Louis poussa le cri le plus viril de l’histoire de la création quand Bubo décida de tabasser son bâton avec le sien – et une souris asthmatique n’avait rien à lui envier, de ce côté-là.
Il était clairement pas né pour croiser le fer, et s’il avait dû se BATTRE Dieu l’aurait fait naître au temps des croisades, histoire qu’il aille joyeusement casser du Sarrasin avec ses potes. Là, il se retrouvait désarmé ou presque face à un hibou drogué qui en voulait à ses rotules. C’était complètement déloyal et il avait pas peur mais il se méfiait. Y’avait de quoi. Il avait passé une bonne partie de son temps libre et moins libre à le harceler. Il avait des raisons de vouloir lui en foutre une et il avait dû lui donner l’énergie de le faire en le câlinant.

Raaaah. Il était trop débile. Il allait prier le dieu des poules en chocolat de Pâques, puisque les dieu mexicains et incas se marraient bien de son malheur. Pft.

« Je note quand même le chocolat à la guimauve, mais ce sera mérité après notre dudududuel. Celui qui perd le paie. »

Hein, quoi. Non, là non plus c’était pas juste ! Déjà, il était mineur, il avait pas le droit de travailler et donc pas d’argent. Techniquement. Il s’en foutait qu’ils soient dans un jeu vidéo, il prenait ce qui l’arrangeait. Et de deux, évidemment qu’il allait perdre ! Y’avait même pas de suspens ! Il avait pas eu le temps de préparer sa cosmo énergie et il était rien sans ses supers pouvoirs.
Le Doc’ regrettait un peu les parties de loup où il suffisait de hurler « pouce » pour avoir la paix. Et encore, il se souvenait avoir taclé des potes avec le pouce levé en faisant semblant de rien entendre.

Ok, ok. Karma. Il l’avait cherché, dans toutes ses vies. Il avait compris la leçon, il allait se bonifier ; si maintenant Bubo pouvait lui foutre la p –

Un coup de sucre d’orge dans les tibias lui arracha un cri, et la rencontre brusque avec le sol chassa l’air de ses poumons. Son bâton roula vers l’inconnu, et il leva des yeux écarquillés vers son bourreau.

Zut, il était bon pour l’abattoir des bonhommes en pain d’épice, là. Il espérait au moins qu’on allait le laisser rédiger son testament, parce qu’il léguait tout à la chèvre qu’il n’avait pas.

« Tiens, j'ai comme un sentiment de déjà-vue. Pas toi ? »

Louis fronça les sourcils et plissa les yeux, un peu vexé parce que fallait pas abuser quand même, woh. Il était pas aussi viril que Schwarzenegger, mais ça voulait pas dire qu’il avait pas sa fierté de mâle alpha quelque part en poche.
Et là Bubo la piétinait et il détestait ça. Il croisa donc les bras en gonflant les joues, sans le quitter des yeux.

« Nan, ça me rappelle rien. Faut dire que tu sors teeeellement peu de ton arbre, c’est dur. »

Et il s’en fichait d’être mauvais joueur, il faisait ce qu’il voulait. Nah.

L'expression de Kai et celle de Louis n'allaient vraiment pas ensemble. En même temps, dans un combat entres hommes, pas le temps de niaiser. Ils auraient tout le temps plus tard. N'empêche que Kai s'était attendu à mieux que des joues gonflées, peut-être des larmes ou des étoiles d'admiration dans les yeux ? Il ne lâcha pas son sourire satisfait malgré tout, pour garder le masque de théâtre encore un peu, inspiré par l'enthousiasme et l'adrénaline et les autres effets inconnus qui jouaient avec sa tête.

