Oui, bon. Quitte à finir derrière les barreaux quoi qu'il en soit, il aurait peut-être dû se tenir tranquille et obtempérer, songea-t-il, fatigué par la chute d'adrénaline et les signaux de détresse que lui envoyaient ses muscles endoloris. Ne serait-ce que pour s'éviter l'arrestation manu-militari. Des bleus, il en avait bien assez comme ça ; merci mais non merci. Qu'on le laisse revenir dans le temps et passer son tour.
Ça faisait un petit temps qu'il n'avait pas roulé contre le goudron, mine de rien. On rouille vite. Difficile de s'en rendre compte sans s'y remettre, ceci dit, alors il n'y avait jamais prêté qu'une moitié d'attention paresseuse ; d'autant qu'après tout, P0rnstar était gentil. P0rnstar ne se battait pas. P0rnstar était drôle et ne criait pas.
Il avait vraiment tout fait pour ça.
Encore raté, crétin. T'as tout faux. Lol.
Alexander le sentit, en tout cas, le manque d'exercice, quand un brave garçon lui tira le bras et qu'il se sentit obligé de pousser un râle outré face à tant de brutalité policière — il connaissait ses droits, hein, on ne l'aurait pas comme ça.
L'autre n'eut pas l'air très ému par ses jérémiades. Interdit de se battre sur la voie publique, et interdit de déranger les gens sur la voie publique, et interdit de faire du bruit la nuit sur la voie publique, et bla, et bla, et bla. A croire qu'on ne pouvait rien y faire, sur cette foutue voie. Menotté, bringuebalé comme un soulard trop réticent, Alexander ne put s'empêcher de noter l'ironie de la chose. Toute cette histoire de "ne pas se battre en public" puait l'hypocrisie à plein nez. Il s'agissait juste de ne pas déranger les mœurs, souffrir caché et mourir en silence ; respecter le droit des autres à la paix en ne les forçant pas à admettre que, mon dieu, non, ils ne voulaient ni voir de violence ni devoir détourner les yeux lorsqu'elle se présentait devant eux. Ne rien faire, une fois le problème sous les yeux, c'était encore décider de ne rien faire. Mieux valait ne jamais croiser la route du malheur.

La règle s'appliquait à une vaste majorité, remarquez. Il pouvait comprendre. Chacun ses affaires.

Malheureusement, ce soir, ç'avait été pas de chance pour quelques-uns. L'honnêteté brutale, il en faisait son affaire ; madame monsieur bonsoir, voici le monde et je viens casser les dents d'un inconnu sous vos stores entrouverts. Merci et au-revoir. J'accepte les paiements en espèce et en nature — surtout en nature.
Devant la perspective tout sauf ragoutante de passer la nuit en cellule pour "réfléchir à ses actions et se calmer un peu", dixit monsieur le policier, Alexander envisagea un bref instant de lui proposer une autre manière plus intéressante de passer le temps avec cet uniforme et ces menottes. Un risque sur deux que ça lui vaille des problèmes en plus, d'accord, mais surtout un risque sur deux qu'il soit totalement partant et le laisse filer après. Il n'était pas non plus au-delà de profiter d'un moment de confusion pour attacher le pauvre type et se barrer en riant.
C'était un de ces soirs-là, noirs et opaques, presque poisseux, où tout aurait pu lui arriver qu'il n'aurait pas su comment s'en moquer plus fort. Ni conséquences ni risques encourus ne l'atteignaient ; il voulait sa poubelle, en avait marre de tout, de n'importe quoi, de rien, ses poings irrités le lançaient et personne n'accepta de le croire quand il répéta "j'ai rien fait, monsieur l'agent" d'une voix trainante et étudiée pour irriter les nerfs de toute figure d'autorité alentours.
Quoi qu'en dise son joli sourire innocent, il ne fut pas le moins du monde étonné qu'on le pousse gentiment vers les cellules.
Ce qui le fit tenter d'agripper les barreaux sur un grognement un peu triste et pathétique, en revanche, fut de voir la tête de son colocataire.

Nope nope nope.

« Vous pouvez pas me laisser avec luiiii, geignit-il, nez plissé entre deux barreaux. Il a voulu tuer ma poubelle. »

Et il aurait dû se douter que de simples mortels ne comprendraient pas la profondeur d'un tel drame, mais malgré tout, joue contre le métal froid, il se sentit profondément blessé de se faire ignorer à ce point. On détache tout le monde, trois petits tours de clefs et puis basta ; on en reparle plus.
Histoire de, il tira sur les barreaux façon criminel en colère.
Putain de claquement de doigts. Il aurait dû y penser quand l'autre débile était encore là, merde. Quelques jurons colorés filèrent entre ses dents jusqu'à ce que, las, il ne finisse par couler un regard méfiant derrière lui.

