Le Doc' avait eu peur de rester coincé dans le conduit de la cheminée, surtout que l'oreiller qu'il avait coincé dans son déguisement ne l'aidait pas franchement à glisser tout en souplesse ; il avait fini par le laisser tomber, songeant qu'en cas de chute, il ne se romprait pas le cou sur le champ. Toujours voir le bon côté des choses, même à moitié coincé dans un conduit bizarrement propre pour la saison. Bhaaa, c'était un jeu vidéo, personne n'avait dit que tout était parfait...
Avec une grâce approximative, Louis se laissa choir dans le foyer, ses genoux miraculeusement épargnés par l'oreiller susmentionné. Il secoua la tête et les jambes pour se débarrasser d'une suie imaginaire, puis tendit les bras, au bout desquels reposaient biscuits et bouteille de champagne (aka jus de pomme pétillant, d'une marque que l'on ne mentionnera pas – on laisse le tout à votre imagination). Son costume de Père Noël faisait bien mince sans sa grosse bedaine faite maison, mais dans la vie, il fallait savoir faire des sacrifices. Et puis au fond, qu'en savait-il, hein ! Lou les aimait peut-être minces.

Whatever, comme l'auraient dit ses chers amis anglophones. Le garçon sortit en titubant de la cheminée, tout en prenant garde à ne pas s'écrouler dans les rangées de vêtements qui se dressaient sur son chemin. Même amortie, il avait fait une sacrée chute ! Au moins deux mètres, de quoi lui briser net les deux chevilles.

« Joyeux Noël en retard, Lou ! Ça te dirait de sortir avec moi ? »

Louis allait enfin pouvoir vérifier si la barrière de l'âge, que son père avait plusieurs fois négligée, était si infranchissable que ça.

Sur le coup, l'oreiller attira son attention sans la retenir. Fait dont elle comptait bien s'inquiéter plus tard, parce que ces trois secondes de latence entre la surprise et l'horreur auraient très clairement pu la tuer si l'oreiller avait été rempli de bombes ou d'explosifs en tout genre – c'était possible, hein, on ne sait jamais. Ça avait déjà du arriver. Quelque part. Dans le monde. Un jour.
Dorénavant obnubilée par le pourquoi du comment un oreiller avait pu se retrouver dans le foyer de SA cheminée, Lou s'appuya prudemment sur le comptoir. Pas parce que le meuble risquait de la protéger dans le cas très probable où le terroriste déciderait de suivre la TNT, mais elle se connaissait ; si un truc venait lui faire peur (comme une mouche ou un papillon, vu sa tension frôlant la pointe de la Tour Eiffel), patiner et tomber seraient ses premiers réflexes.
S’assommer venait ensuite, Dieu merci. Ça lui évitait d'avoir honte sur le moment.
Procrastiner sur les trucs désagréables ne l'avait jamais dérangée.

Qu'un petit blond fasse « pouf » dans la salle, en revanche, c'était super dérangeant. Et pas dans le sens embêtant. Dans le sens hein quoi pourquoi, sans hésitation.

Sourcils froncés, la jeune femme tenta en vain de remettre son cerveau en marche. Rien à faire ; ça n'avait aucun sens, elle n'en trouverait pas, elle ne savait pas. Louis avait juste dû trouver marrant de se glisser par la cheminée déguisé en Père Noël – il n'allait pas la tuer, hein ? Probablement pas.
C'était Louis, donc. Bon. Même sa paranoïa légendaire avait ses limites.

Rassurée, elle lui offrit un sourire inquiet.

« Joyeux Noël en retard, Lou ! Ça te dirait de sortir avec moi ? »

Eeeet non. La logique venait de repartir.
Que ça ne l'étonne même pas tant que ça aurait dû la terrifier, mais elle se promit d'y penser plus tard.