« Nan, ça me rappelle rien. Faut dire que tu sors teeeellement peu de ton arbre, c’est dur. »

Kai roula des yeux. Eh bah, fallait le dire s'il lui manquait. Et c'était même pas comme s'il le cachait, le Louis. Il adorait l'embêter. Alors, dans son arbre ou pas, le petit français avait toujours un don pour le trouver. Si vraiment ça le dérangerait, il ne resterait certainement pas sur la même branche pour ses siestes. Mais ça, le canadien n'irait pas le dire, ou en tout cas pas maintenant. Il préféra lever les bras vers le ciel et hurler après une douce réprimande :

« Olalah, sois pas vexé. ELLE EST OU LA FOULE EN DÉLIRE, MES APPLAUDISSEMENTS ! »

Il agita les mains à son public invisible et silencieux, aussi impressionnant que celui d'un stade de foot. Très clairement. Il leur offrit le plus beau des sourires digne d'une publicité de dentifrice, puis jeta son arme sur le côté pour qu'elle aille rejoindre celle de son petit bonbon blond et rose. Kai se baissa et se mit à quatre pattes au dessus de son prisonnier, un nouveau sourire certainement peu rassurant pour ce dernier aux lèvres :

« Enfin, je m'en fiche. J'ai gagné. Je vais avoir un bon chocolat chaud, et puis j'ai mérité le bisou de la princesse. »

Les paroles furent prononcées très lentement avant qu'il ne ferme les yeux et baisse la tête pour que son visage rencontre de nouveau celui de Louis. Sa bouche et la sienne se rencontrèrent de longues secondes, et il appuya bien pour que l'autre ne disloque pas le baiser dans la surprise. C'était doux et beaucoup plus appréciable que celui envoyé à l'arrache par le français un peu plus tôt. Il était nul en escrime, nul en bisous : est-ce qu'il était vraiment français en fait ?
Kai releva la tête, toujours tout sourire, ses yeux plongés dans ceux de Louis sans rien dire pour le laisser réagir.

« Olalah, sois pas vexé. ELLE EST OU LA FOULE EN DÉLIRE, MES APPLAUDISSEMENTS ! »

Gnagnagna. Tellement spirituel, hein. Louis continua de le fixer à en percer un trou dans sa poitrine, juste histoire qu’il se trouve moins drôle – non mais oh, il allait pas l’applaudir pour l’avoir agressé, hein ! Il était où, le contrat qui stipulait qu’il avait accepté de se faire agresser par un hibou fou à coups de bâton de sucre d’orge ? Bon, d’accord, dit comme ça, ça n’avait l’air de rien. Mais ça faisait mal !
Penser à la douleur réveilla celle qui grondait dans ses tibias meurtris par la sucrerie. Il la relégua dans un coin de son esprit ; pas le temps de s’y attarder, il avait tout un oreiller en plumes à faire manger à son copain l’oiseau nocturne. Il allait lui faire regretter de s’en être pris à lui, lui qui était l’innocence et la gentillesse incarnée, qui lui apportait des sucettes pendant qu’il faisait la tête dans son nid, et –

Uh.

Il eut un mouvement de recul instinctif quand Bubo se mit beaucoup trop près de lui. Quoi. Quoi. Qu’est-ce qu’il lui voulait, là, lui mettre son épée au fond de la gorge ? Non, pas possible, il l’avait balancée. Louis s’apprêtait à lui faire remarquer que c’était super tendancieux, comme position, mais Bubo lui coinça son rire gêné dans la gorge :

« Enfin, je m'en fiche. J'ai gagné. Je vais avoir un bon chocolat chaud, et puis j'ai mérité le bisou de la princesse. »

Ok pour le chocolat chaud. Il le voulait, il allait l’avoir ; mais le bisou de la princesse ?
La réponse lui tomba dessus comme la langue de feu sur le front des apôtres. L’effet fut le même, puisque son cerveau se mit à hurler en grec et en hébreu à la fois. L’araméen y passa aussi. Le temps qu’il se rende compte que l’autre hibou mal léché était en train de l’embrasser, ses lèvres avaient quitté les siennes et il le fixait en papillonnant des yeux comme un crétin fini.
Son cerveau avait grippé et mit du temps à enregistrer correctement la situation. Bubo sur lui, qui l’avait embrassé, et –

Une fois le rapport d’erreur envoyé, Louis poussa un cri outré et chercha à virer l’agresseur de son illustre personne.

