ils arrêtèrent leur pseudo pugilat pour lever bien haut les bras. Les rescapés furent accueillis par mille et une questions pressantes et de grandes claques dans le dos. D'ordinaire très fort quand il s'agissait de grossir ses exploits et les transformer en véritables récits de guerre (aucun chevalier ne pouvait alors se vanter d'avoir vécu aussi intensément), Mohammed resta étonnamment concis et évasif. Haji n'en rajouta pas. Il n'en voyait pas l'intérêt.
« Bon, vous venez ? On va se prendre un Coca. »
Une fois l'idée appuyée à l'unanimité et le portail franchi, il ne restait de toute façon pas grand chose des disputes et des inquiétudes. Haji eut tout juste le temps de se retourner avant que Mustafa ne passe un bras autour de ses épaules en faisant résonner son rire, qu'il avait insupportablement aigu.
Une silhouette toute de noir vêtue s'éclipsa prestement par la sortie opposée à celle qu'ils venaient d'emprunter.
... » Toi le geek.
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