Si le type le saoulait, il jurait devant tout les Dieux de l'Acrotruc qu'il faudrait le changer de cellule avant de devoir appeler une ambulance.

Déjà fatigué de plisser les yeux façon mec méfiant, il décida de plutôt froncer les sourcils en mode chien méchant prêt à mordre. Ou à aboyer. Ou les deux. Les vieux adages ne le concernaient pas, d'autant qu'il n'avait rien d'un vieux cabot ; s'il voulait hurler puis tabasser, c'était son droit le plus strict. Personne ne l'en empêcherait.
Enfin, techniquement, si. Il imaginait mal les policiers ou chevaliers ou peu importe quoi se tourner les pouces devant la télé pendant que les prisonniers s'écharpaient gaiement. Ça n'aurait pas été très citoyen, tout ça. Ils étaient censés veiller au bien de chacun, même des plus cruels tapageurs nocturnes. Songeant cela, Alexander fit glisser son regard sur les deux bancs bien durs qui composaient la majorité du mobilier de la cellule. Ils auraient pu faire un effort sur le confort, hein. S'il ressortait de là avec le dos en compote, il jurait de porter plainte vite fait bien fait.
Et l'autre abruti qui lui faisait sa tête d'il-ne-savait-trop-quoi, là. Il manquait plus que ça, tiens.
A peine conscient que c'était en partie à cause de la totale incompréhension entre sarcasme et susceptibilité brute qu'ils en étaient là, il entreprit de fusiller l'ombre chinoise du regard. Il aurait tout aussi bien pu rire et tenter de retourner la situation à son avantage en le gênant lui, quitte à se prendre un coup (à moins qu'Euphemia ait attiré un public spécifique, il risquait tout de même plus de tomber sur un hétéro offensé qu'autre chose), mais son humeur de chien et les bleus douloureux à son ego le lui refusèrent aussitôt. Il ne l'approcherait pas, il ne lui parlerait pas, il ne lui ferait même pas le plaisir de s'énerver ou de le frapper. Il allait l'ignorer, faire comme si de rien n'était et s'il se mettait à monologuer ou à venir lui chercher des noises, il se contenterait de chanter bien fort et bien faux — comme ça, tout le monde dans cette foutue prison pourrait le remercier d'avoir égayé leur putain de nuit.

Satisfait de son plan sans failles, Alexander lâcha donc les barreaux, épousseta ses vêtements et partit s'asseoir puis s'allonger sur le banc libre, dos tourné à l'autre hurluberlu.
Voilà. Parfait. Cool et détaché, mature et on ne peut plus sous contrôle. Personne ne pourrait lui reprocher d'avoir empiré ou provoqué la situation s'il se tenait sage comme une image.
Pas sûr qu'il réussisse à tenir longtemps sans rien dire ni rien faire, énervé comme il l'était, mais ça ne coûtait rien d'essayer. Si l'autre en avait marre du silence avant lui, il aurait gagné.
Et il ne savait même pas ce qu'il aurait gagné précisément ; juste qu'il aurait gagné. C'était comme ça que ça marchait, non ? Les petits crétins tellement plus intelligents et calmes que lui adoraient le lui rabâcher. "Oh, t'as craqué." "Y'a que les faibles qui utilisent la violence." "T'es énervé ? Ouhhh, pauvre toi."
Il ne supportait pas ces gens-là.

« T'es un sale crétin. J'espère que t'es fier de toi. »

Dit sur ce ton-là, on ne pouvait que le croire.
Il avait l'air plus déprimé qu'autre chose.

