✗ On a tous un passé :«
Et si on l'appelait ... Nathan ?-
T'es vraiment cinglée. »
•••
Ashley Martin Crossmann, une femme aux longs cheveux auburn et jeune mère de famille, fumait tranquillement sa pipe en feuilletant un article sur les dernières découvertes ufologiques … quand des pas légers vinrent la surprendre. Elle se retourna alors et découvrit Donnel, petit bonhomme blond, qui se tortillait sur lui-même. Un garçon en pleine croissance ne devrait-il mieux pas être au lit à cette heure ?
«
Maman … Pourquoi je suis pas pareil ? »
Quelques rondelles de fumée s’échappèrent de ses lèvres. Elle savait pertinemment de quoi il voulait parler. Leander était encore au travail à cette heure-là, il avait le chic pour être occupé quand leur fils avait ce genre de questionnement existentiel. Mais bon. Elle n’avait plus qu’à ressortir la même phrase bateau.
-
Tu as un don, c’est comme ça mon chéri.-
Mais j'en veux pas ... »
Le petit garçon fixait le bout de ses petits pieds, les poings serrés. Ashley soupira et déposa sa pipe et son magazine avant de se lever. Doucement, elle s’approcha de lui, se mit à genoux et le prit contre son cœur, caressant ses cheveux.
«
Tu sais, maman aurait bien aimé l'avoir, eh ! »
La petite tête blonde se frotta contre le vêtement de sa mère et se dégagea, déterminé :
«
Je peux te le donner si tu veux ...-
Ah ? Comment ça ? »
C’était nouveau. La canadienne suivit des yeux Donnel qui s’en alla vers un tiroir de la pièce d’où il sortit une petite boîte en carton vide. Il en retira le couvercle et la mit donc sur le haut de sa tête avant de commencer à la secouer. Après quelques secondes, il referma vite la boîte comme pour éviter que quoi que ce soit ne s’en échappe pendant l’opération … et la tendit vers Ashley :
«
Tiens. Prends, maman ! »
Elle s’exécuta, prit la boîte et l’ouvrit. Elle la secoua même au-dessus de sa propre tête, s’aspergeant de ce que son fils avait bien pu tenter d’y mettre.
«
...-
... ? »
Donnel ne semblait pourtant pas soulagé et fixait un coin vide de la pièce en recommençant à se tortiller.
«
Maman ... ça n'a pas marché ... »
•••
Certains ont des pères absents, alcooliques, abusifs, violents … Lui avait un père médium.
C’était un don qu’ils disaient ; un fardeau à ses yeux.
Comment vivre normalement quand ce que tu peux voir et même toucher n’est perceptible que par toi ?
•••
Leander Crossmann, un homme dans son uniforme de police aux cheveux s’élevant grâce à la surutilisation de gel vers le ciel comme des épis de blés, rentrait chez lui. Il garait simplement sa voiture lorsqu’un éclair blond sorti en courant de chez les voisins.
«
Et que je ne te vois plus embêter mon fils ! -
Qu’est-ce qu’il se passe, Monsieur Jones ?-
Ah ! Monsieur Crossmann ! Il se passe que votre fils a fait peur au notre en lui racontant je ne sais quelle bêtise sur quelqu’un dans son armoire ! Va falloir mieux l’éduquer ! Il ne va plus dormir, quelle pl-… »
Un bruit sourd. Les cris de la bonne femme de ce cher monsieur Jones dont le nez saignait à présent, écroulé au sol. Ashley avait suivi toute la scène de la fenêtre de la cuisine et ne pouvait malheureusement pas s’empêcher de rire.
•••
Un petit groupe de garçon de sept ans environ avaient envie de se défouler un peu aujourd’hui. Malheureusement, ils furent très vite arrêtés par un souci de poids :
«
Oh non, il nous manque un joueur … -
C’est pas graaave, un joueur en plus ou en moins, on vous rétame quand même !-
Non, non, non ! Il faut suivre les règles ! Hm… Oh ! On pourrait demander à Donnel !-
Donnel ? C’est qui ?-
Lui, là-bas, en train de lire …-
Eeeeh, mais il est bizarre ! J’suis sûr qu’il sait même pas jouer au foot !-
Roh, on s’en fiche … »
Le fils Crossmann était toujours seul, plongé dans les magazines de sa mère ou observant avec envie les autres enfants de la cours de récréation. Là, pour une fois, il semblait en pleine discussion :
«
… Ma maman me raconte beaucoup de choses. Tu connais le Canal du Mozambique ?-
Hey, Donnel ! »
Le blond hoqueta de surprise en voyant que le groupe de garçons de sa classe l’avait encerclé pendant qu’il discutait. Nerveux, il porta sa main à sa barrette et se mit à fixer le bout de ses chaussures, bien que curieux du pourquoi de leur approche.
«
Tu veux jouer au foot avec nous ? Il nous manque un joueur et comme tu es tout seul, on a pensé que …-
… Je suis tout seul ? »
Donnel ouvrit des yeux ronds et passa de son interlocuteur à l’adolescent assis à côté de lui. Son corps se mit à trembler, animé non pas par la peur mais par la colère. Stupidement, il balança sa main dans le vide (ou en plein sur la joue du fantôme, selon le point de vue) avant de partir en courant vers la salle de classe sans autre mot à ses camarades.