« … Tu, tu t'es fait mal ? » Oui, parce que se cogner les jambes avait souvent ce genre d'effet sur les gens ; elle ne comptait plus le nombre de garçons qui l'avait demandée en mariage après être tombé, en sport. « Enfin, je. Neee peux pas sortir avec toi. Mais c'est. Gentil ? »

Mignon. Sans doute. Ou il avait de drôles de façon de plaisanter, ce qui... Était tout autant probable.
Elle voulut lui demander comment il avait passé tout ça par la cheminée (plus lui-même) sans casser un truc en chemin, puis se ravisa. La magie de Noël était une explication suffisante. Définitivement.

ive been naughty, xmas daddy :

« … Tu, tu t'es fait mal ? »

Bras écartés au bout desquels pendaient ses présents, Louis secoua la tête de gauche à droite. Il allait merveilleusement bien, l'atterrissage n'avait pas été trop rude et si elle s'inquiétait, elle pouvait toujours venir se réfugier dans sa barbe accueillante. Faire un câlin au Père Noël était le meilleur des remèdes contre la crise cardiaque, 100 % garanti réussite.
Dommage qu'il ne puisse pas se câliner lui-même pour se consoler, parce que le râteau allait faire mal.

« Enfin, je. Neee peux pas sortir avec toi. Mais c'est. Gentil ? »

Awww. Ses sourcils arqués sous son bonnet trahirent sa déception et il avança assez pour poser biscuit et bouteille sur le comptoir. Il essuya de nouveau une suie imaginaire le long de ses manches et décida de ne pas pleurer, comme l'aurait fait tout homme viril se respectant. Il se contenta donc de frapper son poing contre son torse, un sourire au bout des lèvres.
Wow, il tenait chaud ce déguisement, mine de rien. Il allait peut-être prendre feu sur son comptoir, en fin de compte. Ça, ou bien le regard de braise de Lou le rendait mou comme un caramel fondu.
Ah, poésie ! Quand tu nous tiens...

« Bien sûr que je suis gentil ! Ça fait de moi l'homme parfait. J'ai ramené des gâteaux et du champagne pour un dîner en tête à tête. »

Il cala la fausse barbe sous son menton et lui décocha ce qu'il pensa se rapprocher le plus d'un regard langoureux, avec clin d’œil en prime.

« Je suis très riche, tu sais. Je ferai un époux parfait dans quelques années. »

Les filles adoraient qu'on mentionne le compte en banque – il l'avait appris dans les films. Ça  les rendait tout de suite plus réceptives aux avances. Louis ne pensait pas en avoir besoin, son beau visage faisait l'affaire ; mais visiblement, la barrière de l'âge était un peu plus difficile à enjamber que prévu.

« En fait, je fais jeune, mais en vrai j'ai vingt-deux ans. »

Le tout dit avec un aplomb crédible que la rondeur de ses joues démontait.

Sonné ou pas, il avait l'air d'aller plutôt... Bien ? Ce qui était définitivement une bonne chose. Elle n'aurait pas aimé qu'il titube jusqu'à chez lui, tout malade, pour ensuite raconter à qui voudrait l'entendre comme son refus lui avait brisé le cœur — au sens propre du terme. Elle avait à peu près autant envie de le savoir mal que de passer pour le monstre qu'elle n'était pas. Ou que de se sentir coupable de repousser les avances (tout sauf sérieuses, pour sûr) d'un gamin plus proche en âge de son petit frère que de ses ex. Elle ne faisait qu'être responsable.
Sans compter que les biscuits et le jus de pomme ne l'aidaient pas vraiment, pour quelques obscures raisons, à voir son manège comme une demande en mariage plutôt qu'une invitation à une soirée pyjama.
A treize ans, cela dit, elle aurait sans doute trouvé ça très romantique. Aucun problème là-dessus.

« Je suis très riche, tu sais. Je ferai un époux parfait dans quelques années. »

Eeeeeh. Oui. A ces mots, Lou ne put s'empêcher de lui décocher un sourire amusé. Elle ne pensait pas qu'avoir l'air crispée et méchante l'aiderait à gagner gain de cause dans cette histoire, de toute façon ; Louis ne se formaliserait probablement pas qu'elle reste sur ses positions.
Elle avouait volontiers être curieuse à propos du futur époux riche et parfait qu'il ferait plus tard, par contre. Elle imaginait mal Louis autrement que... Que Louis. C'est à dire pas du tout adulte.

Du coup, la suite lui tira un rire incrédule qu'elle ne parvint pas à masquer à temps.

« Ha ? Tu les fais pas du tout, c'est vrai, s'étonna-t-elle en tendant le bras pour lui tirer la joue. C'est presque un miracle. Tu devrais peut-être essayer le cinéma. »

Ils recherchaient toujours des gens un peu spéciaux, non ? Ils apprécierait sûrement d'avoir un type mature de vingt-deux ans avec le visage et la carrure d'un jeune adolescent. Puis Louis aurait été très bon dans un truc à la "Maman, j'ai raté l'avion".
D'un geste vif, elle fit glisser sa main pour lui voler son bonnet.

