❝ Come on solo baila conmigo
feat Purple.

Il n'était pas dans les habitudes de Noise d'être en avance. A vrai dire il affichait plutôt une nette tendance à se présenter en retard à tous les rendez-vous auxquels on osait l'engager, et les horaires indiqués sur son contrat à la boutique de réparation avaient pour lui quelque chose du vague conseil pratique au bas de la feuille auquel personne ne fait jamais attention.
Donc, le fait qu'il soit affalé sur sa table de travail en arrière-boutique à 7h du matin donnait à ce jour un petit air d'heure de grâce. A moins, comme l'auraient rapidement supposés ses collègues, qu'il n'ait dormi sur place après s'être fait virer de son logement pour tapage nocturne.
La réalité n'était pas si trépidante : en fait le jeune homme avait tout simplement oublié d'aller de coucher. Trop occupé à faire la fête dans les boîtes Corpiennes apparemment. Et la raison pour laquelle il se retrouvait là au lieu de passer la journée au chaud sous sa couette en envoyant balader les appels des collègues, c'était que depuis quelques semaines la revente au noir était difficile - blocus aidant - et qu'il fallait bien arrondir les fins de mois.
Parce que oui, même sur Euphemia, quand on ne mange pas on meurt.
Donc le jeune homme avait fini de réparer les deux gros hoverboards qui traînaient dans le placard et attendait l'ouverture en essayant de fusionner une paille en verre aux circonvolutions toutes tarabiscotées à un allume-cigare visiblement réticent.
Prônant la tolérance sous toutes ses formes, Noise avait presque réussi à leur faire accepter l'affaire lorsqu'un bruit on ne peut plus familier tinta contre son oreille.
On ne ment pas à un cambrioleur sur un crochetage de serrure.
Avec un grommellement, mais pas pressé quand même, Noise tira sur l'un de ses mèches dont le rose vif parsemait sa longue crinière blanche - ses cheveux avaient drôlement poussé récemment - et se décida à lever son arrière-train pour aller voir ce qui se passait.
Son hybride en main, le jeune homme débarqua donc dans la pièce centrale au son des clochettes qui parsemaient le rideau séparateur, pour découvrir assis peinard en plein milieu, un lapin violet transgénique avec des enceintes en guise de valise.
Yo Man. Il est trop tôt pour virer déjà dans le psychédélique.


« Ça va la vie, bien ou bien ? Tranquille ? Tu sais que les horaires c'est pas là pour décorer ? »

La naine en costume de usa-usa-kawaïï se réveilla - parce que oui elle se tapait tranquillement un petit somme en plein milieu d'un magasin dont elle venait de forcer la porte alors que certains n'avaient pas dormi de la nuit. Cool la vie - et se leva pour se rapprocher du comptoir depuis lequel Noise l'avait apostrophée avec flegme. Peu impressionné, le jeune homme la regarda en contre-plongée et posa résolument le pied de sa machine mutante sur le bois, rien moins qu'intéressé par ce qu'elle avait à lui dire.
Il s'inquiétait plus de savoir si elle avait niqué la serrure ou pas, en fait. Parce que ça craindrait un max et que ce serait lui qui se ferait engueuler.


« Ouais je vais bien, enfin non je vais pas bien en fait. Et tes horaires je m'en fiche bien dis donc. En fait je les ais pas vu mais on s'en fiche. »

Hmmmm voilà qui commençait bien. Noise lui renvoya un regard morne. Pourquoi ce genre d'incident devait-il se produire quand il était là ? Et à fortiori, quand il était en avance et seul ?


