Dream Land et ses belles couleurs m’avaient peu à peu lassé. Voir toujours les mêmes personnes, les même rues, je m’étais habitué à mon nouveau lieu de vie et commençais peu à peu à sentir un certain courage naître au fond de moi. Un matin, en observant la sortie de mon île, je m’étais décidé à en sortir pour découvrir le reste d’Euphemia. Il me restait beaucoup à voir mais mes petites jambes ne me donneraient très certainement pas la possibilité de tout visiter en une seule journée. Ma destination du jour n’était pas si évidente. J’avais pris mon courage à deux mains et m’étais engagé dans Crimson District, l’île en laquelle j’avais le moins confiance, elle me donnait des frissons dans le dos et croisé le moindre visage d’un de ses habitants me faisait fuir en courant. Dans une de ces fuites d’ailleurs, je bousculai quelqu’un si violemment qu’il en tomba au sol et ses affaires s’étalèrent autour de lui. Gueulant directement des injures que j’étais incapable de comprendre, il m’accusa d’avoir voulu lui voler quelque chose. Je ne comprenais pas et allais me mettre à le contredire quand l’ambiance si froide du quartier m’en coupa l’envie. Je n’avais pas envie de rester ici, je ne savais pas pourquoi j’étais venu là et tout ce que je voulais en cet instant était de bondir dans les bras de mon grand-frère. Malheureusement, il n’était pas ici, à Euphemia, et ce fut avec une larme à l’œil qui je m’enfuis loin de ce type en grognant, ne faisant plus attention à personne.

Il y avait trop de monde, du monde louche en plus, qui me hérissait le poil et que je voulais à tout prix éviter. Mais pas assez doué en ville, j’étais alors incapable de retrouver le chemin jusqu’à Dream Land. Au lieu de ça, je me perdis doucement au milieu d’arbres tous aussi sombres les uns que les autres mais étrangement, aucune peur ne me gagna. Au contraire, le calme de l’endroit m’apaisa malgré la mauvaise odeur qui me faisait parfois grimacer. Enfin, je n’avais pas peur… C’était vite dit. J’étais tellement minuscule que le moindre buisson un peu louche me faisait sursauter, je me méfiais même d’une flaque d’eau au sol pourtant inoffensive. Jusqu’à ce qu’un craquement derrière un arbre me fit atteindre ma limite. Ce fut alors le cœur battant que je pris mes jambes à mon cou sans même vouloir connaître le pourquoi de ce bruit. Je me retournais pourtant souvent pour m’assurer que rien ne me suivait, mais les ombres menaçantes des arbres et mon imagination débordante me faisait croire en une bête immonde qui me traquait. Je serrai les dents, tentai de me faire le plus discret possible alors que je courrai à en perdre haleine.

La tête tournée en direction de mon soit disant chasseur, je ne vis aucunement où j’allais et encore moins l’homme fièrement dressé sur le talus sur lequel je montais en courant. Le choc me fit enfin lâcher mon premier cri de peur et de surprise alors que par ma faute nous chutions sur les rives humides d’un lac. Aussitôt au sol, je m’étais rapidement écarté de l’individu que j’avais percuté comme si la bête dont j’avais si peur n’était autre que lui. Les yeux écarquillés, j’étais effrayé mais faisait tout mon possible pour le cacher, j’étais prêt à griffer, mordre, bondir et même reprendre une course effrénée autour du lac pourvu que je ne me fasse pas manger.

L’homme n’était qu’un homme. Très grand comparé à moi, mais au moins il n’était pas un monstre comme j’en avais eu peur. Enfin, il pouvait être un monstre à sa manière, et pour moi, l’être humain était également un monstre. Il s’était approché de moi, j’avais reculé dans un grondement digne d’un animal farouche. Sa voix résonne devant moi, je sursaute et cale un peu plus ma tête entre mes épaules par méfiance. Inspirait-il que je lui réponde ? Peut-être. Mais mon mutisme ne sembla pas l’empêcher de continuer son monologue. Une nouvelle question à laquelle je n’avais absolument pas envie de répondre. Qui était-il pour que je lui adresse la parole ? Mon frère n’aurait été d’accord pour que je parle à quelqu’un comme lui. Imposant et intimidant, avec un œil en moins qui plus est, qui malgré ses efforts ne montrait aucune tendresse naturelle envers les enfants de mon âge. Je le voyais bien, je le sentais, il se forçait. En ville il ne m’aurait même pas adressé un regard, s’il s’occupait de moi à ce moment-là, c’était seulement parce que j’étais seul dans un endroit où je n’aurais jamais dû me trouver.

Un bruit me fit me redresser avec une légère panique. J’avais peur de cet homme, j’avais peur que mon poursuivant ne revienne, j’étais alors incapable de savoir d’où venait ce bruit. Je n’en eus de toute façon pas le temps car l’homme m’empoigna le bras et m’attira un peu plus loin de la rive. Il s’approchait à nouveau des fourrés, me traînait vers eux, vers l’ombre et vers la peur. J’avais eu le temps de le griffer quelque peu avant qu’il ne me lâche et j’aurai osé me mettre à fuir si je n’avais pas eu la peur d’être encore pris pour proie d’une bête quelconque.

Je m’étais écarté d’un pas de ce grand individu qui me regardait de si haut que je n’osai même pas lever la tête pour l’apercevoir, de peur de me faire mal au cou. D’où venait-il pour être aussi grand ? Même mon frère, pourtant grand dans mon pays, aurait paru ridicule à ses côtés. J’étais frustré à cette idée. Personne ne pouvait être plus grand que mon frère. Je me renfrognai et croisai les bras avec un certain dédain en détournant la tête alors que l’inconnu s’inquiétait de mon cas. D’ailleurs, je n’avais rien vérifié moi-même. En y pensant, il ne me semblait pas avoir mal à quelque part, mon genou me brulait à peine, je devais surement mettre râpé sous mon pantalon en tombant, rien de bien grave. Je daignai enfin lui répondre.

« Non je n’ai rien… Et arrêtez de m’appeler gamin ! Mon nom c’est Ra… Gaki. »

J’avais encore du mal à donner mon pseudo plutôt que mon prénom réel. Au final, la différence entre gamin et gaki n’était pas. C’était exactement le même mot, je le savais, mais je ne pouvais m’empêcher de lui reprocher quelque chose. Juste parce qu’il pensait de moi que je n’étais qu’un môme incapable, il fallait que je râle sur un point, n’importe lequel. J’eus l’impression qu’un buisson se mit à bouger et qu’une ombre se cacha derrière un arbre juste devant mes yeux. Prit d’une effroyable peur, un frisson me parcourant tout le corps, mon premier réflexe fut d’aller me cacher l’imposante carrure de l’homme borgne dont la présence commençait à ne plus m’effrayer.

« Y’a une bête ! Elle essaye de m’attraper depuis tout à l’heure ! »

Je me foutais alors de le connaître ou pas, je m’accrochais à sa jambe en scrutant la pénombre, le cœur battant. Même s’il n’affectionnait pas particulièrement les enfants, il ne pouvait pas me laisser là comme ça, du moins je l’espérais. Puis, en relevant les yeux, des fourreaux de bois bien familiers me sautèrent aux yeux. Des katana. Sur un homme qui semblait n’avoir aucun rapport avec mon pays et ses armes. S’il savait s’en servir, il allait pouvoir s’occuper de ce monstre et m’aider. Sinon, je m’en occuperais moi-même, tant pis.