A la réponse de son ennemi juré du soir, Alexander s'entendit grogner quelques insultes inintelligibles dans sa barbe. Pour quoi ? Bonne question, tiens. Pourquoi pas pour tout et n'importe quoi sale enfoiré je te déteste cordialement casse-toi ; ça sonnait bien, non ? Ça sonnait même putain de bien.
Ils avaient fini en taule. Il avait perdu sa poubelle. Il aurait pu casser sa caméra. Son trépied. Il s'était fait mal. Il s'était donné en spectacle. Il aurait pu vraiment blesser ce crétin.
Vraiment.
A cette idée, ses yeux se fermèrent suffisamment fort pour qu'il en voit de petits points blancs danser contre le noir semi-opaque de ses paupières. Ça pouvait sembler bizarre, vu sa propension à la fête, à l'alcool et au bruit, mais il n'était pas du genre à finir en garde à vue. Pas du genre non plus à se mettre dans les ennuis et à lever le poing pour si peu ; P0rnstar, à défaut d'Alexander, était censé savoir se tenir un minimum.
Raté de chez raté, hein. A la surprise générale, il n'était même pas foutu d'avoir un minimum suffisant. Grande nouvelle. Murmures de la foule estomaquée et cris d'effrois.

Ha ha ha.

Plus très sûr d'en quoi casser la gueule de l'autre débile lui avait semblé vital et pertinent sur le moment, Alexander décida de ne plus y penser. Ça n'enlèverait rien au stupide de l'acte, mais s'il oubliait qu'il avait été stupide, alors tout ça s’effacerait un peu, d'une certaine façon. Le raisonnement restait à trois cent pourcent erroné, mais vive les demeurés et leur mémoire de poisson rouge ; il n'était pas obligé de s'en rappeler. Avec un peu de chance, ça ne lui gâcherait pas plus que la soirée.
Regard tourné tant bien que mal vers les barreaux, méfiant, il débattit quelques secondes avec sa conscience avant de ne redresser souplement le dos.
A un moment donné, autant être honnête envers soi-même : il ne tiendrait pas dix minutes à jouer au roi du silence. Il n'avait jamais été bon à ce jeu-là et ce n'était pas prêt de changer.
Les émotions tout comme la réflexion tendaient à lui délier la langue avec une efficacité que beaucoup lui enviaient (excepté ses professeurs).

« Ouais, eh ben sois fier tant que tu peux. Un autre jour je t'aurais refait le portrait et même ta mère t'aurais pas reconnu. »

Vaguement conscient que ce genre de discours ne le desservait pas, bien au contraire, il se rallongea comme une masse dos contre le banc. S'il ne le voyait plus, peut-être qu'il n'aurait plus autant envie de lui asséner dix menaces à la seconde.
Il avait beau se répéter que "la violence c'est pas bien, tu sais très bien comment ça finit quand tu pètes un câble", il lui restait comme une notion de fierté à l'idée de pouvoir démonter la nuque de quelqu'un d'autre. Il ne s'en débarrasserait probablement jamais, à ce stade.

« Ça t'aurais appris à défoncer des poubelles et à crier au viol. T'as putain de la chance », grommela-t-il, furieux de nouveau.

Question tactique pour rester calme et composé, il repasserait. L'idée que cet abruti congénital ait pu crier au viol sans raison le tendit à nouveau comme un arc, de bas en haut, pas moins nerveux qu'un joueur de baseball prêt à faire un homerun ; dans cet état-là, il ne s'écoutait plus.
Heureusement que quelqu'un avait appelé la police, au final, parce qu'il avait vraiment sorti le pire truc possible pour le mettre hors de lui. C'en était presque de l'art, sachant qu'ils ne se connaissaient pas.

Il n'aurait parlé de cet incident à personne, ceci dit, alors ça réglait le problème.

Oh, me cherche pas, grinça P0rnstar à la mention de chirurgie gratuite. Il lui aurait tellement bien mis la tête au carré qu'il aurait dû revenir chercher ses dents le lendemain, s'il était encore capable de marcher. Satisfait ou remboursé ; s'il en avait pas eu assez, il se ferait une joie de recommencer.
Et c'était glauque. C'était inapproprié. Mais s'imaginer tabasser des trucs et des machins et des êtres humains lui donnait un tout petit peu l'impression de l'avoir fait ; c'était cathartique, ou un truc comme ça. Il avait dû voir ça en cours, un jour, mais allez savoir quand. S'ils avaient donné des leçons sur le contrôle de soi et comment gérer sa colère lorsqu'elle déborde, au moins, il n'en aurait pas été là. Répéter des accords bidons et essayer de se souvenir de ses tables de multiplication n'allait pas l'aider à sortir de cette putain de prison. Six fois sept putain tuez moi j'en peux plus de rien.