« Je n'ai rien prit au fait, je suis juste là pour qu'on répare mon ampli. J'en ai besoin pour mon boulot, et les réparateurs près de chez moi sont nuls à chier donc je suis venue ici. Et je suis pas d'humeur à attendre, alors soit tu me le répares maintenant, soit je te pourris ta journée ok ? »

En fait, la meilleure conduite à adopter serait encore de faire "Nop." et de tourner les talons, songeait le réparateur qui n'écoutait absolument pas la demoiselle. Retourner se barricader dans son arrière-boutique. Ou mieux encore puisque cela ne le garantirait pas contre une potentielle attaque sournoise de la lapine transgénique, prendre sa veste, ses cliques et ses claques et filer en vitesse en laissant ses potes se débrouiller avec elle. Et avec la serrure.
Quoi qu'avec la chance qu'il avait sur ce jeu, on allait encore trouver le moyen de l'accuser.
Tout à ses réflexions, Noise avait remis les mains dans son bidouillage qui se mit soudain à clignoter en vert et bleu. Il fronça les sourcils en constatant qu'aucun des composants n'avait cette capacité et que cela en devenait d'autant plus louche.
Si ça se trouve, il était vraiment sous acide.


« Hn hn. » Laissa-t-il tomber sans même la regarder.

Un long moment passa durant lequel le cambrioleur aux yeux cernés de noir manipula son bidule distraitement, puis il releva la tête et planta dans les yeux de la fille un regard blasé.


« ... Non, casse-toi. »

Ben quoi. Il était fatigué, et elle lui volait tout son temps de parole. Qu'est-ce qu'il pouvait dire d'autre qui résume mieux la situation, hein ?

L'humeur de Noise et, à fortiori son taux de répartie étaient, il avait pu le constater, inversement proportionnels à sa fatigue du moment. Soit dit en l'occurrence, proches de la jolie bulle en haut de la copie d'exam d'après fête. Ou de celles qui éclataient tristement dans son cerveau aride de toute pensée édulcorée. Cela pouvait avoir le mérite de faire tourner les talons à mademoiselle sans-gêne. Ou pas, ainsi qu'il put le constater en la voyant faire un petit tour du propriétaire. Mais je t'en prie, fais-toi plaiz'. Tu veux pas un cocktail aussi pendant que tu y es ?


« Tant pis alors. »

Ouais c'est ça, tire-toi. Noise fixa le dos de la demoiselle d'un air peu amène tout en faisant grincer deux ou trois rouages sur son engin mécanique non identifié qui s'était mis, après les clignotements multicolores, à ronronner comme un chat bienheureux. Si elle était maligne elle irait voir ailleurs s'il y était en le laissant se bagarrer en paix avec sa migraine et ses muscles rouillés.
C'était un bel espoir qu'il avait là. Miss lapin de pâque avait plutôt l'air de vouloir rester sur place jusqu'à ce que le jeune homme retrouve sa fameuse loquacité.
En vrai, ça devait être une admiratrice secrète avide de faire une joute verbale avec lui.


« Si t'es crevé, t'as qu'à retourner chez toi. T'as une tête de zombie qui sort d'un film. Enfin, un zombie avec une coupe de cheveux spé. Nan parce que c'est clair que si t'es fatigué, j'vais pas te laisser réparer mon ampli. Il risque d'être encore plus cassé qu'avant. »

Mais va mourir. Tiens, voilà, il pouvait plus s'empêcher de parler pour préserver son cerveau, saleté.


« Elle fonctionne pas ? » Poursuivait l'insupportable rongeur en tapant bêtement sur une chaîne hi-fi hors-service. « T'as pas un truc qui fait de la musique ? Les silences c'est assez chiant. Et vu que je vais devoir rester plus longtemps que prévu, autant que ce soit avec un bon son ! Il y a une prise dans le coin ? »
« Alors d'une y a des gens qui bossent ici, de deux ma tête t'emmerde joliment demi-portion, parce que quand on casse la porte de quelqu'un on la ramène pas et on procède avec un minimum de classe parce que sinon on n'est qu'un voleur de pacotille. Bon en l'occurrence toi t'es juste une sale gamine trop gâtée mais c'est pareil. Donc ton ampli si t'es pas contente qu'il n'y ait personne pour le réparer hors des heures d'ouverture tu te l'enfonces dans l'oreille et tu vas voir ailleurs si j'y suis ou alors tu le revends et tu en profites pour t'acheter un cerveau. Comme ça en plus t'arrêteras peut-être de te croire dans un magasin high-tech alors qu'on est une boutique de réparation. Evidemment que rien ne fonctionne ici, t'es bête ou quoi ? »

Noise frotta sa tempe gauche du bout du doigt, les oreilles agacées par le son de sa propre voix.