« C'est dommage parce que moi, je fais vieille, mais en vrai j'ai douze ans. Du coup c'est toujours impossible entre nous, je le crains » soupira-t-elle, avec le ton exagérément triste de tout bon héros de tragédie qui se respecte.

Bonnet enfoncé sur sa propre tête, Apricot lui adressa un sourire compatissant. Elle n'avait toujours aucune idée d'à quoi il jouait.

A part au riche héritier de vingt-deux ans déguisé en Père Noël, donc.

Louis lâcha un « Ah ! » digne de Denis Brogniart, tant sa virilité venait d’être mise à mal ; il massa exagérément sa joue en coulant un regard indigné à Lou, regard censé exposer sa blessure béante et la faire se sentir coupable. Ses sourcils froncés surmontaient toujours deux yeux qui ne demandaient qu’à rire, et sa moue à mi-chemin entre le sourire et la grimace n’aidaient pas à rendre le portrait moins comique.
Il était d’accord avec elle sur ce point, il aurait fait un sacré bon acteur – tant qu’on ne le sortait pas des comédies familiales qu’on regarde sur le divan, un donut dans la bouche. Question film dramatique, il avait encore de la route à faire ; son plus bel effroi ressemblait à un énième meme de grumpy cat.

Mais mon dieu, qu’il était blessé. Elle n’avait aucune pitié pour son pauvre cœur. C’était bien les femmes, ça – ingrates jusqu’au bout de leur manucure !

« C'est dommage parce que moi, je fais vieille, mais en vrai j'ai douze ans. Du coup c'est toujours impossible entre nous, je le crains »

Il lui lança une œillade perplexe, puis accepta en bon seigneur de lui faire don de son chapeau. Elle était la nouvelle élue, qu’elle exerce avec tact les fonctions qui en découlaient – à savoir la distribution du champagne et des biscuits de Noël.
Il gratta le bois du comptoir avec un long soupir.

« Aaah, quel dommage, notre amour était-il donc voué à l’échec ? »

Il baissa les yeux pour la forme, avant de relever le menton et lui adresser un sourire éclatant.

« Je plaisante ! Du coup, tu sais, on se complète parfaitement ! Épouse-moi et nous dominerons le monde. »

Il faillit lui dire qu’il avait déjà dominé le monde une fois, à Animal Crossing. Il décida néanmoins de laisser de côté son CV en la matière pour sortir un collier de bonbon qu’il lui mit sous le nez.

« J’ai pas de bague, mais ça fera l’affaire. »

Louis semblait tout à fait indifférent au fait qu’il était passé de « sors avec moi » à « épouse-moi » en l’espace de deux minutes cinquante. Go big or go home.

Lui voyait la vie en grand.

Lou ne mit pas dix secondes à s'entendre rire de nouveau, complètement incapable de prendre le garçon au sérieux. Elle ne rêvait que de conquérir le monde à ses côtés, bien sûr ; lui se serait occupé de noyer les bons citoyens de calories et de sucre et elle, pendant ce temps, les aurait affublés d'horribles vêtements tellement ridicules qu'ils en auraient perdu toute estime d'eux.
... Même si ça paraissait un peu cruel, vu sous cet angle. Il allait falloir qu'elle réfléchisse sérieusement à un plan moins dangereux pour la santé des autres.
Ou bien elle pouvait aussi ne pas dominer le monde avec Louis. L'idée se valait.
Surtout que comme le riche héritier de vingt-deux ans ne semblait pas trop alarmé à l'idée d'épouser une fille de dix ans sa cadette, elle allait devoir trouver d'autres arguments que "ça ne se fait pas" pour le convaincre du bien-fondé de son refus.

« J’ai pas de bague, mais ça fera l’affaire. »

Collier de bonbons en mains, elle se demanda si le bon Docteur Morphine faisait exprès de tout faire pour s'infantiliser au maximum.
Probablement que oui.
Rassurée à l'idée que ce soit bel et bien un jeu bizarre de sa part (ou bien il était très sérieux et n'avait aucune idée de ce qu'il faisait, mais elle en doutait beaucoup), Lou enfila le collier d'un air solennel.

