• On a tous un passé :[…] Les pas de Stephanie faisaient ploc ploc dans les égouts. Elle se sentait tellement seule, et l’eau de la pluie l’avait beaucoup mouillée dehors. Demain elle risquera d’avoir une pneumonie, il va falloir qu’elle prenne des médicaments et mange de la soupe bien chaude. Mais il n’était pas l’heure de rêver de ça, l’heure était trop grave. Elle avait très très peur, ce qui était normal vu qu’elle était seule. Mais Stephanie devait rester forte pour chercher sa sœur.
Mais qui étaient ces hommes en noir ?, se demanda-t-elle toute seule, une main sur son nez parce que ça puait. Et qu’est-ce qu’ils ont bien pu faire à ma sœur ?
Mais elle aurait la réponse plus tôt qu’elle l’aurait cru, malheureusement.
Ayant oublié de regarder où elle marchait, sa chaussure glissa sur un truc gluant, la faisant tomber dans l’eau et glisser encore et encore. AAAAAAH, criait-elle très fort alors que le coup du sort l’avait obligé à jouer au toboggan. Pourtant tout le monde sait que Stephanie n’aime pas le toboggan.
Puis pouf, elle s’arrêta, les fesses dans l’eau dégueulasses des égouts. Ça lui faisait très mal, mais elle avait vu pire. Les jambes jouant des maracas, la fille tenta de se relever en prenant appui sur un truc mou et visqueux et bizarre … Se demandant c’était quoi, elle tourna la tête avec sa lampe de poche et vit la chose la plus horrible de tous les temps !
Sous sa main horrifiée, elle pouvait sentir des battements de cœur venant de l’œuf translucide dans lequel respirait un fœtus d’alien. AAAAAAH, cria-t-elle lorsqu’elle remarqua qu’il y’avait d’autres œufs. Sans trop savoir comment, Stephanie était tombée dans un nid d’alien, on dirait ! Mais ce n’était pas tout ! Parce que à côté des œufs, il y a avait des traces rouges bizarres ! Elle ne sut pas si c’était du sang parce que l’odeur des égouts recouvrait l’odeur du sang ! Mais c’en était, parce qu’à côté elle pouvait voir une main décapitée ainsi que des organes explo-…
« EUH. Ça va aller, Miranda ! Merci beaucoup, c’était … très bien. Tu as vraiment beaucoup d’imagination, hein … Mais on va laisser quelqu’un d’autre nous lire son texte, d’accord ?
- Mais ! Ce n’est pas fini ! Vous n’avez pas encore eut le meilleur !
- Nous en avons déjà assez entendu … Allez, à ta place … »
Miranda, petite fille de sept ans, savait très bien qu’il ne fallait pas désobéir à la maîtresse. Alors elle fit ce qu’on lui dit, se dirigeant l’air penaud vers sa place, suivie des yeux par ses camarades de classes s’empêchant de rire trop fort pour ne pas se faire gronder.
Pourtant, elle finissait bien, son histoire …
Recroquevillée dans un arbre creux, Miranda attendait, guettant l’approche de Shelley. Sa cousine avait la fâcheuse tendance à toujours partager ses pensées de vive voix, du coup ce n’était pas comme si ça allait être bien difficile.
De la boue sur son petit minois et des feuilles dans les cheveux, la fillette croyait dur comme fer en l’efficacité de son camouflage … Si Joachim voyait ça ! Enfin, non … Joachim ne pourrait justement pas la voir, étant donné ses nouveaux pouvoirs de caméléon. Elle n’était d’ailleurs pas certaine de savoir où il était parti se cacher, lui, d’ailleurs.
« Bouh !
- AAAH ! »
La brunette sursauta de surprise, se cognant la tête contre le bois et tombant sur le lit de feuilles mortes. Devant elle, gloussant, Prince Joachim dans toute sa splendeur la regardait avec ses yeux verts, brillants de malice. Mais celle qu’il s’amusait à appeler Mandarin avait tout de même de la ressource malgré ses huit ans.
Ni une ni deux, la demoiselle se ressaisit alors pour mieux le plaquer au sol. De ses petits poings, elle frappa sur le torse de son cousin, battant des pieds dans le vide tout en riant aux éclats.