« Et tant que j'y suis tu prends ton bordel et tu te tires avant que j'appelle les flics, parce que je pense qu'ils seraient contents de te chopper pour effraction, endommagement de bien, emmerdage de professionnel et tout le bataclan. »

Bon, ok, ça il le ferait pas. Mais pas par compassion, juste parce qu'il voulait pas se faire pincer lui-même. Contrarié, le jeune homme tira sur ses mèches blanches en regardant à l'extérieur, se demandant dans combien de bon sang de temps un collègue allait venir lui virer la sale môme avant qu'il doive lui fait sauter les tympans pour la jeter dehors.
Et puisque c'était une éventualité peu probable, avec un soupir inaudible il commença à échafauder un plan tordu pour s'en débarrasser sans trop de boucan.

Eeet… non, elle n’avait pas l’air décidée à partir. C’était fou quand même ces gens tellement obtus qu’ils restaient plantés sur place par principe alors qu’ils auraient trouvé mieux et plus rapide ailleurs. Et puis lui réclamer de bosser pour elle à corps et à cris alors qu’il n’était même pas de service et qu’elle se comportait comme une môme mal élevée dans un magasin de bonbons… Qui était sérieux, d’elle ou de lui ? Et Noise avait beau admettre que sa propre hypocrisie frôlait parfois le ridicule, rien de comparable avec la ligne de conduite de cette tête de mule.
En plus sa voix lui agressait les nerfs, et à cause de la fatigue, son pouvoir faisait des siennes, occasionnant des sinusoïdes particulièrement désagréables entre ses tympans. Damnit.
Oh et puis parce que c’était cool, elle se remettait à bavarder en croisant les bras et en affichant une mine boudeuse pas convaincante pour un sou, n’épargnant rien à ses pauvres oreilles. Décidément, ce n’était pas sa journée visiblement. Regrettant d’être venu au lieu d’aller se pieuter directement, Noise lâcha un soupir et verrouilla son ouïe. C’est donc dans un silence bienheureux qu’il plongea sous le comptoir pour en tirer un tournevis et, oui pourquoi pas, un bazar hétéroclite oublié dans un tiroir dont notamment une boîte d’allumettes et un lapin en plastique ( ? ) miniature qu’il posa sur la surface blanche à côté de son hybride torturé.


« … »

Ouais ouais, si tu veux. Le jeune homme entreprit de visser le lapin au sommet de son engin, peut-être dans une optique de menace discrète pas si discrète que ça. Un coup d’œil à la chose violette lui confirma qu’elle continuait son blabla et n’avait pas l’air de vouloir fiche le camp pour le moment. Et lui n’avait vraiment pas la motivation pour la jeter dehors de force – d’ailleurs ce n’était pas son genre parce que la violence c’était fichtrement fatiguant mine de rien. Donc il allait devoir se démerder autrement.


« … »

Le jeune homme craqua une allumette. C’est à ce moment-là que, sans qu’il leur ait rien demandé, ses oreilles se débouchèrent et tous les bruits alentours lui revinrent dans le crâne sans ménagement. Il lâcha une belle grimace et faillit lâcher l’allumette enflammée.


« Une dernière chose. Je ne partirais pas d'ici avant que mon ampli soit réparé. »

Surtout pour lui dire ça, fuck. Est-ce que ça valait le coup de lui foutre la migraine ?
Noise fit tomber l’allumette dans la paille et regarda la flamme s’installer au fond de sa machine. Sans effet apparent, pour le moment.