« Mais c'est bien parce que tu m'as proposé de conquérir le monde avec toi », signala-t-elle, l'air on ne peut plus sérieuse malgré le sourire qui menaçait de venir tout casser d'un instant à l'autre.

Elle n'était pas n'importe qui, après tout. On ne séduit pas Lou sans promesses de domination mondiale.

« Mais ce n'est pas un mariage, hein ! C'est un partenariat professionnel.  Tu vas devoir attendre quelques années pour pouvoir prétendre à ma main. »

Personne n'aurait attendu plus de deux mois pour elle, selon ses savants calculs, donc elle était à peu près tranquille. D'ici à ce que l'adolescent soit en âge de la courtiser, il en aurait trouvé quinze autres bien mieux depuis longtemps.
A supposer qu'il n'en ait pas déjà une en tête, d'ailleurs — ça ne l'aurait pas étonnée non plus.

Louis lâcha un magnifique « thumbs up » à voix haute, accompagné du sous-titre pour les sourds : il était de cette race de génies qui s’écrient « dément » quand leur petite-amie accepte de passer au stade supérieur et de porter leurs enfants.
Le collier lui allait tellement bien que la domination mondiale et les enfants seraient là dès le lendemain. Lou était une femme de goût, ça se sentait, ça se voyait ! A eux deux, ils allaient renverser les gms et prendre la place d’Euphory – nan parce que très honnêtement, il n’y avait que les gâteaux qui l’intéressaient dans le tas. Les néons, les vaches et les putes, il les laissait aux gens ennuyeux.

« Mais ce n'est pas un mariage, hein ! C'est un partenariat professionnel.  Tu vas devoir attendre quelques années pour pouvoir prétendre à ma main. »

Il hocha la tête comme si tout était prévu, signé, emballé, et que les années qu’il allait devoir passer à poirauter n’étaient qu’une formalité. Ils étaient plus au Moyen Âge, ça se faisait pas d’épouser une fille de 12 ans rien qu’avec le consentement de son père ; et même avec le sien, ça le faisait pas des masses non plus. Louis serra la tunique rouge à l’emplacement de son cœur, plus crédible que Mr.Bean à la place de DiCaprio dans le Titanic.

« Ça me coûte, mais puisque c’est la seule condition, je l’accepte. »

Il frappa ses paumes contre le comptoir avec un cri de Pokémon enragé. Un jour, quand il pourrait épouser Lou, il aurait une voix virile.
Comme ce jour n’était pas encore arrivé, il devait se contenter d’avoir les intonations d’un chipmunk sous ecstasy et beaucoup trop d’énergie pour quelqu’un s’étant glissé par le conduit d’une cheminée déguisé en père Noël.

« Pour fêter ça, on va sabrer le champagne ! Et le sabler, aussi. Mais surtout le sabrer. Mon père l’a fait une fois, c’était trop cool ! T’as un couteau ? »

Sabrer le champagne, le sabler puis manger les sablés. Le rendez-vous parfait.
Peut-être même que s’il le faisait correctement, Lou changerait d’avis et l’épouserait sur le champ.

L'entendre accepter la fit sourire pour de bon, rassurée qu'il soit si mature et terriblement raisonnable pour son âge. Vingt-deux ans, donc. Il faisait juste jeune. Et elle en avait douze, elle faisait juste vieille. Ne pas oublier les détails terribles et très importants de leur accord professionnel.
Son hurlement la fit sursauter plus que le claquement de ses mains contre le bois. Nom de — c'était nécessaire pourquoi, ça ? Main sur le cœur à son tour, mais pour d'autres raisons, elle tenta de calmer son rythme cardiaque. C'était à se demander comment il faisait pour avoir autant d'énergie tout le temps, non stop, peu importe l'heure et le jour, sans abuser ni de caféine ni de substances moins recommandables — puisque non, elle refusait de croire que Louis était un junkie. Il n'avait pas l'air d'un junkie. Il était trop jeune pour être un junkie. Malgré ses vingt-deux révolus dont personne au monde n'aurait osé douter. Surtout pas elle.
A la mention d'un couteau, elle fit la grimace. Elle ne doutait pas que son père sache très bien sabrer le champagne, mais euhm, comment dire. Elle ne lui faisait pas du tout confiance.

« Tuuuu. Veux pas plutôt un tire-bouchon ? Je dois avoir des tire-bouchon. Dans un coin. Quelque part. Un couteau je pense pas en avoir, » poursuivit-elle, moue songeuse aux lèvres. Elle n'était absolument pas sûre d'avoir un tire-bouchon dans la boutique non plus.

