Phyllis piétinait les rues de Crimson District depuis une heure. Elle tournait en rond, et à chaque lampadaire ressemblant suspicieusement à celui croisé dix minutes plus tôt, sa patience s’effilochait. Il n’en restait pratiquement rien. La toiture avait été arrachée à coup de vent, et elle fulminait. Le volcan n’allait pas tarder à suivre.

En adulte responsable ayant organisé ses priorités à son arrivée, la jeune femme avait décidé d’aller expliquer sa façon de penser au maître du jeu – à coups de talons aiguilles, et ils étaient aussi tranchants que l’eyeliner qui décorait ses yeux bruns. Elle hésitait entre le poignarder directement (ce n’était pas son corps, elle pouvait bien faire ce qui lui chantait) et l’assommer avec un candélabre pour le prendre en otage, et lui expliquer sa façon de penser une fois saucissonné à une chaise. L’option la plus dramatique avait sa préférence ; hélas, elle savait qu’elle devait composer avec tous les pouvoirs dont avait dû s’affubler cet escroc. Vu l’animal, il devait pouvoir créer des univers d’un claquement de la main droite et les détruire d’un claquement de la main gauche. Pouvoir se transformer en chauve-souris, peut-être ? Crédible, songea-t-elle avec un œil dégoûté aux façades de mauvais goût des maisons, avec un sens de l’esthétique aussi minable…

On la coinçait dans un jeu, et le paysage n’était même pas beau. Pire, il fallait qu’on la force à traîner dans des culs-de-sac immondes et remplis de pervers. FORCER, oui, s’ils pensaient qu’elle allait se laisser faire ! Aller acheter son pain à la boulangerie, papoter avec ses voisins comme si de rien n’était ? Elle ne serait pas partie à la chasse au trésor pour tout l’or du monde ! Non, non. Elle allait les détruire. Tous autant qu’ils étaient. Ils allaient regretter d’avoir joué au plus fort.

Phyllis était une femme d’action – à son sens – et détestait perdre. Elle avait une mission et comptait la mener à bien. Il suffisait qu’elle trouve la résidence secondaire de ce type, et le tour était joué.

Après quasiment deux heures d’errance et quelques mots d’oiseaux échangés avec des passants excités, elle se retrouva devant un manoir d’une drôle d’allure. Perplexe, elle plissa les yeux, les mains dans les poches de son trench gris. Quoi, c’était ça le grand donjon ? Y avait-il seulement quelqu’un à l’intérieur ? Il n’avait pas l’air gardé, mais… Méfiance. C’était ce que se disaient tous les explorateurs urbains avant de se faire pincer par a police, et elle refusait de se faire embarquer. Discrète comme la souris qu’elle pensait être, elle rabattit ses lunettes de soleil sur son nez et s’approcha du bâtiment à pas de loup. Ne pas passer par l’entrée principale, trouver une issue à l’arrière. Les caméras de sécurité avaient plutôt l’air d’être le trip de Hope Corporation, mais il pouvait avoir une boule de cristal magique à la place.
Elle longea les murs décrépis pour trouver une fenêtre qu’elle fracassa sans remords. Avec des gestes trop précis pour être nouveaux et beaucoup de délicatesse, elle parvint à l’ouvrir et s’y glisser sans faire trop de casse. Il y avait du verre par terre et elle avait poussé un cri en manquant de trébucher, mais elle était toujours debout et son honneur était sauf.

C’était tout ce qui comptait.

Bon. Trouver la loge du magicien, maintenant qu’elle était dans son repaire. Elle sortit sa lampe torche avec le sourire de l’espion à trois plans B et balaya les lieux d’un fuseau déterminé. Hmmm, trop calme… Pas assez glauque, aussi. Où étaient les monstres, les armures enchantées et les pièges à gogo pour taillader tous les invités indésirables ? Peut-être plus loin.

Elle s’aventura le long d’un couloir, ses talons claquant bruyamment contre le sol à chaque pas. Errrh, zut, elle y avait pas pensé. Pour la discrétions, on repassera.

Si seulement elle avait été inspecteur Gadget.