Le jeune homme enfoncé dans son fauteuil de cuir, les jambes posée sur le rebord du bureau, regardait l’entité monstrueuse, grouillante, high-tech, qui se répandait à ses pieds. Un démon de lumière dans un ciel grisâtre, torturé, progressivement tourmenté avalé par la pollution lumineuse. Une étendue d’épines d’acier posées sur une terre de feu. Etrangement, il la regardait avec la nonchalance de l’homme d’affaire du haut de son quartier général mais il n’est pas un requin au sommet du monde, il est le rêveur au sommet de son monde.
Et il regardait, depuis ce bureau plongé dans l’ombre, la douce lumière de la ville embrasait la pièce de sombres traits jaunâtres et bleutés.
Après tout, il avait pour ainsi dire fini sa journée. L’écran en face de lui inscrivait des chiffres. Des prix. Des assemblages de lettres et de pictogrammes. Des acronymes et des surnoms. Des dates et des références antiques.
Hécate.
Il contemplait, il appréciait Hécate la déesse de la Lune et de la nuit étoilée.
Que de poésie en ce soir d’une lourde et pesante douceur.
Un éclair illumina ses yeux d'améthyste. La torture commençait, semblait-il. Pourquoi pas. Il était temps de rentrer, autrement son parapluie ne suffirait pas.
Il s’étira sans bruit, en fermant les yeux de délice, et écarta l’une des mèches violacée qui couvrait son front. L’instant d’après, Un long manteau de cuir sur les épaules, sa rapière au flanc, il quittait la pièce comme une ombre.

Sur le bureau de la pièce vide de toutes vie trônait une lettre manuscrite, cette lettre était signer par un simple "K" majuscule. De qui pouvait-il bien s'agir ? Le contenu était pourtant très explicite:

K a écrit:

J'ai du travail pour vous, retrouver moi cette nuit sur la grand place d'Hope Corporation. Rester discret.

K.

Une simple phrase couché sur le papier.
Les veines du diable n’étaient guère réjouissantes. Il s’en rendit compte lorsque l’air s’emplit du son de la pluie balayée de l’asphalte par les roues des bolides multicolores, agressant son ouïe, de même que les rayons des lampadaires emplirent son champ de vision.
Une ville en plein clair obscur…
S’il eut bien fait de sauter à la rencontre du premier chauffeur venu, son humeur était à la promenade dans ce monde hostile, semblait-il. Du moins, c’est ce que supposait son visage sur lequel se dessinait sourire. De plus au visage haineux du conducteur de la voiture qui venait de passer devant lui, comme frustré que la vie s’acharne contre lui, lui rappelait les vertus d’une hygiénique promenade. Sa rapière au flanc, il fit quelque pas dans la rue principale, et emprunta une ruelle adjacente qui débouchait directement sur la place principal. Il ressortit quelques centaines de mètres plus loin avec une dizaine de minutes d’avance sur un potentiel rendez-vous.

«  Encore et toujours en avance.  »

Il arpentait les ombres de la cité du regard en tâchant d’omettre quelques activités humaine. Il imaginait ce monstre vidée de son âme, frappée par quelques apocalypses. Il la voyait sous la pluie, vide, gigantesque un monument déchu dont les ombres mortes avaient de quoi faire peur.
Il l’imaginait sans les odeurs de ces nourritures peu saines, sans les poubelles éparses. Il l’imaginait vidée de son intérêt, de sa substance, il l’imaginait tel un corps à l’agonie dont une dernière cellule manipulait ses quelques autres consœurs qui avait pu avoir de la chance de résister à un tel cataclysme. Et, alors qu’il laissant allez son regard entre ces vieux murs de de métal, ces murs suintant l’âme humaine et ces murs neufs, vitrés, Il s’appropriait ce monde avec une pulsion sauvage, un désir d’omniprésence, qui parvint à son comble face à une haute tour. Une tour de verre circulaire, adjacente à une large rue.