Mais en même temps, un couteau, même problème. Elle n'était pas sûre d'en avoir un. Peut-être du côté de la réserve ? Pour ouvrir les cartons ? Maintenant qu'elle y pensait, sûrement. A moins que ce ne soit un cutter, mais elle était à peu près certaine d'avoir vu un couteau traîner dans le coin.

« Mmnon, pas de couteau, répondit-elle, avec le sourire des adultes qui savent totalement qu'ils sont en train de mentir et que personne ne va les croire. Mais pas besoin de couteau, hein ! On a des muscles. Et des. Euh. J'ai des cintres ? Je suis sûre qu'on peut sabrer avec autre chose. Système D. »

Elle ne l'avait jamais fait, mais tout devait être possible. Ok Google : comment sabrer du champagne avec un cintre pour célébrer un faux-mariage et la conquête de l'univers.
Résultats garantis, pour sûr.

Louis poussa un gémissement d’agonie à la mention du tire-bouchon. Noooon, pas cet instrument du mec de base avec un salaire moyen et un abonnement Netflix ! Il avait plus de classe que ça, quand même ! Il tapota des poings contre le comptoir, mécontent, les joues gonflées et l’œil dur – un regard de braise de petit chiot. Il avait besoin d’un couteau. Un couteau en or aurait fait l’affaire, mais il voulait bien concéder à sa dulcinée que l’or n’était pas à la portée de tout le monde.
En argent, alors ? Diamant ? C’était super solide, le diamant, ça sabrerait le champagne à merveille.

« Mmnon, pas de couteau. Mais pas besoin de couteau, hein ! On a des muscles. Et des. Euh. J'ai des cintres ? Je suis sûre qu'on peut sabrer avec autre chose. Système D. »

Louis se serait plaint de son manque flagrant de crédibilité si le cintre n’avait pas attiré son attention. Immédiatement, il éjecta le couteau de son esprit et se concentra sur le cintre. Sabrer du champagne avec un cintre.
C’était du génie.

« T’as trop raison, fit-il avec beaucoup trop de conviction pour avoir une bonne idée en tête, on est super musclés et y’a des cintres partout. »

Il sautilla jusqu’à une chemise à sequins réversibles dont il prit le cintre en otage. Il comptait l’enfiler une fois le champagne sabré, histoire de fêter leur union en beauté. Pour l’heure, elle gisait à terre, tandis que le gremlin hyperactif revenait s’accouder au comptoir.

« Donne, je vais le faire ! »

Il se servit lui-même, posa la bouteille devant lui, fronça les sourcils jusqu’à la limite de l’humainement possible.
Tout avait l’air drôle avant qu’un flot de boisson pétillante ne se répande partout sur un support censé accueillir clients et vêtements.

« POUR LA CONQUÊTE DU MONDE ! »

Après quoi Louis se mit à frapper le goulot à coups de cintre à répétition, déterminé à vaincre son adversaire ou perdre son bras pendant la bataille.
Go big or go home.

Un warning rouge vif se mit à clignoter dans la tête de Lou aussitôt que Louis lui donna raison. Elle aurait peut-être dû réfléchir plus longtemps, en fait. Lui proposer une solution drôle mais sûre. Prudente. A peu près. Quelque chose qui ne risquait pas de se retourner contre eux ou de foutre du champagne partout.
Voire les deux.
Ils étaient partis pour avoir la totale, là. Elle le sentait.

« Euhm — »

Elle tendit le bras pour essayer de récupérer la bouteille, la jeter par la fenêtre ou peut-être vraiment partir en quête de ce fameux tire-bouchon, mais Louis fut plus rapide qu'elle — et sachant qu'il était armé d'un cintre, elle n'avait pas trop envie de le contredire non plus. Pas parce qu'elle avait peur qu'il le lui mette dans l’œil sans faire exprès (quoi que), mais surtout parce qu'elle s'attendait à ce qu'il explose la bouteille d'un instant à l'autre et ne voulait pas être au mauvais endroit quand ça arriverait.
Le mauvais endroit étant : près des lieux du crime. Elle voulait bien nettoyer un peu le comptoir, mais pas s'en prendre plein les jambes ou se retrouver avec le bouchon dans l’œil. Ça faisait un mal de chien. Non merci.