«
Hey, mais-…-
Quand je disais qu’il était bizarre. »
•••
Leander s’occupait des courses au moment où il reconnut Donnel, marchant sur le trottoir … Habitué à ce qu’il ne soit pas tellement content de le croiser, le californien ne serait pas sorti s’il n’avait pas remarqué la mine sinistre de son fils et l’ombre qui le suivait. Laissant donc tout en plan, il sortit du magasin à grand pas, foudroyant l’esprit du regard … Heureusement pour lui qu’il le remarqua, car personne n’aurait donné cher de son ectoplasme après avoir croisé les poings du père de famille. Menace disparue, Leander s’enquit :
«
Ça va, Done ? »
Il voulut s’approcher de son fils, le prendre par les épaules, mais celui-ci se dégagea violemment, les larmes aux yeux.
«
Tout est de ta faute de toute façon ! Je te déteste ! »
Avait-il crié. L’homme resta figé devant la déclaration alors que le garçon se remettait à courir vers le chemin de la maison.
•••
«
Hey, hombre. Tu as traumatisé ton père. »
Aucune réaction. La silhouette cachée sous la couette n’avait vraisemblablement plus envie de bouger. Comme c’était agréable de rentrer, accueillie par un homme grommelant dans sa bière et un autre faisant le mort dans son lit. Ashley sauta donc sur les draps et s’installa contre la forme.
«
Ça n’a pas été facile pour lui non plus, eh. »
Toujours pas de réaction. Elle n’en attendait pas tellement, de toute façon.
«
J’aimerais que tu sois gentil avec lui au moins … »
Donnel dégagea sa tête de sa cachette improvisée, virant d’un geste les dernières larmes de ses yeux rougis. Il renifla sa colère et enlaça sa mère.
•••
«
Hihi, Donnel est vraiment trop mignon … j’aime son côté … mystérieux ?-
Erm, à ta place je changerais de crush. Ce mec est louche …-
C’est ce qui est attirant !-
Nan, mais y’a pas mal de rumeurs sur lui et sa famille. Ils seraient tous un peu zinzins.-
Oh ? C’est vrai que sa mère a des goûts étranges en matière de maquillage, mais …-
J’ai entendu qu’elle voyageait souvent pour fumer de l’herbe bizarre. Et que c’est pour ça que son fils a des sortes d’hallucinations. Tu vois sa manière de fixer des espaces vides ? Et puis, moi je reconnais bien les gens qui en ont trop pris, il a trop l’air pété ce mec. On m’a aussi raconté qu’il se bagarre avec l’air et hurle comme un taré et tout …-
… Ah bon ?-
Ouais ouais, trop. Si la mère Crossmann s’est pas fait chopper d’ailleurs, c’est sans doute grâce à son mari. Il est policier, il doit avoir un bon réseau avec la douane ou j’sais pas quoi. Enfin, c’est ce qu’on m’a raconté ! Mais si tu veux mon avis, c’est pas con du tout. »
•••
La maison était incroyablement silencieuse quand Ashley n’était pas là, occupée avec ses conférences d’anthropologie. Chaque homme était dans son coin et ne s’adressaient que rarement la parole.
«
Bière ?-
Hm. »
Leander posa les canettes sur la table et se servit en lasagnes. Donnel n’arrivait pas à ressentir autre chose que de l’amertume envers son père. C’était sans doute bête, mais il n’y pouvait rien. Pendant dix-neuf ans leur relation n’est allée qu’en empirant. Et même Ashley ne put rien y faire, les deux hommes étant de vraies têtes de mules chacun. Combien de nuits passées à consoler son mari de son inaptitude à s’entendre avec son fils unique ? Il croyait être devenu comme son propre père.
✗ Ton arrivée à Euphemia et ta réaction :Le fils Crossmann était rentré chez lui, comme d’habitude, pour se cloîtrer dans sa chambre. Plongé dans le noir, il sauta sur son lit pour décompresser de sa journée quand, soudainement, son portable se mit à vibrer. Dans son répertoire n’apparaissait que des gens de sa famille : le strict nécessaire en cas de problème, quoi … alors c’était rare qu’il reçoive des sms. Mais ce n’était qu’une publicité. Comment avaient-ils eu son numéro, au juste ? Il émit un soupir et balança l’appareil dans un coin.
Cependant les quelques lignes avaient fait de l’effet à Donnel. Hedger Impact, hein ? C’était une société plutôt connue … ce serait idiot et pas très bon pour leur business de faire des pubs foireuses comme ça. Et puis, « changer de vie » … c’était plutôt tentant. Alors, sans plus réfléchir, il répondit positivement au message. Il verrait bien.
Ce n’était pas une blague.
«
Done ? Tu as commandé quelque chose mon chéri ? »
•••
Ils n’étaient plus là. Il ne les voyait plus. Ils n’existaient pas dans ce monde … pas les vrais en tout cas. Enfin, Done était débarrassé de son "don" … Jamais dans sa vie il ne s’était senti aussi heureux … jusqu’à ce qu’il se rende compte que les dernières lignes du sms n’étaient pas là que pour faire joli. Il ne pouvait plus repartir.
On disait bien qu’on ne pouvait pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière, c’est ça ?
Je reviendrai, maman, mais pour l’instant j’ai envie d’en profiter, tu comprends ?