« Bah tu vas faire comme tout le monde et attendre une heure le temps que ça ouvre. Je vois pas pourquoi je satisferait tes caprices alors que je suis pas sur mes heures de travail et que t’es chiante comme c’est pas permis ~ Ah et calme-toi un peu, le bruit de ton cœur me défonce les tympans. »

Ce qui était vrai.
Il reprit son tournevis et tritura un peu le lapin pour voir s’il ne pouvait pas le désosser un minimum.
Et puis, comme sous le coup d’une inspiration soudaine, il s’immobilisa sans le reposer et leva les yeux vers elle :


« Sauf si tu réussis à me convaincre. Je pourrai (peut-être) regarder ton machin si t’es assez persuasive. »

Et éventuellement le transformer en pantoufles à eau. En fait Noise avait plein d’idées en tête pour faire dégager la gamine de là, mais la laisser s’en tirer à si bon compte lui aurait laissé un sale goût dans la bouche. Et il n’aimait pas être contrarié.
En plus elle avait critiqué sa coupe de cheveux. Elle s’était regardée, tiens ?

C'est qu'elle avait pas l'air très motivée, hein. Non seulement, alors qu'il lui donnait l'opportunité de faire réparer sa bécane malgré son comportement, elle freinait tout d'un coup des quatre fers ; mais en plus elle ne trouvait pas elle-même une monnaie d'échange satisfaisante.
Franchement. Quand on dit "convaincs-moi" à quelqu'un, ça veut pas dire "attends les prochaines instructions" hein...
Il aurait fallu qu'elle sache ce qu'elle voulait, quand même. Noise leva les yeux au ciel et fit sauter la tête du lapin d'un coup d'ongle d'un air entendu. Un panache de fumée multicolore s'échappa du cou mutilé.
Ce qui ne constituait absolument pas une menace, non. Qui irait menacer des gamines lolita/usamimi avec de la fumée arc-en-ciel, franchement ?


« Pfff, j'en sais rien moi, t'as vraiment pas d'imagination. D'habitude, une fille a toujours plein d'idées pour convaincre un mec. »

En fait, il n'étais pas sérieux. Non, vraiment, il ne faisait que la charrier - il donnait pas dans la pédophilie, lui. Peu importe l'âge qu'elle avait d'ailleurs, parce qu'il donnait pas dans la zoophilie non plus. Surtout quand ça impliquait des lapins, cette engeance maudite. D'une pichenette, il envoya voler la tête de la créature du diable loin de lui et la demoiselle : elle roula piteusement jusqu'à la porte fracturée.


« Dommage pour toi, va falloir que tu fasses ce que je te dis. C'est pas mieux, crois-moi. »

Avec un sourire moqueur, le jeune homme lâcha son bricolage étrange et passa une main dans ses cheveux décolorés pour en démêler quelques mèches : il se donna un temps pour réfléchir à la proposition. L'afflux d'idées dans son cerveau ne fit que contribuer à élargir son rictus :


« Allez, t'as le choix. Si tu veux juste que je jette un coup d’œil à ton truc et que je t'envoie chez quelqu'un qui pourra te le réparer - ce qui l'arrangerait lui drôlement parce que ça lui prendrait trente secondes et demi, tu sors dans la rue au milieu des passants pour danser et chanter du Justin Bieber. »

Une pause, le temps de lui adresser un sourire des plus aimables. Ses doigts pianotaient sur le comptoir.


« Soit tu sors et tu roules une pelle au premier passant. Et je te répare ton engin gratos. A prendre ou à laisser. »

Pas moyen de s'arrêter de ricaner intérieurement : Noise s'accouda patiemment sur le comptoir et lui dédicaça un sourire angélique. Vas-y, je te regarde. Jusqu'où était prête à aller une mioche capricieuse pour ne pas perdre la face, hein ?
Et puis elle avait l'air d'y tenir, à ses amplis.