« Ouais, cracha-t-il, portrait même du jeune homme poli et courtois ayant atterri là par erreur — lol. Je traite mes poubelles avec vachement de classe, okay ? Je suis un putain de gentleman. Toi, je t'ai dis d'y faire gaffe et tu l'as démolie. Connard. »

Sur le coup, ça l'énerva tellement qu'il se tourna face au mur, jambes balancées n'importe comment sur le banc. C'était tellement inconfortable qu'il se demanda s'il ne vaudrait pas mieux dormir par terre, carrément. Il l'avait déjà fait ; ça lui rappellerait de bons souvenirs.
Enfin, bons. Vite fait. Des souvenirs, quoi.
Cinq secondes plus tard, il grognait des insultes inintelligibles et roulait sur le dos pour la millième fois.

« Je lui grimpais juste dessus. Je fais ça super bien », ajouta-t-il entre ses dents, pas trop sûr d'en quoi c'était une qualité mais persuadé de la pertinence légendaire de chacun de ses mots.

Il changerait d'avis en y repensant, quand il se demanderait pourquoi il s'était senti obligé de se justifier et d'insister sur le fait que oui, il traitait bien sa poubelle, mais pour l'instant ça ferait l'affaire. Pas le temps de réfléchir ; son corps dopé à l'adrénaline lui hurlait d'agir. Et puisqu'il ne pouvait pas casser la figure de l'abruti ou défoncer les barreaux de la cellule, il se retrouvait à taper des pieds et à bouger sans savoir quoi faire de ses jambes et de ses bras. L'électricité lui courait dans les veines ; il avait chaud. Froid. Crispé et rigide de haut en bas.
Comme rester allongé le saoula très vite — sans surprise —, il se rassit puis se releva. Quelques pas décidés le ramenèrent près de la sortie, close et archi-close, et il tira sur les barres en ferraille suffisamment fort pour se faire mal aux coudes et aux poignets.

Le bras droit protesta avant le gauche. Il eut envie de le démolir contre un mur, mais ç'aurait été un peu contre-productif, alors il se ravisa. La mort dans l'âme, soit, mais il se ravisa.

A la place, il cogna son front contre le métal froid.

Savoir sa poubelle seule et maltraitée le déprimait plus que ça n'aurait dû. Clairement, il y avait d'autres problèmes derrière son éclat qu'une affection disproportionnée pour sa meilleure amie tout terrain ; les psys auraient adoré. Mais lui il était bête, et il était fatigué, et il s'en fichait royalement et il voulait juste retrouver ses affaires.
Et le premier qui lui dirait que ce n'était pas normal d'avoir envie de pleurer ou de tuer quelqu'un pour une poubelle, il le pliait en huit.

Roh, démolie, démolie. C'était vite dit. Ça n'allait pas être ces paroles-là qui le ferait changer d'avis et fondre en excuses arrosées de larmes. Bouhouhou.
Malgré tout, Kai n'était pas insensible à la détresse de son camarade de cellule et il se demandait toujours si les policiers avaient fait ce qu'il leur avait demandé au final. Ces derniers ne lui devaient rien, mais ça le saoulerait quand même qu'ils n'aient rien fait pour la pauvre demoiselle de fer.
Le canadien lâcha un soupir et passa une main dans ses cheveux pour s'éclaircir un peu les idées. Il continuait aussi de suivre des yeux les agitations du P0rnstar qui s'avéraient relativement divertissantes. Tant d'énergie en lui.

« Je lui grimpais juste dessus. Je fais ça super bien. »

Ah bah ça, Kai n'en doutait pas. L'autre marquait un point pour le coup. Comme de son côté ça ne l'intéressait pas, ce genre de chose, il ne pouvait pas être jaloux mais savait apprécier l'effort. Si ses partenaires de tango (principaux intéressés) étaient satisfaits et que P0rnstar aussi, bah, c'était le principal. Le hibou leur donnait sa bénédiction, qu'ils en aient quelque chose à foutre ou non.

« T'inquiète, cupcake. On va la retrouver ta poubelle, je te le promets. »

Ouais. Fini de glander, il avait envie de passer aux choses sérieuses. Tout ce calme environnant était pour lui rien de plus qu'une invitation à sortir. Qu'est-ce que ça pouvait être d'autre ? Après que l'autre veuille bien le suivre ou non, la balle était dans son camps. Quoi qu'il arrive, Kai comprendrait qu'il ne lui fasse pas confiance et préfère se la jouer solo. Il n'avait pas d'affaires spéciales à récupérer, à priori, mais le hibou tenait à savoir si la poubelle était saine et sauve quand même.
Du coup, il se retourna pour faire dos aux barreaux afin de mieux faire face à son interlocuteur et lui montrer par la même occasion qu'il ne rigolait pas. Même si son expression restait neutre.
Il ne s'approchera pas et n'ira pas le consoler avec une tape sur l'épaule cependant. Pas fou à ce point.