« POUR LA CONQUÊTE DU MONDE ! »

D'aaaaccord. Bon, au moins, il était motivé ; elle ne pouvait pas lui reprocher ça. Et son costume de Père Noël devrait le protéger du gros des dégâts, si dégâts il y avait (et dégâts il y allait avoir). Elle ne s'inquiétait pas troooop...
... Quoi que.

« Attends, tu l'as déjà pas mal secouée en descendant, tu devrais peut-être — »

Faire attention.
A défaut d'être brisée par les coups (terribles) de cintres, la bouteille se contenta d'éjecter son bouchon avec la grâce d'un oncle saoul le soir de Noël. Elle poussa un cri et mit ses mains sur ses oreilles au lieu de se protéger le visage — super, Lou, bravo — et entendit le bouchon heurter quelque chose sans voir quoi exactement.

Et, sans surprise, il y en avait absolument partout.

Les gâteaux allaient avoir un goût sans pareil, là. Merveilleux. Heureusement que ça n'avait pas l'air alcoolisé.

A défaut de trouver les mots, Lou se contenta d'un râle désespéré. Elle commençait bien, leur conquête du monde. Chaos et destruction sur la planète.

Louis, surpris par sa propre efficacité, poussa un cri et lâcha la bouteille avant de se transformer en fontaine à Champomy ; zut alors, c’était pas comme ça qu’on était censé sabrer du champagne ! Il savait à quoi ça ressemblait, et là ils avaient juste l’air de deux touristes en pleine canicule qui s’étaient arrosés du premier truc à leur portée. Ewww. Pas classe. Il tira sur son costume tout mouillé avec un reniflement exagéré.
Il avait pas assez de muscles. Ça ne pouvait être que ça. Il avait raté sa mission, il ne méritait plus de vivre ; il n’avait plus qu’à s’égorger avec l’arme du crime et tout léguer à Apricot.

Le grognement de la concernée le fit sourire alors même qu’il aurait dû le pousser à se confondre en excuses. Bon, tout était sale et sûrement collant et les gâteaux étaient plein de jus de pomme pétillant, maiiiis ils avaient ouvert la bouteille ! Ça méritait un toast, des cris de joie, quelque chose ! C’était une alternative plus cool que l’égorgement par cintre en plastique. Avec un recul d’une demi minute, Louis se rendit compte qu’il pouvait survivre à cet affront.

« Booon ben c’est ouvert ! lâcha-t-il en tendant ses mains trempées vers la bouteille qui leur avait fait la fleur de ne pas aller se rompre le cou au sol, on peut boire et manger et fêter nos fiançailles ! »

Ou quelque chose comme ça – mais pas dans cette tenue, non non non. Il lui fallait quelque chose de plus spicy, et surtout sec.
Tranquillement et comme si c’était devant le comptoir qu’on faisait ce genre de choses, Louis entreprit d’enlever sa tenue de père Noël.

« Dis, t’as pas un pantalon rose avec des sequins ? » s’enquit-il auprès de Lou, parce qu’il n’avait rien pour aller avec le petit top qu’il avait foutu à terre en prenant le cintre. Le plus important, c’était quand même d’être fashionable.

Un coiffeur qui avait un œil pour la vraie mode lui avait dit de se calmer sur le rose, mais ça n’avait fait que conforter Louis dans ses opinions.
Un jour, le monde entier verrait la lumière et le féliciterait.

Tout. Nettoyer. Elle allait devoir tout nettoyer. Ça allait coller. Il lui faudrait une bonne demi-heure pour que la caisse soit présentable. Et c'était sans parler de l'odeur, parce que là, elle n'était pas sûre du temps que ça prendrait pour s'en aller tout à fait. Les meubles et le plancher n'avaient pas été conçus avec ce genre de péripéties en tête. C'était l'enfer.
Lou voyait littéralement des serpillières lui flotter devant le nez en rigolant. C'en était à ce point. Fichus trucs débiles qui se moquaient d'elle. Tout ça parce que le Père Noël avait décidé que...
Le temps que Louis s'exclame de grandes choses concernant leurs fiançailles (partenariat), elle avait étouffé un soupir dans ses paumes. Elle le savait, pourtant. La vie d'adulte était faite de serpillières et de chiffons et de balais et d'aspirateurs et de toujours plus de serpillières. Elle avait l'habitude.
Mais mon Dieu, ce que c'était chiant.