Loin de le faner le moins du monde, le sourire qui s’afficha sur la figure de la gamine ne fit que renforcer celui de Noise. La voir accorder plus de répulsion à l’idée de s’afficher comme fan d’une ex-idole pour adolescentes pré-pubères, qu’à celle d’embrasser langoureusement un parfait inconnu, lui procurait un sentiment de commisération proche de la franche moquerie. Il ne la jugeait pas évidemment – cela aurait été franchement hypocrite de sa part puisque lui-même n’y aurait vu aucun problème - enfin, à part qu’il ne se serait pas laissé embobiner comme elle le faisait ; mais il n’était pas un véritable modèle de vertu non plus. Et vu la tenue quasi hautaine de la demoiselle et son allure de gamine gâtée, il aurait été porté à la croire moins délurée que cela.
Comme quoi. La crise d’adolescence accomplit parfois des mutations incroyables.
Cette gaminerie lui donnant décidément très envie de ricaner, le jeune homme dut se mordiller la lèvre pour garder un semblant de sérieux – succès relatif puisque les commissures de ses lèvres tressautaient irrésistiblement.
Heureusement que Bunny-girl était trop occupée à bavasser pour qu’il puisse en placer une, entreprise qui n’aurait pas manqué de terminer en gigantesque éclat de rire.


« Rouler une pelle et tu me répares mon ampli gratuitement... Hm, ce n'est pas insurmontable. C'est même tout à fait possible. Dommage, comme idée pour ridiculiser c'était vraiment pas mal trouvé, je dois te dire bravo. Mais prépare tes outils, tu vas devoir me réparer mon ampli GRATUITEMENT dans peu de temps. »

Hilare, le décoloré hochait la tête en cœur. Oui, oui, il était un tel génie du mal qu’il obligeait une gamine désobéissante à embrasser n’importe qui. Ciel, qu’il était fourbe. Malheureusement elle était tellement plus maligne que lui qu’il allait devoir renoncer et réparer son ampli. Il serait humilié, c’était terrible ; et en plus elle prenait la peine de le féliciter. Thanks Bunny-girl, you made my day.
En plus elle avait l’air fière d’elle.
Alors que Noise était sur le point de s’étouffer avec ses propres sarcasmes, la môme en violet éclata d’un rire terrifiant et se dirigea vers la sortie. Avant même que le jeune homme puisse forcer sa mise à la porte, elle revint et lui chopa le poignet, ce qui fit qu'il manqua s'étaler sur le comptoir, s'étouffa à moitié et grogna son mécontentement, mais apparemment pas assez fort pour surpasser le :


« Ah mais il faut que tu vois ça bien sûr ! »

Enthousiaste. Ouais super. Il n'en fallait pas moins pour gommer tout sourire de son visage parce que lui, il n'avait jamais eu l'intention de bouger de derrière ce bar. Qu'elle respecte un peu sa gueule de bois, bordel, cette sale mioche.
La cloche tinta et le jeune débraillé écarta une ou deux mèches rose d'une main lasse, tandis que Bug Bunny désignait un mec random du doigt. Noise fit la moue : il aurait préféré un geek boutonneux avec le regard vitreux et la bave aux lèvres. Il avait cependant parlé du premier type qui passerait alors râler n'était pas dans ses possibilités, et tant pis si elle avait une chance du diable. Il hocha vaguement la tête, espérant qu'elle irait vite s'occuper de l'heureux élu.


« Au fait t'as un nom ? »

Raté.


« Tu dis ça pour me draguer, pour essayer d'obtenir une réduction de peine, ou c'est juste l'expression d'une profonde banalité que tu me montres là ? »

Un haussement d'épaules, et Noise plissa des yeux : les rayons du soleil matinal lui agressaient violemment la rétine. Ce qui n'arrangeait ni son humeur, ni son mal de tête.