« On s'évade et on va la chercher. »

Le ton de sa voix ne collait définitivement pas avec la motivation dans ses mots mais, eh, c'était l'intention qui comptait, non ?

Cupcake McSweet ne réussit même pas à s'offenser de sa condition de pâtisserie trop sucrée trop colorée. Il aurait eu de quoi, pourtant. Il ne ressemblait pas à un cupcake. A aucun niveau que ce soit.
Mais bon ; comparé à ce qu'ils s'étaient sortis avant, ça restait mignon. Et vu qu'essayer de faire repasser la colère au-dessus de la dépression et du blues de fin de soirée lui demandait déjà vachement d'efforts, le petit surnom mignon eut vite fait de passer à la trappe. Savoir qu'il avait une chance de retrouver sa poubelle, ça l'intéressait déjà beaucoup plus.
Le problème, c'était qu'il ne le croyait pas le moins du monde. Front bien collé aux barreaux, poings crispés sur le métal froid, il souffla par le nez en silence. Il allait retrouver sa poubelle et il n'avait pas besoin qu'on lui promette quoi que ce soit, parce qu'il s'en fichait et qu'il n'était pas vulnérable ni triste ni rien du tout — et merde, à la fin.
C'était de sa faute d'abruti s'ils étaient coincés là. Il n'avait rien fait, lui. Juste défendu son honneur et celle de sa poubelle. Pas sa faute si un branquignol avait décidé de venir lui gâcher la soirée en venant taper dans ses affaires et son ego. Il aurait dû se douter que ça finirait mal. Il virait con, quand on le faisait chier.
Pas que, d'ailleurs. Mais bref.
Pas de sa faute et pas besoin d'aide.
Regard sur le côté, l'air à peu près aussi aimable qu'un chien militaire prêt à arracher le jarret de quelqu'un, il ravala la boule dans sa gorge. C'était terrible, quand même. S'il avait bu, encore, il aurait compris de virer émotif comme ça — il avait l'alcool honnête, on va dire — mais là ? Aucune raison. Tout allait parfaitement bien, merci monsieur l'agent. Des crétins, il en croisait tout le temps.
Ah. Pas ici.
Vrai que depuis son arrivée à Euphemia, il avait réussi à rester plutôt gentil.

Foutus miracles.

« On s'évade et on va la chercher. »

Hin. Sa tête pencha un peu sur le côté, juste histoire de mieux voir celle que tirait l'autre gus. Non parce que c'était bien mignon de l'inclure dans ses grands projets — totalement motivés par la miséricorde et le besoin de se racheter, ben oui, bien sûr — mais il comptait faire comment, au juste ? Leur demander de les laisser sortir en leur promettant d'être sage ? Ça ne marchait déjà pas dans la vraie vie, alors ici, il doutait carrément que les algorythmes et les machins soient prévus pour accepter des demandes pareilles.
Et puis ça, c'était sans compter la possibilité d'avoir des vrais joueurs stationnés dans les coins.
En bref ? Pas gagné d'avance. Surtout s'il s'attendait à ce qu'il le croit sur parole.

« Ah ben oui, pourquoi j'y ai pas pensé plus tôôôt, singea-t-il, chiant à souhait. Et on s'évade comment, hein ? On tape sur les barreaux jusqu'à ce qu'ils viennent nous ouvrir tellement ils en pourront plus ? »

On ne sait jamais. Ils finiraient peut-être par en avoir marre.
Utiliser son pouvoir ne lui passa pas par la tête. Ils devaient être annulés, en prison, pour ce qu'il en savait. Il ne pensa pas à vérifier.

« T'as qu'à crier au viol, au pire. Ça tu sais faire, grommela-t-il, amer. Comme ça moi je reste là et toi tu te barres. Ensuite tu me piques ma poubelle et tu reviens taper dessus devant ma cellule pour me narguer. »

Non parce que oui — c'était comme ça que ça allait se passer, forcément. S'il faisait mine de vouloir l'aider, c'était forcément pour retourner ça contre lui. Il ne voyait pas d'autre explication.
La bonté humaine ? Nan. Changement d'avis ? lol. Essayer d'allier leurs forces pour mieux se sortir du même problème ? mdr. Complot mondial pour l'empêcher d'être heureux et de vivre une vie satisfaisante avec sa caméra et sa poubelle ?
Totalement probable.