« AHA ! JE VOUS ENTENDS, VOUS NE M’ECHAPPEREZ PAS ! »
Les deux enfants stoppèrent net leur bagarre dès l’instant où la voix de Shelley s’était élevée. Heureusement pour eux, et ils en étaient conscients, l’adolescente était encore loin. Ils avaient donc encore une chance de la semer s’ils se serraient les coudes.
Main dans la main, Miranda et Joachim coururent à en perdre haleine jusqu’au champ de tournesol.
Les dernières générations des Simon avaient l’habitude, depuis longtemps déjà, de se réunir dès que l’occasion se présentait. Ces réunions s’organisaient le plus souvent à l’ancienne ferme des arrières grands-parents où il ne restait plus que Joy, la « pauvre » grand-mère veuve et paraplégique qui ne voulait quitter son domaine pour rien au monde. Allan, benjamin et père de Miranda, ainsi que son aîné Thomas, père de Glenn, Shelley et Joachim, ne pouvaient pas abandonner leur mère malgré leur quotidien aujourd’hui bien ancré dans la vie active, loin des champs fertiles.
Plus personne ne s’occupait de l’activité de la ferme, et nombre de parcelle du terrain furent vendus ou loués, laissant tout de même des fonds conséquents aux héritiers de la famille qui purent vivre confortablement, du coup. Associé à leurs travails respectifs, ils n’avaient aucune raison de se plaindre.
En tout cas, les enfants aimaient s’amuser là-bas. Surtout Miranda. Elle adorait cette maison, ses alentours qu’elle avait explorés mille fois et pourtant ne s’en lassait jamais. Son esprit fertile créait de nouvelles aventures, de nouvelles planètes à découvrir.
Quelle imagination, Miranda.
« Salut ? Tu t’appelles comment ? … Moi, c’est Miranda. »
Allongée sur le ventre au milieu du salon, casque sur les oreilles, la petite fille écoutait pour la énième fois d’anciens enregistrements datant de l’époque de son grand-père. Du peu qu’elle en savait, ne l’ayant jamais connu, c’était un homme incroyable. Un aventurier, tout comme elle.
Alors que le son de sa voix grésillait dans ses oreilles, Miranda l’imaginait arpentant les routes américaines dans sa jeep accompagné de sa clique, des appareillages de fou cachés dans le coffre. De temps en temps, ils s’arrêtaient, guidés par leurs radars à radiations, en quête de l’impossible.
Mais qu’est-ce que l’impossible ?« Randy, ma chérie ? »
L’interpellée releva la tête vers la septuagénaire, assise devant la télévision dans son fauteuil roulant. Elle, elle était comme une reine bienveillante dans son château fait de cristaux arc-en-ciel, les jambes coincées par une malédiction dans la glace. Heureusement que, Bruce, son fidèle servant venu de la planète des anges était là pour veiller sur elle en cas de danger. Qui était la cause de cette malédiction ? Miranda n’en avait aucune idée. Sans doute la jalouse reine d’une galaxie voisine ? Personne ne lui en parlait vraiment, levant juste les yeux au ciel en prétextant que ce n’était qu’un simple accident. Pas plus de détails.
Les adultes, alors …« Oui ?
- Tu n’as pas envie de promener Bruce ?
- Oh ouuui ! »
Ravie, la petite fille applaudit avec enthousiasme, puis rangea soigneusement la radio et les cassettes dans leur carton d’origine. Sans plus attendre, elle se releva sur ses courtes jambes et courut en direction du perchoir de l’Ara bleu, hochant la tête en la voyant approcher, elle et son grand sourire.
« Mirrrranda ! »
Elle était seule pour le moment, avec Joy. Mais ce n’était pas pour autant qu’elle s’ennuyait.
Portant Bruce sur le haut de son crâne, Miranda alla faire le tour de la ferme. Tellement tranquille et différente de la ville où elle habitait avec ses parents. En plus, la nuit, le ciel était rempli d’étoiles que la pollution ne lui permettait pas de voir depuis la fenêtre de sa chambre.
Levant légèrement le nez vers les nuages, évitant au perroquet de perdre l’équilibre, la fillette croisa l’étage supérieur de la maison de sa grand-mère. A cause de son handicap, elle était incapable d’y monter et, de ce fait, l’avait laissé à l’abandon …
Les salles secrètes du château de cristal où les enfants se cachaient parfois.