« Magne-toi, ton prince charmant va se tirer. »

Pas besoin d'être un génie pour se rendre compte que Noise était de bien moins bonne compagnie lorsqu'un peu trop d'alcool lui avait traversé le système sanguin. Ça avait tendance à le rendre cynique, la gueule de bois, un peu comme lorsque l'abus lui faisait frôler le coma éthylique. En même temps c'était compréhensible, qui aimait passer sa nuit la tête dans la cuvette ou aux urgences, un caténaire dans le bras, à se demander s'il ne vivait pas là ses dernières heures sur terre et à regretter que ce soit en crachant ses boyaux ? On râlerait pour moins que ça.
Malheureusement, ça avait tendance à retomber sur les autres dans ces cas-là. Non pas que ça le dérange, lui : ils avaient qu'à lui foutre la paix un peu aussi, tous.
Noise s'adossa à la vitrine pour se protéger un peu du soleil qui lui bousillait la rétine comme il aurait carbonisé les atomes d'un vampire de passage. Madame la pinte avait aussi une fonction zombificatrice, empêchant ses victimes de mettre le nez dehors pendant un moment. Qui sait d'ailleurs s'il ne s'agissait pas d'une conspiration montée contre lui, pour que le ciel numérique soit aussi bleu ce jour-là et le soleil jaune aussi rayonnant, et la première cliente de la journée une putain de casseuse de portes et de c-
Il aurait bien eu besoin d'une sucette cerise-goyave, là.
Ne serait-ce que pour passer le temps en regardant la fille s'approcher du pauvre type qui n'avait rien demandé, lui glisser deux mots et en profiter pour l'attraper et lui violer la bouche d'une façon que Noise lui-même n'aurait pas essayée sur un inconnu. Trop langoureux pour lui. Pendant qu'elle faisait son affaire, le jeune homme partit à la recherche d'une clope dans les poches de son jean.
Evidemment, il n'y en avait pas.


« Je dois admettre que c'est bizarre comme truc. » Fit le petit lapin violet en revenant vers lui, s'essuyant la bouche comme si elle venait d'embrasser un raton-laveur couvert de puces. Pourquoi on appelait ça un raton-laveur, déjà ? «T'as des idées bizarre pour un mécanicien. »

Si tu savais, honey-bunny. Noise abandonna la recherche de cigarette et tira sur son pull qui n'avait pas la bonne grâce de le protéger de la vilaine brise fraîche et pas du tout authentique générée par ce jeu sadique.


« Nah, n'importe quel garçon stupide de mon âge penserait à des histoires de roulage de patin, girl. Encore qu'en général on s'arrange pour que la fille soit plus sexy que toi. T'as de la chance qu'il soit tôt parce que sinon je t'aurais fait faire pire ; tu serais rentrée pleurer dans les jupes de ton petit copain. Sinon, tu sais pourquoi on appelle un raton laveur un raton laveur ? Si ça a des puces c'est que ça doit pas se laver trop souvent, hein - sauf si les puces ça résiste à l'eau mais j'ai jamais entendu parler de ça. Bon moi je rentre parce que je me les caille sévère là. »

Joignant le geste à la parole, le jeune homme aux mèches roses retourna dans la boutique sans tenir la porte à sa cliente.


« Des puces transgéniques. Ferme la porte ! » Et reste dehors. Marmonna-t-il en se dirigeant vers le comptoir, raflant les amplis au passage.

Ben oui, un pari est un pari. Sans se préoccuper d'emmener le bazar dans l'atelier derrière - après tout, y avait personne pour l'emmerder sur le protocole, Noise le laissa en plan entre le téléphone et la caisse et alla chercher une boîte à outils au fond. Il revint avec un tournevis - c'est swag les tournevis - et entreprit posément d'éventrer la carcasse du pauvre animal de compagnie de Bunny-girl.
A première vue, rien d'insurmontable. Elle aurait pu réparer ça elle-même, quand même, et le laisser comater en paix.