Il ne s'était pas attendu à des larmes d'espoir et des remerciements à profusion mais, quand même, Kai pensait qu'il méritait un peu plus de respect que ça. Certes, son allure de crevette sortie de randonnée n'impressionnait sûrement personne mais voilà. Oui, il n'avait rien de plus à dire.
Du coup, face aux déversements de sarcasmes que lui offrit généreusement P0rnstar, Kai répondit avec des roulements d'yeux et un soupir agacé. Allez princesse, je te laisse te plaindre si ça te fait plaisir.
Il avait envie de lui dire que peu importait bien ce qu'ils allaient faire, dans tous les cas ce serait mieux que rien. Cependant, attirer de la bonne compagnie était une chose mais ils n'auraient aucune chance face à eux. Ce n'était pas un film d'action où il pourrait faire une prise de karaté pour assommer les policiers. Éventuellement, il pourrait toujours essayer de jouer les ninjas et voler les clés accrochées à la ceinture d'un des mecs mais, là encore, il n'y croyait pas trop.
Face à ces possibilités, son idée à lui ne semblait pas plus cohérente, en fait. Est-ce que ça allait marcher, déjà ?

« Ouais, ça m'a l'air d'être une idée intéressante. J'y penserai la prochaine fois. »

Fit-il nonchalamment en rejoignant son côté de cellule. Kai posa alors sa main sur le mur et se concentra pour l'y faire entrer. Un sourire de triomphe se dessina sur son visage lorsqu'elle passa au travers, rejoignant le pays des ombres. Donc les cellules n'étaient pas du tout pensée pour bloquer les pouvoirs de leurs résidents. Un oubli ? Un bug ? Dans tous les cas, c'était risible et ça l'arrangeait bien. Le malfrat du dimanche passa donc totalement de l'autre côté, se transformant en ombre dans le mur et put ainsi passer à travers les barreaux via ce dernier. Sans tarder, il en ressortit et se mit en face de la cellule.
Bien sûr, il ne prit pas la peine de cacher son air fier et siffla son ex-compagnon comme on sifflerait un gentil toutou — même si celui-là tenait plutôt du chien méchant. Et puis comme il n'y avait rien de mieux que le geste pour se faire comprendre par les bêtes du genre, Kai agita ses bras en claquant des doigts façon danseur de flamenco.

Ne pas se reprendre de l'agressivité en retour frustra Alexander plus qu'autre chose. Il aurait pu lui grogner dessus, au moins. Comment il était censé "extérioriser son trop-plein d'agressivité" sans quelqu'un à insulter ou à taper, hein ? Hurler en continu sur un mur en mousse, même lui ça finissait par le saouler. Il n'avait pas autant de patience que ça.
Même pas de punching ball dans le coin, grommela-t-il entre ses dents. Il avait intérêt à trouver un truc à défoncer ou un autre sujet dramatique pour lui occuper la tête, parce que sinon ça allait lui retomber sur l'estomac — et avoir la gerbe, ça lui disait trop rien. Surtout si c'était vaseux et triste. Il détestait se sentir triste.
Pourquoi il lui avait pris sa poubelle, aussi ? C'était sa meilleure poubelle. Il lui avait promis la grande vie. S'il n'était même pas capable de tenir ses promesses à un joli tas de ferraille, personne voudrait jamais rien lui confier d'autre. Ni chien, ni plante, ni responsabilités.
Son avenir de star du porno se précisait. Au pire, il lui restait la rue. Plein de poubelles avec qui faire ami-ami, dans la rue. Super job. Super endroit.
Sa joue allait finir par fusionner avec les barreaux, s'il restait comme ça. Et ça faisait peut-être dix secondes qu'il ne disait plus rien, cinq que l'autre avait jeté son idée façon adulte responsable, mais il réussit quand même à s'inquiéter sur l'état de ses cordes vocales. Rester silencieux avec quelqu'un d'autre à deux mètres de lui, ça tenait de l'exploit. Limite impossible. Il sentait sa présence ; se mordre la langue, ça marchait jamais bien longtemps.