« Ah ! C’est bizarre, c’est comme mon papa. »
Joachim était un vrai prince, à ses yeux. De trois ans son aîné, elle et lui s’entendaient pourtant très bien. Il la suivait sans poser de question dans ses délires de gamine et y plongeait même avec un plaisir non dissimulé … Le garçon s’avérait aussi être son confident à qui elle aimait raconter tout ce qui lui passait par la tête. Tellement gentil, Joachim lui donnait même des conseils, ou ce genre de choses. Le meilleur cousin du monde ! Enfin, Miranda aimait aussi Shelley et Glenn, bien sûr.
Assise au fond du canapé, toisant de ses yeux sombres l’étranger emmitouflé dans ses draps, de nombreuses questions venaient se bousculer dans son esprit.
D’où venait-il ? Il n’était pas là, hier soir.Joachim la regardait aussi, bras croisé, attendant ses théories non sans un sourire. Le garçon était arrivé, comme ça, se proclamant baby-sitter pendant que leurs parents respectifs s’étaient enlevés mutuellement. Et il n’était pas venu les mains vides, hein.
Harley qu’il s’appelait, il paraissait.
« Hmm … Il serait pas tombé avec un météore dans une poubelle ? Un clochard l’a récupéré, mais comme il était conscient qu’il ne pouvait pas s’en occuper, il l’a mis devant la première porte qui lui a semblé cool et chaleureuse. »
Miranda se pencha au-dessus du nouveau-né endormi … Elle ne pensait pas en avoir jamais vu un d’aussi près. Sa tête était tellement ... grosse.
« Haha, Mandarine, c’est sans doute ça la vraie histoire ! Mais pour cacher la vérité, on m’a juste dit que c’était le fils de Glenn. C’est tout. »
La fillette tourna vivement la tête vers son cousin, plus que surprise :
« Glenn est tombé enceint !? C’est plus grave que je ne l’aurais pensé ! J’espère qu’il n’est pas là pour détruire le monde … C’est peut-être un gentil messie, comme Jésus. Et qu’il est là pour former une alliance intergalactique. Woaah, Glenn a beaucoup de chance !
- Ouais … Mais les parents sont pas contents, eux … »
Elle revint à Harley, plissant des yeux comme pour tenter de capter la potentielle aura machiavélique qui pourrait l’entourer. Miranda ne comprenait pas souvent les adultes … Et quand elle essayait, on l’envoyait sur les roses, prétextant qu’elle saurait tout dans quelques années. Et pourquoi ? Comment, au juste ? L’année prochaine, pour son dixième anniversaire, un livre expliquant les mystères de l’univers allaient lui tomber dessus ? Et dedans il y aurait une page sur l’évaluation de la dangerosité des bébés ?
« Y’a pas de raisons ! Ils devraient être fiers justement ! Après, je comprends qu’ils aient peur. Imagine qu’Harley se mette soudainement à lancer des lasers avec ses yeux !
- C’est sûr, déjà que Maman hurle quand on dessinait sur les murs … Alors si on les atomise …
- Kimmy ! »
Telle une ninja, Miranda roula sur le côté, s’écrasant mollement sur le plancher, avant de ramper vers les jambes de Joachim. Les yeux remplis de détermination, elle foudroya son cousin du regard tout en lui tenant bien fermement les chevilles.
« On va bien l’éduquer, toi et moi, d’accord ? On va tout faire pour qu’il aime la Terre et qu’il soit un gentil citoyen. C’est notre mission. »
Sans perdre son sourire, Joachim soutint son regard avant de rire à gorge déployée. Il se pencha alors, attrapant la petite Miranda sous ses aisselles afin de la soulever.
« Pour la terre.
- Pour la terre. »
« … Pourquoi tu es là, au fait ? »
La jeune fille leva les bras vers le ciel, un sourire béat collé à son visage, laissant les rayons du soleil réchauffer sa peau verte. Sa mère lui lança un dernier au revoir avant de décoller, la laissant là devant le portail de son école où s’agglutinaient déjà moult camarades aux tenues colorés.