Ignorant royalement la gamine qui prenait ses aises à côté du comptoir, Noise étala son bric-à-brac sur la surface froide et fit passer pinces et autre fers à souder du tas hétéroclite à ses mains en leur accordant à peine un regard. Il avait quelques notions de bricolage avant de débarquer sur Euphemia, mais avait largement eu le temps de se spécialiser depuis son arrivée.
C'était il y a combien de temps, déjà ?
En tout cas, ce n'était pas cet ampli qui allait lui résister. Dans tous les sens du termes. C'est que monsieur, loin d'être rancunier, était tout de même pourvu d'un sens de l'emmerde à toute épreuve et n'avait pas l'intention de laisser les choses en rester là. Au début il avait pensé adresser la jeune fille à des gens peu fréquentables de sa connaissance (connaissance fortuite en l'occurrence) en lui faisant croire qu'ils pourraient réparer sa bécane, mais les évènements n'avaient pas vraiment tourné en la faveur de ce scénario. Alors il prenait les choses en main, et Bunny girl était loin d'imaginer ce qui l'attendait.
Ça lui apprendrait les bonnes manières, peut-être.


« C'est réparable ? Enfin ça va prendre combien de temps ? Et je l'aurai d'ici ce soir ou pas ? »

Et que je continue à causer parce que ce serait vraiment trop miséricordieux de laisser son pauvre crâne en paix... Noise grogna une assertion rapide dont le ton exquis sous-entendait un large "ça ira plus vite si tu fermes ton petit clapet de lapin merci au revoir". La véritable réponse étant évidemment : ton truc tu l'auras dans dix minutes si tu me laisse me concentrer parce que fuck t'aurais pu le réparer toute seule. Et que ouais, il tiendra pas très longtemps de toute manière. Hey.


« Et c'est pas bien de fumer des trucs bizarres ! »

Mais c'est qu'elle avait le calme en horreur, celle-là ! Noise leva les yeux de son travail et lança un regard torve à miss-défonceuse-de-portes :


« Parce que tu crois que rouler des patins à des inconnus majeurs dans la rue c'est mieux peut-êêêtre ? Tu vas attraper une MST de la bouche tu vas voir. »

Et tout ça pour ça. Le jeune homme fixa un ou deux bidules, raccorda un ou deux câbles, referma la coque et l'ampli fut comme neuf. Il alla jusqu'à chasser une poussière de sa surface chromée d'un air indulgent, puis alla le brancher pour bien prouver à la jeune fille que oui, il fonctionnait vraiment.
Bon, en tout cas il fonctionnerait pendant un laps de temps de trois heures trente et sept secondes. Après il commencerait à jouer du Justin Bieber et à faire des bulles roses en lançant des confettis en forme de canards. Et finirait sa vie d'ampli sous forme de fontaine d'arc-en-ciels.
Ce qui était, il fallait l'avouer, beaucoup plus cool que son utilisation lambda. Noise aurait presque précisé ces petites améliorations à la Bunny girl pour qu'elle l'en remercie.

D’après ses propres définitions, Noise était donc désormais une sorte de proxénète de la bouche. Oui parce que malgré toute sa mauvaise fois, la bunny girl – quel que soit son véritable nom – n’avait pas langoureusement embrassé cet inconnu pour des clopinettes. Techniquement, les services en nature contre de l’argent ou équivalent, c’était de la prostitution.
Même s’il élargissait à profusion le concept.
Quoi qu’il en soit, le jeune homme ne s’estimait absolument pas coupable – ou en tout cas condamnable – pour un tel méfait : étant donné que la petite peste était elle-même attaquable sur de nombreux points, notamment le fait d’avoir forcé la porte d’un magasin hors des horaires d’ouverture. Déjà que pendant les heures pleines cela constituait tout de même une certaine forme de délit mais là ça prenait à la fois la dénomination de vol avec effraction et de braquage de commerce ; sans parler des abus psychologiques sur la personne du vendeur auquel elle avait forcé la main sans le moindre scrupule.
Lui, oui. Parfaitement.
Dans tous les cas elle méritait sacrément ce qui allait lui arriver. Cela corrigerait peut-être une part ratée de son éducation – parce que Noise se voyait bien évidemment comme une référence en matière d’éducation.
Non, fallait pas déconner non plus.