« Bon, o... »

Tête tournée, il resta fixer l'arrière de la cellule.
... kay.
Plisser les yeux ne fit pas réapparaître l'autre enfoiré. Il avait juste carrément disparu, quoi. Sans pression. Son pouvoir lui était plus que sorti de la tête ; même en essayant de s'en souvenir, pas dit qu'il aurait été capable de le retrouver. Du coup le mec s'était barré en passant à travers le mur ou en fondant dans le plancher, pour ce qu'il en savait — et si ça ne l'étonna pas à mort, ça le paniqua quand même un peu.
Plus déprimant que se retrouver en garde à vue ? Se retrouver en garde à vue seul.
Heureusement pour son moral en berne, il ne le resta pas longtemps.
Au premier pas à résonner dans son dos, ses pieds pivotèrent dans l'autre sens. Main sur la grille, il fit la grimace à Houdini. Aucune idée de comment il avait fait ça, mais putain ce qu'il le faisait chier — et il foutait quoi, maintenant, hein ? De la salsa ? Il allait rester là à se foutre de lui jusqu'à ce qu'il — oh, wait.
A force de le voir claquer des doigts, il pensa aux siens. Petit miracle en soi. Comme quoi le geste avait du bon ; il n'y aurait jamais pensé, sinon.

Un claquement sec et un bref tournis plus tard, il se retrouva de l'autre côté de la grille.

« ... Putain, wow. Ils sont cons. »

Pour leur défense, il n'aurait pas pensé à les désactiver non plus. Les pouvoirs. Puis c'était une prison en toc pour des faux délinquants,  hein. C'était juste là pour faire plus réaliste, à priori. Ou pour ceux qui aimaient se faire maltraiter par des beaux policiers tout en cuir. Il comprenait le délire. Il aurait adoré malmener des types menottés, lui aussi.
Mais bon. Pas le sujet. Concentration, Alex.

« Tu ferais pas aussi lampe-torche et passe-muraille, tant que t'y es ? Nan parce que bon. »

Il songea vaguement que ce n'était peut-être pas le but de son nouveau meilleur ami pour la vie, de le faire sortir, mais tant pis hein. Il était resté en face. Content ou pas, c'était free real estate. Il connaissait son pouvoir.
Parce qu'il avait encore un petit peu d'honneur et d'instinct de conservation (un peu), il attendit quand même de voir s'il le rejoignait — et si oui, s'il se barrait gaiement dans les murs en le laissant se démerder ou non.

Ouh. Kai se sentit quelque peu désorienté après la téléportation du finlandais qui l'avait ramené sans ménagement à son point de départ. C'était le plan, mais même lui ne pouvait s'offrir que des moments agréables. On ne faisait pas d'omelettes sans casser des œufs de hibou, malheureusement.
Main sur le front pour aider son vertige à passer, il lâcha un grognement de mauvaise humeur aux tirades du nouvel évadé qui n'avait pas non plus eu la décence de baisser le volume. Pourquoi pas sortir les feux d'artifices, tant qu'à faire ! Et puis le mégaphone pour chanter les louanges du saint père. Lorsque Kai se sentit un peu mieux, il laissa bien échapper un soupir sonore et refit le même manège qui lui avait permis de sortir en premier lieu.
Maintenant, l'autre connaissait son pouvoir. Du moins, il supposait qu'il l'avait plus ou moins compris. Le garçon n'était cependant pas sûr que P0rnstar puisse faire quoi que ce soit de nuisible avec cette information, alors il laissa couler. Pas que c'était un secret d'état non plus, mais il aimait bien qu'on en sache le moins possible sur lui. Comme le super hibou edgy qu'il était.

« Désolé que mon pouvoir qui vient de nous sortir de là ne suffise pas, ô mon bon monsieur. »

Fit-il avec de larges gestes du poignet pour accompagner son cinéma. Eh non, ça n'allait pas être cette petite évasion des familles qui allait aider les deux garçons à devenir les meilleurs amis du monde. Les câlins, ce serait peut-être pour une prochaine fois (et certainement avec plus de violence et des tentatives de morsures). En tout cas, et à moins que P0rnstar ne voit les choses autrement, leur duo allait encore devoir se supporter un peu. D'une part pour sortir, mais avant tout aussi pour récupérer leurs biens. Si la police avait été assez stupide pour ne pas annuler les pouvoirs des résidents, elle s'était montré assez chiante pour les racketter de leurs biens.
Prenant les devants comme s'il savait où il allait, Kai prit les devants et s'engagea dans le couloir d'en face après s'être tourné vers son partenaire improvisé :

« Bon, maintenant tu te fais discret, Cap'taine Paillette. Ce serait dommage qu'on se fasse repérer si vite. »

L'idée aurait été marrante, mais sa perspective le fatiguait déjà beaucoup. Pour sûr, si le brun levait une quelconque alerte et rameutait le peuple, le canadien s'envolerait fissa vers d'autres cieux sans demander son reste. Il n'avait aucune envie de se battre ou de mettre trop d'efforts dans tout ça, surtout s'il n'y était pour rien.
Tendant l'oreille, Kai se colla contre le mur comme ces gens dans les films d'espionnage. Il commençait à s'y croire.