Le cœur prêt à l’aventure, Miranda inspira un grand coup avant de réajuster son sac à dos et de se mettre en route … Cependant, son élan fut aussitôt interrompu par Abraham Lincoln, plus excitée qu’une puce :
« Mimiiiiii !
- Ooooh ! Coucouuuuu ! »
La collégienne secoua énergiquement son bras en direction de ses deux amis qui approchaient ; Amity et Finlay. La première était clairement déguisée en seizième président des États-Unis d’Amérique alors que le second devait avoir des allures de dinosaure à pois, d’après les dents et le papier collés sur son sweat jaune.
Lorsqu’ils se rejoignirent, le groupe d’ami entrechoquèrent leurs poings en signe de salutation. Alors qu’Amity était une nouvelle connaissance du collège, Miranda et Finlay se connaissaient depuis l’école primaire. Dire qu’ils s’entendaient bien serait un euphémisme, sachant que la fille Simon plaçait le jeune afro-américain pas loin derrière son cousin sur l’échelle de son estime.
« Tu es super belle, on te croirait vraiment descendue du ciel ! »
Commenta Amity, passant sa main, l’air pensive, sur sa barbe foisonnante, approuvé par les hochements de tête énergique au lézard à lunettes. Face aux compliments, Miranda ne sut que rire aux éclats avant d’attraper par les épaules ses deux amis qu’elle trouvait tout aussi beaux, les poussant avec force jusqu’à l’enceinte de l’école.
Elles s’étaient levées tôt avec sa mère pour colorer sa peau, et le résultat était à la hauteur de ses espérances ! Bien sûr qu’elle était magnifique, dans sa petite robe argentée et ses sandales assorties.
Miranda adorait tellement les carnavals.
« Heeeey regardez qui s’est trompée de planète, c’est Mirandaaaa ! »
Le petit groupe d’enfants se mirent à ricaner au passage du trio. La réputation de la demoiselle était définitivement faîte, et ce depuis longtemps. Tout le monde se rappelait de ses histoires et de ses idées folles de peuples de l’espace … C’était elle, l’alien.
Le visage d’Amity se referma et aurait sûrement réagit si l’intéressée ne s’était pas montrée plus rapide, les lâchant et se dirigeant vers le garçon qui l’avait interpellé :
« Non, je ne me suis pas trompée, je suis venue en paix ! »
En signe de bonne foi, la petite fille leva même les bras afin de montrer qu’elle n’était pas armée.
Amity et Finlay se regardèrent un instant, peu surpris de la réaction de leur amie, mais tout de même … C’était toujours la même chose, Miranda ne prenait jamais les insultes comme des insultes et s’en amusait. D’autres auraient fait profil bas, auraient ignoré les "méchants" en levant le nez vers les nuages … Mais elle voulait jouer, elle.
« Houuuuh ! Va-t’en, on cause pas aux aliens nous !
- Hein ? Mais tu es un alien, toi aussi ! »
Le petit brun baissa la tête vers son torse où le sigle de Superman était imprimé, sous les rires de ses soi-disant camarades.
« N-n’importe quoi ! »
Blessé dans son orgueil, le gamin poussa violemment la fillette trop proche de lui qui, ne s’y étant pas attendu, tomba sur les fesses … Le coupable passa alors du rouge au blanc, alors que tous les autres enfants reculaient, bien conscients de la suite. Et ça n’allait pas être les réprimandes furieuses d’Amity qui changeraient quelque chose.
Miranda n’était pas une demoiselle fragile qu’une simple chute réussissait à arrêter. D’un bond, elle se releva et empoigna le costume du garçon avant de le pousser à son tour … Trop surpris par l’attaque, tout ce qu’il trouva à faire fut d’envoyer son poing dans la joue de son adversaire, ce à quoi elle répliqua en lui donnant un coup de front dans le nez …
Les deux enfants continuèrent ainsi leur bagarre, roulant sur le chemin jusqu’à atteindre la pelouse encore boueuse, là où le système d’arrosage automatique fonctionnait toujours.