« Dis, t’as pas un pantalon rose avec des sequins ? »

Le "hein ?" très poli et vivant de Lou fut suivi d'un second du même genre (mais plus offensé) lorsqu'elle constata qu'il était tranquillement en train de se déshabiller devant le comptoir. Parce que oui, c'était parfaitement normal. Un garçon déguisé en Père Noël couvert de champomy en train de se déshabiller devant le comptoir ? Juste une journée de plus sur Euphemia. Rien à signaler, circulez.
Est-ce que c'était grave, si ce n'était même pas la chose la plus bizarre qu'elle ait vu de sa vie ? Non parce que franchement, y'avait du niveau, là.
Tout en se disant qu'il n'allait pas se mettre nu au milieu de tout, Lou décida que ne pas être choquée de quoi que ce soit l'empêcherait peut-être d'empirer les choses — et, au pire, c'était Louis. Elle pouvait accepter qu'il se trimballe en sous-vêtements dans la boutique, ça ne choquerait personne. Enfin elle espérait, en tout cas.
Ça lui aurait fait mal qu'on pense qu'il y avait quoi que ce soit de louche là-dessous.

... Restait à espérer que personne ne rentre, quand même, parce qu'elle ne voulait pas l'entendre expliquer qu'ils fêtaient leurs fiançailles. Ç'aurait été plus difficile à expliquer, déjà.

« Jeeee vais voir ce que je peux faire », soupira-t-elle en roulant des yeux au plafond, l'ombre d'un sourire sur les lèvres.

Oui, bon. L'imaginer en ensemble à sequins rose la faisait un peu rire quand même. Elle voulait bien l'admettre.
L'abandonnant lâchement à son habillage (il avait intérêt de s'habiller, en tout cas), Lou fit demi-tour vers les rangées de vêtements et attrapa un pantalon au hasard. Le faire virer au rose, le raccourcir et y rajouter des sequins brillants n'eut rien de trop compliqué ; de douloureux, oui, mais au moins ce fut simple. C'était déjà ça.
Pantalon en mains, elle attendit encore deux secondes avant de se retourner prudemment.

« Ça ira, comme ça ? »

Louis avait deux passions dans la vie (plusieurs, même, mais sur le coup il n’en avait plus que deux) : le rose et les sequins réversibles. Sérieusement, hein, c’était la meilleure invention depuis la teinture à cheveux et les zombie walk ; il voulait un haut et un pantalon fuchsia qui révéleraient la tête de Georges Brassens une fois retournés. Il soupira en songeant à ce prodige de la mode, secoua ses manches en grognant et finit par attraper un gâteau rempli de jus pétillant tandis que Lou s’affairait à lui trouver le pantalon de ses rêves.

La femme de sa vie, ni plus ni moins : parce que Juliette lui aurait dit qu’un pantalon pareil c’était dégueulasse et l’aurait laissé se débrouiller tout seul. Les femmes étaient cruelles, Lou était une fleur au milieu d’un désert. Une perle dans l’océan. Une carte collector de Brassens dans un magazine de métal.

En clair, unique et irremplaçable.

« Ça ira, comme ça ? »

La bouche pleine et à moitié en dehors du costume, le Doc’ poussa un cri de joie. Il essuya les miettes qui s’étaient fait la malle dans sa passion, et trottina tant bien que mal vers la jeune femme et le trésor qu’il s’empressa d’agripper.
Parfait.

« C’est géniaaal, merci Lou ! (il lui plaqua un baiser sur la joue sans lui demander son avis) Je vais me changeeer ! »

A l’endroit approprié plutôt que devant le comptoir, ce qui aurait mérité une salve d’applaudissements. Il attrapa le haut qui trainait toujours à terre, et profita de sa pérégrination vers les cabines pour attraper des lunettes de soleil XXL et un gros collier à parles (roses, évidemment) pour parfaire son look.
Eh, il plaisantait pas, avec ça. Ils avaient un partenariat professionnel à célébrer, et il ne voyait pas de meilleure tenue pour fêter ça que celle qu’il avait sur le dos.

Une fois transformé en star de téléréalité, Louis tira les rideaux d’un geste affecté en hurlant :

« MAINTENANT ON PEUT METTRE DU MAÎTRE GIMS. »

Sapés comme jamais, même. Ils étaient dans le ton.