« J'ai été obligée de le faire pour avoir une réparation gratuite, donc c'est totalement worth ! »

Mouiiii elles disent toutes ça n’est-ce pas ? Manquerait plus que la pauvre victime se mette en tête de la retrouver, tiens. Elle savait pas sur qui elle était tombée après tout. Y avait pas mal de psychopathes qui couraient les rues à Euphemia, mine de rien. Alors que le jeune homme aux mèches bigarrées lui tendait son engin – comme neuf, ce qu’il était important de préciser – avec toute la bonne foi du monde, sa petite cliente se sentit obligée de lui lancer un regard perçant de méfiance.

« Il marche vraiment ? Non parce que si c'est pas le cas, je reviendrais. J'aime pas qu'on trafique mon matériel. M'enfin, merci quand même. »

Quand même ? « Quand même » ?! Elle avait du culot la petite.
Noise sentit qu’il était de bon ton de prendre un air à la fois blessé et offusqué. Lâchant plutôt brutalement l’ampli à la poigne avide du petit lapin, il croisa les bras. Seulement, au lieu de faire la moue que nécessitait urgemment la situation, il sourit ; il sourit même presque franchement, pour la première fois depuis que la porte avait cédé sur cette toupie violette.
C’est qu’il venait de songer qu’ils risquaient de se revoir très bientôt, dans ce cas. Et ça le faisait marrer, quelque part.
S’il l’avait pu, il lui aurait demandé de filmer le moment où son machin exploserait. Pour pouvoir le revisionner plus tard à loisir.
Et puis sans se voiler la face : elle n’était pas franchement effrayante, la petite.
Bon après elle avait peut-être un copain d’1m20, il savait pas ; mais si ça avait été son genre d’éviter de se foutre dans les ennuis, il aurait changé d’identité ; pour faire plus vite. Et de toute façon, admettre une potentielle faiblesse était bien trop lui demander : tout comme penser que voir la jeune fille inspecter l’ampli en fronçant les sourcils aurait dû lui tirer une étincelles d’inquiétude. Peut-être que sa gueule de bois y aidait-elle fort ce matin-là, mais en tout cas la modestie et la prudence étaient loin d’être ses seconds, troisièmes, quinzièmes prénoms.
Ceci étant dit.

« Sérieusement ma grande. Tu forces ma porte, je te répare ton truc gratos et tu arrives à me soupçonner ? Tu dois pas avoir beaucoup d’amis dans la vie si tu les regardes tous comme s’ils allaient te bouffer – bon cela dit, en tant que lapin c’est une tactique de survie plutôt louable, je l’admet, mais – à part peut-être des grands blacks mais bon. Tu verras, ton machin aura jamais aussi bien fonctionné de toute ta vie. Et au piire tu repasseras me voir, j’ai l’impression qu’on peut faire des affaires avec toi. »

Encore un joli sourire. Le vile escroc alla jusqu’à lui tapoter fraternellement la tête – ou plutôt la capuche, du moins il l’espérait pour elle. Puis ses mains descendirent jusqu’aux épaules de la demoiselle, qu’il fit aisément pivoter et poussa vers la porte avec autorité.

« Vavava, laisse-moi cuver en paix maintenant. Va t’amuser à répandre les MST buccales partout sur ton chemin comme un joli petit poney rose – ou un lapin dans ton caas, ouais. Bonne journééée ! »

Et sur ces mots doux, le jeune homme lui adressa un tendre adieu de la main et claqua la porte vitrée dans son dos. Une clochette tinta.
La routine. Pour l’instant.