« Non mais t’es pas bieeen, pourquoi t’as fait ça toi ! »

Pour quelqu’un qui avait grimpé un portique dans l’unique but de l’embrasser, ça sonnait un peu hypocrite. Le Doc’ s’en rendait bien compte, pas de problème, mais faites ce que je dis, pas ce que je fais, hein.
Et puis lui, il s’était cassé la margoulette, il était pas resté le regarder comme un gros pervers histoire de bien le gêner. Il lui avait épargné ce moment awkward, il était trop généreux – et qu’est-ce qu’il lui donnait en retour, lui ?
La souffrance. Le froid. L’humiliation. Ô rage, Ô désespoir, Ô… quelque chose, il s’en souvenait plus trop. Foutus cours de français.

Pour oublier que son cœur battait trop vite et qu’il devait rougir comme si jamais personne l’avait embrassé de sa vie (alors que hein, c’était faux, mais il allait pas le crier, ça aurait fait trop défensif), Louis se remit à s’indigner.

« La princesse elle aimerait qu’on lui demande son accord, pas qu’on la viole comme un gros malade, là ! »

Il était pas la belle au bois dormant, il pouvait pas faire ça !
S’il l’avait pris à la rigolade, ce serait sûrement passé comme une lettre à la poste ; seulement voilà…

Argh. Je réfléchis jamais avant de l'ouvrir, sérieux.

La réaction ne se fit pas attendre, et Kai dut se maintenir pour ne pas se faire virer trop vite. Même si le petit Louis était pas bien musclé, la rage lui donnait des ailes. Alors le canadien s'assit tout simplement sur la victime à terre et bloqua ses bras avec ses mains pour qu'il reste tranquille.
Wow, c'était quand même marrant. Peut-être que le hibou aurait dû trouver ça triste que son amant n'accepte pas les marques de son affection, mais il n'en était rien. Il riait intérieurement et son sourire n'en démordit pas. C'était si drôle d'embêter le petit blond, comme ça avait été si drôle de vouloir le frapper. On dirait presque que quoi qu'il allait se passer, Kai serait en train de passer le meilleur des moments. Sa meilleure vie, clairement.

« La princesse elle aimerait qu’on lui demande son accord, pas qu’on la viole comme un gros malade, là ! »

Le gros malade en question prit une mine affectée, façon héroïne de shojo aux yeux larmoyants face à l'agressivité de son senpai trop canon et violent. Qui agressait qui, déjà ? Allait-il devoir faire appel à la SPA pour violence sur hibou mal léché ? Il préfèrerait bien sûr ne pas en arriver là, mais il avait des droits comme tout le monde. Avant que ça ne dégénère et comme Kai était bon seigneur, il opta d'abord pour le chemin de la discussion diplomatique. Il n'oublia bien sûr pas de faire la lippe pour appuyer son propos de victime au cœur brisé.

« Chéri-doux, c'est toi qui m'a embrassé en premier. Je pensais que c'était pour la vie, entre nous. Tu m'aimes plus ? »

Leur relation pourtant basée sur la sincérité et la confiance ! Qui l'aurait cru. Mais Kai ne comptait pas abandonner, ah ça non. Il lui monterait qu'il était présent pour son chéri-doux d'amour. Ses mains passèrent des bras du garçon à ses joues rebondies pour mieux les pincer façon grande-tante éloignée.