Et les bleus, ça ne part pas avec de l’eau, hein ?[…]
« Hey, tu veux jouer aux devinettes pour passer le temps ? »
Devant le mutisme de son camarade de punition, Emmerich qu’il s’appelait, Miranda retourna s’enfoncer dans son oreiller. Le carnaval avait déjà dû commencer, et elle en était privée, coincée dans l’infirmerie.
Enfin, ce n’était pas tant ça qui la gênait, à vrai dire. Des fêtes de ce genre, il y en aurait pleins … La demoiselle était beaucoup plus triste pour son maquillage qui avait coulé, laissant sa peau comme un mélange bizarre de taches sombres violacées, beiges et vertes. Et puis, sans aucun doute que ses parents allaient la gronder, au passage.
« Roh, t’es pas drôle, hein … »
Pourtant ils s’étaient bien amuser tout à l’heure-là, non ? Il lui avait fait vraiment mal, mine de rien, sans doute emporté par la fougue de l’instant. Alors pourquoi il ne parlait plus, soudainement ? Comme quoi il n’y avait pas que les adultes qu’elle avait du mal à saisir. Etre en colère ne servait à rien, il était tout autant dans la confidence qu’elle. Mais bon, elle n’allait pas non plus le forcer.
Apparurent heureusement deux petites silhouettes familières, illuminant le visage de Miranda lorsqu’elle les reconnut :
« Wooh, t’as vu ça, le président et un dinosaure viennent nous rendre visite ! »
Emmerich ne répondit que par un grognement, loin d'être aussi enthousiaste, et préféra se cacher sous sa couette ; réaction à laquelle les visiteurs répondirent par un simple haussement d’épaule pendant que la jeune fille émettait un soupir. De toute façon, ce n’était clairement pas pour lui qu’ils étaient là.
Finley s’assied au pied du lit et réajusta ses lunettes alors qu’Amity s’installait à son tour, tout sourire.
« On n’allait pas t’abandonner, hein. Le festival sans toi, c’est moins cool.
- Et puis regarde un peu ce que Finny a apporté pour toi ! »
La brunette sortit une boîte de maquillage dans une onomatopée triomphante, remplie de diverses nuances de couleurs, dont de très jolis verts.
« Ce ne sera pas suffisant pour toute ta peau, mais on va au moins pouvoir arranger le visage de notre alien préféré … Tu devras faire attention la prochaine fois, quand même. »
Miranda rit de bon cœur, tout de suite arrêtée par la douleur à sa mâchoire, avant de glisser de sous ses draps pour mieux sauter sur ses deux amis et les étouffer dans une large étreinte.
« Et tu ne t’ennuies pas, des fois ? »
Furtif. Il fallait rester furtif.
Cachée derrière une plante verte, Miranda signa à Joachim que la voie était libre, mais qu’il fallait faire attention au garde du palais. L’adolescent, posté en embuscade derrière la télévision, en était bien conscient, ayant justement le guerrier aux plumes bleues dans son champ de vision. Le Prince répondit silencieusement à sa jeune camarade qu’il lui faisait pleinement confiance et l’attendrait dehors.
Chacun avait sa mission à accomplir. L’échec n’était pas envisageable.
A pas de loups, les deux jeunes gens se séparèrent donc : l’un se dirigeant vers la cuisine où l’odeur du café et quelques voix pouvaient être entendues, l’autre rampant discrètement vers l’antre où une terrible créature ronflait. Ce n’était pas la première fois qu’ils s’embarquaient dans une opération aussi risquée … Mais ils étaient forts et entraînés.
Le nez dépassant de l’embrasure de la porte, Miranda vérifia qu’il n’y avait là aucun piège …
Damned. Sur le sol, tel un champ de mine coloré, des jouets électroniques et autres peluches qui couinent avaient été abandonnés. Heureusement, la guerrière était loin d’être une bleue et savait faire preuve d’une remarquable adresse.
Sa concentration au maximum, la jeune fille leva haut les genoux, calculant avec minutie où elle ferait mieux de poser ses pieds nus afin d’atteindre sa cible en visuel.
Harley était là, allongé paisiblement aux côtés d’un Glenn endormi. Folle jeunesse décadente ! Il n’était plus l’heure de faire la sieste.