Sa tour d’ivoire. Son théâtre.

Une sensation, étrange. Des bruits dans la nuit ? Non. L'étrange sensation d'être observé ? Exactement.

Enfin, nulle besoin de s’alarmer. Qui que ce soit, ou quoi que se soit… c’est un cas intéressant à étudier, Selenge le sentait. Il fit volte-face.
Le prince d'améthyste se lèche les babines à la vue de son futur interlocuteur, et pousse avec un silence inhumain la porte du tête-à-tête.
Il sourit, et pose sa main sans bruit sur la garde en fer forgé de son épée.
Une respiration régulière.
Et un contrôle total de sa part, semble-t-il.

Le prince violet, chatoyant, s’approche, marrée humaine. Courbure lente et sensuelle, révérence, une silhouette blanche que soutient quelques haillons, mécaniques, roi de lumière. Un calme méthodique surmonté d’un sourire artificiel. Dangereuse créature, roi des ténèbres ?
Le jeune homme se contente de s’emparer de la discussion.

Un son cristallin va crescendo, et les violons répondent à l’appel. Le piano les attire avec un charme ensorceleur.

Celui du concerto.

«  Je vous écrirais des romans épiques, aux histoires exquises et chevaleresques. Mais, je n’y arriverais pas. Mes textes resteront sombres et déments. Ma plume ne connaitra que le noir. Je m’en excuse d’avance. King.  »

Regard sulfureux et visage lisse. Instinct animal, s’approche et toise. Rie de sa suprématie. Ne se fait pas prier. Quelques centimètres de sécurité, frôle la peau, caresse la peau de velours, il connais son interlocuteur. King, le Héros d'Holy Sword.

«  Marchons un peu voulez-vous.  »

Quelle merveilleuse soirée, quelle poésie tonitruante.

Il le regarde, quelques secondes. Son indescriptible insensibilité. Cette froidure et cette fascination. C’est étrange, cette sensation d’être copié. Ce silence. Ces regards. Cette façon de soigner et de détruire en même temps. Ces promesses de souffrance. Sans un mot. Un peu trop… comme lui. Un mimétisme étrange. Deux être au masculin. Lumière et Ténèbres. Lui avant. Peut-être simplement il sans tare. Sain et toujours un homme.
C’est risible, tu sais.
L’identification n’apporte que déception.
Mais peut-être que tu ne sais pas vraiment. Peut-être que tu ne veux pas vraiment savoir. Peut-être que ce corps te complait finalement. Que c’est la meilleure façon de te perdre. Et perdre les autres.
Mais personne ne s’y trompe. Tu es magnifique.
Et peut-être être que ce détail ne te laisse pas autant de glace que tu le prétends.

Un pas vers lui. Ne pas décrocher son regard du sien. Vert. Et Dieu sait que tu hais cette couleur du plus profond de ton âme. Vert et tu le regardes. Il ne bouge pas, ne dit rien. Boit en silence. Tu reprends contenance, redeviens toi-même. Respires. Le mal s’est enfuit sous ton épiderme. Lui, puis, un nouveau regard vers les profondeurs. Vers les abysses. Jamais tu n’avais vu pareilles hauteurs. Tu ne connais pas le monde. Il vient à toi.

«  Savez-vous où vont les âmes ? Où elles s’effondrent ? Comment elles se délient des corps ? Comment elles s’effritent, comment elles… meurent ? Mais ça n’a plus d’importance. Elles sont là. En haut. Et elles attendent. Attendent des cadavres qui ne se relèveront pas. Des êtres qui n’existent plus. Et rêvent d’un autre rêve. Pour ne plus pouvoir se réveiller.  »

C’est désagréable. C’est vide et froid. Il n’aimes pas. Il ne bouges pas. Les yeux sont ouverts. Il respires. Les sons. C’est désagréable. Il ne supportes pas les violons d'Holy Sword.