P0rnstar leva les yeux au ciel. Serra les dents. Crispa et décrispa les phalanges. Ses excuses craignaient grave, en plus de sonner fausses, mais il était un dieu bon et généreux. Il ne lui en tiendrait pas rigueur. Qu'il s'estime heureux, hein — personne ne lui avait interdit de lui faire une clef de bras et de le renvoyer dormir dans la cellule.
Ça aurait été carrément contre-productif (l'autre débile ne se serait pas laissé faire, et au final ils auraient tous les deux finis en taule une seconde fois), mais réfléchir n'était pas son fort. Surtout quand on le fichait en rogne. Fallait pas trop lui en demander, non plus.
Une petite voix à l'arrière de sa tête s'usait à lui gueuler que si t'es sarcastique va pas te plaindre qu'il te le rende, chéri ; mais lui ne voyait pas les choses comme ça — ou pas tout à fait — pas suffisamment — alors il se contenta de l'assommer d'un coup net de "j'ai toujours raison alors la ferme".

Très mature, P0rn. Très fin. Whatever.

« Bon, maintenant tu te fais discret, Cap'taine Paillette. Ce serait dommage qu'on se fasse repérer si vite. »

Cap — okaaaay, d'accord. Il voyait bien le genre. Cupcake Paillette blablabla, très mignon. Il allait se manger ses paillettes dans la figure dès qu'ils seraient sortis, l'autre rigolo. Ça lui ferait peut-être passer l'envie de l'appeler n'importe comment. Capitaine POUBELLE, à la rigueur, il aurait compris. Mais paillettes ? Nan. Il était pas d'humeur paillette, là. Il avait pas gagné le droit de l'appeler autrement que "mon bon monsieur". Et c'était déjà bien.
Encore à peu près conscient que se mettre à le secouer en hurlant risquait de rameuter du PNJ et du joueur sadique (pourquoi s'emmerde à être policier, sinon ?), il se contenta de grommeler entre ses dents. Ses mains allèrent instinctivement dans ses poches. Pas très pratique si on leur sautait dessus, mais peu importe. Ils étaient tous débiles, ici. Aucun risque de perdre une bagarre contre un tas de codes mal foutus par Monsieur Tr0p D4rk en personne.
N'empêche qu'il s'était fait embarquer quand même. Occulter allait devenir sa tactique de survie numéro un, si ça continuait.
Un pas derrière son compagnon de misère, P0rn se pencha en avant pour essayer d'y voir quelque chose. Puis se dit que ça ne servait à rien — il était petit et myope, okay, mais pas aveugle — et préféra plutôt se tourner pour vérifier que personne ne débarquait de derrière.

« Alors c'est quoi, le plan ? grommela-t-il à voix basse, entre ses dents. On attend qu'ils soient tous torchés et on passe entre eux ? »

Grande idée. Il pouvait aussi tout simplement se glisser jusqu'au hall et cliqueti-clac jusqu'à la porte, mais il risquait de vomir avant d'avoir pu l'atteindre. Il ne pouvait pas l'utiliser quinze fois de suite sans finir les tripes dans le fossé.
Le truc tragique, dans cette histoire, c'était que l'autre mongole n'aurait eu aucun problème à se barrer tout seul. Et si ça partait en cacahuète, il n'aurait aucun mal à se glisser dans le mur et à se faufiler jusqu'à la porte.
C'était lui qui finissait coincé, dans l'histoire.
Sa poubelle lui manquait. Sa caméra aussi.

« Ils l'ont foutue où, ma caméra ? » Sur les nerfs, il se pencha jusqu'à presque s'appuyer sur son petit pote à lunettes. « Je pars pas sans ma caméra. »

Très utile. Et très discret, aussi — il faisait de son mieux.
Si quelqu'un devait distraire le peuple, vu leurs pouvoirs respectifs, ça allait tomber sur lui. Autant se préparer mentalement.