Arrivée au pied du lit, Miranda chatouilla doucement la plante du pied d’Harley pour le réveiller … Ce que le petit garçon fit sans attendre, ses yeux s’ouvrant en même temps que son sourire. Le plus délicatement et silencieusement possible, il quitta les côtés de son père afin de rejoindre sa "sauveuse", prenant place sur le dos qu’elle lui présentait … Et ce fut comme ça qu’elle fit le chemin inverse.
Cependant, dès lors que la porte de la chambre fut de nouveau franchie, Miranda laissa tomber tout masque de la discrétion et courut le plus vite possible en direction de la cour arrière.
Là où attendait Joachim, une boîte de gâteaux sur les genoux.
Le trio s’installa donc, comme à l’accoutumé, sur l’ancien poulailler, vide depuis toujours d’après leurs souvenirs, et admirèrent ainsi le paysage, grignotant leurs confiseries.
Au loin, un énorme nuage noir se détachait du ciel gris. La bête s’approchait, déversant sous lui des trombes d’eaux, parfois illuminés de grands éclats blancs, suivis de près par des claquements de tambour digne du plus terrible des concerts.
Les trois paires d’yeux admirèrent le spectacle. Il fallait bien en profiter, tant qu’il en était encore temps.
« Alors, on est amis, hein ? »
Les marches d’escaliers grincèrent sous ses souliers vernis. Tenant bien la main de Harley, Miranda l’emmena à l’étage supérieur de la ferme familiale ; laissant derrière eux le brouhaha de toute la famille réunie. Jamais la maison n’avait semblée si pleine de vie. La demoiselle avait rencontré des têtes dont elle ne se souvenait même plus … ça ne s’arrêtait pas.
« Rida ? On fait quoi ? »
L’adolescente tourna la tête vers son neveu et lui offrit un grand sourire pour le rassurer.
« On laisse les vieilles personnes tranquilles, d’accord ? Tu aimes ça, toi, qu’on te tire les joues ? »
A ce souvenir des femmes et leurs grands ongles rougeoyants, Harley pinça ses lèvres à la manière des poissons, réduisant par là un peu le volume de ses joues.
C’est donc ainsi qu’ils continuèrent leur marche jusqu’au fond du couloir, là où la porte du grenier se dressait. Il n’y avait quasiment jamais personne qui montait à l’étage, normalement … C’était un peu comme un endroit mort. Mais Miranda n’en avait jamais eu peur, y trouvant même quelque chose d’apaisant. Rien ici n’aurait pu lui arriver, pas vrai ?
Doucement, la jeune fille lâcha la main d’Harley et s’adossa à la porte close avant de se laisser glisser, ne se souciant pas du tout de la poussière qui allait tacher sa jolie robe noire. Elle tapota alors ses genoux, invitant le petit garçon à s’y asseoir ; ce qu’il fit, reposant sa tête contre sa poitrine et la laissant jouer dans ses cheveux.
« On ne viendra plus ici, bientôt … Tonton et Papa vont vendre la maison, c’est sûr … Tout dans cette maison va partir. On ne sait pas encore ce qu’on va faire de Bruce. Papa voulait le vendre, mais nous on ne veut pas. Après je ne peux pas l’emmener avec moi, je vais bientôt entrer à l’université …
- … Rida ? Rida, à qui tu parles ?
- Shhh, shhh … »
Fit-elle doucement, regardant dans le vide, son crâne appuyé contre le bois. Miranda prit une profonde inspiration avant de reprendre :
« Tout ça va me manquer … Vous allez me manquer … »
Harley tourna la tête vers sa tante, fronçant les sourcils, ne comprenant vraiment rien à ce qu’elle racontait. Ses petites mains vinrent frotter énergiquement ses joues mouillées :
« Qu’est-ce que tu racontes ? On va pas t’abandonner ! Je suis là moi ! Et puis tu es forte, hein, l’université c’est trop rien. »
Un léger rire mourut dans sa gorge, entre quelques hoquets.
« Emmène-moi avec toi ! … S’il te plaît ? »
« Marin Madison … Qui est-ce ?
- C’est mon pseudonyme d’auteur.
- Wow.
So much serious business. »
Edwyna, la nouvelle voisine, commença à feuilleter les recueils qu’elle avait trouvés. Tous signés par la même personne, plus ou moins vieux … Miranda, pendant ce temps, remplit l’assiette de Plot Twist avec des fruits secs avant de lui caresser doucement la tête.