« Pourquoi t'es tout grognon, soudainement. Allez, dis à papa Kai ce qui ne va pas. »

Oups. Petite erreur tactique. Son nom avait glissé un peu trop naturellement, et il aurait bien le temps de s'en vouloir lorsque les effets de la morphine se dissiperaient. En attendant, le canadien se dit tout juste que ce n'était pas si grave tout en continuant de tirer les joues de sa proie. Le chéri-doux passait d'amant à enfant choyé, le hibou ne donnait plus d'importance à la cohérence. S'il l'avait déjà fait.

Louis jeta un œil offensé à Bubo – quoi, mais il allait le laisser partir ou pas, là ? Il voulait qu’il lui balance son avocat ? Il regretta de ne pas avoir l’autre type qui transformait les gens en légumes sous la main, pour la blague. Il avait un honneur à défendre et ça aurait été pratique que l’autre hibou se change en avocat ou en courgette, il aurait pu le trimballer sous son bras dans tout Dream Land pour lui faire regretter de… de…
De quoi, au juste ? De lui avoir renvoyé ses bêtises à la figure ? Rira bien qui rira le dernier, hein ; Louis commençait à comprendre ce que ça faisait de rire le dernier. Morale de l’histoire, c’était désagréable et il s’en serait bien passé. Il préférait être la fourmi que la cigale, y’a pas photo. Le lapin que le hibou.

Ça mange quoi, un hibou ?

« Chéri-doux, c'est toi qui m'a embrassé en premier. Je pensais que c'était pour la vie, entre nous. Tu m'aimes plus ? »

Réussir à lui donner envie d’effacer une tête à coup de brosses à tableau était un exploit et Bubo pétait tous les records. Chéri-doux allait lui coller son baiser entre les dents et – nooon, calme, tu peux gagner que si tu plaisantes, toi aussi. Ça lui venait tout seul, d’habitude, alors pourquoi pas là ? Pourquoi tout le monde avait quitté le navire, pourquoi il avait envie de le frapper ? Il avait beau chercher dans ses yeux, il n’y trouvait pas le plus petit début de réponse. Qu’est-ce qu’il avait dit, déjà ? Te voir me donne le cancer ?

Le Doc’ n’avait pas le droit de s’énerver ; il était un petit bonbon à la framboise peace & love.

Ou plutôt, songea-t-il, un sachet de sucre pétillant qui explose la bouche. Il sentit son cœur faire le yoyo électrique quand Bubo décida que lui tirer les joues comme sa tante, c’était une bonne idée – un cri outré lui échappa et il se remit à se débattre. Ses doigts firent barrage pour empêcher le monstre de le défigurer à jamais ; zut quoi, il tenait à son visage, il l’avait déjà dit quinze fois ! Il était en train de lui ruiner ses rêves de présentateur météo sexy, là, cet oiseau de malheur !

Ce sale…

Il parvint à lui faire lâcher prise au prix d’un effort incroyable. Ses muscles allaient en hurler de joie demain, pire que les troupes françaises à Waterloo. Y’avait pas à dire, ça allait être sport.

« Déjà t’es pas mon père, siffla-t-il avec moins de bonne humeur que prévu – daddy ou daddy, fallait savoir, mon père aurait pas fait ça, et… »

Il plissa les yeux, le fixa intensément en attendant que son petit cerveau fasse correctement la mise au point. Aaaattends une minute.

« … Kai ? C’est ton prénom, ça ? »

Il voulait déjà pas lui adresser la parole, alors lui donner son nom, son prénom et son pseudo chatroulette, c’était mort – il avait déjà essayé. Mille et une fois. L’indignation laissa place à la curiosité et les boucles de son estomac se délacèrent une à une. Il était toujours pris au piège, mais il pouvait s’en accommoder si on lui donnait un truc en échange. C’est vrai, quoi ; après l’avoir agressé, frappé, embrassé et s »être foutu de lui, il pouvait au moins lui donner son nom.

Ils étaient quasi mariés, à ce stade.