La jeune femme avait débarqué comme ça, suite à son emménagement tout frais, afin de faire la rencontre des habitants de la résidence. Ce fut donc de cette manière qu’elle fit la connaissance de l’étudiante en commerce qui s’avéra des plus sympathique à son égard … Edy n’était pas une fille difficile, de toute façon, et était habituée à faire preuve de familiarité que d’autres trouveraient gênants. Comme fouiller un peu, par exemple.
« C’eeeeest pas trop mon truc la SF. Beaucoup trop … trop pour moi.
- Ah ? Trop quoi ?
- C’est pas contre toi, hein, c’est juste mon avis ! J’ai l’impression que c’est de la surenchère de
what the fuck complètement illogique. Je préfère les trucs bien terriens, tu vois ?
- Oh, bah t’inquiète, hein ! Chacun ses goûts, tu as raison. Enfin, les terriens c’est un peu comme des aliens, selon les points de vue, tu sais ! »
Edwyna tourna la tête vers son hôte qui cajolait son écureuil domestique tout en préparant un plateau de trucs à grignoter. Elle réfléchit un temps aux sages paroles avant de continuer sa lecture.
« Aaaah, ça oui, et j’en ai vu de ces cas … De vrais Spoutnik. Hey, ça fait longtemps que tu écris, alors ? Qu’est-ce que tu fais dans le commerce ? »
Les écrits semblaient, en effet, bien dater, pour certains. Malgré tout, le thème restait le même : l’espace, l’espace, l’espace. C’était vraiment incroyable une telle lubie. Elle devait vraiment adorer ça.
« Ouaip, j’écris des nouvelles depuis que je sais écrire, en quelque sorte. J’ai participé à des concours de nouvelles, ce genre de choses … Je tiens même un blog. M’enfin, ça reste un hobby, et je ne suis pas du genre à vouloir rester cloîtrée dans une pièce, tu vois ? Même pour écrire …
- Oh ouais, j’te comprends, ma vieille. »
Miranda aimait s’inspirer du monde qui l’entourait pour ses écrits, des gens qu’elle rencontrait, qu’elle aimait ou pas … Ce fut ses parents qui l’orientèrent vers sa branche d'étude, mais la jeune femme n’en était pas non plus déçue. Sa petite vie continuait juste à un nouveau rythme.
Elle avait bien grandit, à présent. Pourtant, elle n’était toujours pas certaine d’avoir cerné tous les mystères qui la hantaient déjà plus jeune. Miranda n’avait, en fait, aucunement l’impression d’avoir changé. Pour elle, seul son environnement avait évolué … Mais bon.
D’un geste du coude, elle nettoya la table basse, la libérant ainsi de l’amoncellement des boîtes de nouilles vides, avant d’y placer son plateau. Son invitée cessa sa lecture, redéposant bien les feuilles imprimées à leur place comme si elle ne les avait jamais touchées, avant de rejoindre le canapé et de prendre son verre.
« A notre rencontre, alors ? »
Les deux nouvelles amies trinquèrent. A leur rencontre.
« … »
• Ton arrivée à Euphemia et ta réaction :Les dernières paroles que Miranda eut l’occasion d’entendre avant son grand plongeon furent celles de son neveu à qui, comme d’habitude, elle avait raconté sa journée ; et lui de même.
Elle lui avait parlé du casque que sa voisine lui avait offert. Que c’était un jeu qu’Edwyna était certaine qu’il allait sans doute plus lui plaire qu’à elle. Le fait que ce soit une réalité virtuelle l’intriguait assez, il fallait l’avouer. Et puis, de toute façon, en quoi cela pouvait-il être dangereux ? La Hedger Impact était une compagnie connue, en plus ...
Arrivée sur Euphemia, l’inspiration de Miranda fut plus qu'émoustillée. Un tel univers, cette connexion avec d’autres personnalités du monde … C’était incroyable. Un vrai rêve qui l’aurait bien amusé s’il ne s’était pas avéré sans fin.
Il y a des gens qui l’attendent, dehors. Ce n’était pas son heure pour partir. Et ce n’était pas non plus là qu’elle voulait, de toute façon.