Pour ne pas changer, le français se débattit comme un beau diable et réussit à se libérer des pincements d'un hibou hilare. Kai secoua ses mimines et les cacha nonchalamment dans les poches de son bermuda. Okay, Môssieur n'aimait pas les marques d'affection. Un vrai gamin pourri gâté ? Il aurait au moins pu répondre à ses questions, mais nooooon. Toujours plein de mauvaise humeur. C'était bien la dernière personne à qui il aurait proposé des cours de yoga, hein. Voir la vie tout en couleur et en sucreries, c'était pas son credo habituel ? Bah.
Que le vent tourne avec la maladresse sous sédatifs de Kai sembla lui plaire, contrairement à l'intéressé qui échangea son sourire pour une mine blasée :

« Ben, oui ? Enfiiin, non ? Peut-être. Qui saaait ... »

L'air pensif, comme s'il réfléchissait à la véracité de ses propres mots, le garçon ajouta à sa performance des balancements de tête à droite et à gauche. S'il avait eu la souplesse des oiseaux qu'il adorait tant, il aurait bien pu faire des tours plus intense avec son cou pour ajouter de l'intensité à la situation. C'aurait été le moment parfait. Parce que, même si pour le moment ça n'avait pas l'air de trop l'affecter, ça ne lui plaisait vraiment pas que son prénom ait fuité comme ça - et à raison vu comment le Louis avait l'air de vouloir s'accrocher à l'information qu'il ne méritait pas.
Du coup, tout ça lui rappela que son humeur actuelle était loin d'être naturelle. Quelque chose s'était passé dans le coin des balançoires, c'était clair et net. Son pouvoir, à n'en point douter, mais Kai voulait des détails. Du concret. Pas sûr qu'il lui réponde, comme précédemment, mais ça ne coûtait rien d'essayer. Rien ne lui coûtait pour le moment, il pourrait bien faire ça toute la journée si les effets persistaient. Peut-être devait-il le remercier, en fait, de lui permettre de le tourmenter avec le sourire ?

« Bon, alors, tu vas me dire ce que tu m'as fait, enflure de banane ? »

Et le voilà adepte des semi-jeux de mot. Parce que épluchure, enflure ... et vu que le français était blond ... Voilà. Ça ne volait pas bien haut, mais ça faisait plaisir.
Pour l'encourager un petit peu, Kai gigota un peu sur son siège provisoire.

Qui sait, hein ? Louis le fixa cinq secondes, ses yeux plus plissés que ceux de Jackie Chan, avant de décréter que c’était bien son prénom et – par la sainte pelle et les patates hérétiques, il avait enfin appris un truc intéressant aujourd’hui. Des éclaircis dans cette nuit d’orage, une lueur pour éclairer la voie ! Il laissa les coins de son sourire remonter, satisfait. Il pouvait s’accommoder d’une défaite et d’un petit tabassage de rotules – ce n’était que partie remise, et il lui avait piqué un truc, au final.

Fallait bien, hein ! Il avait déchiré son honneur à coup de sucre d’orge, ce sale hibou. Ce sale Bubo. Ce sale… Kai.
Wow, ça faisait bizarre. C’était comme appeler son prof par son prénom, c’était limite malaisant. Peut-être que s’il le répétait assez, ça allait passer. Kai Kai Kai Kai.
Crotte de lapin en chocolat, fallait pas qu’il l’oublie ! Il se connaissait, à force de répéter un truc… Son cerveau marchait pas toujours comme il aurait voulu qu’il marche.

Le Doc’ plongea les mains dans ses poches à la recherche d’un stylo.

« Bon, alors, tu vas me dire ce que tu m'as fait, enflure de banane ? »

Lol, super spirituel – Louis lui mit la main sur le torse et le poussa avec un grognement. Pourquoi il était toujours là, lui, d’ailleurs ? Il en avait pas marre d’essayer de le tuer sous son poids lourd ? La route spéciale camions, c’était celle d’à-côté.
Toutes les plaisanteries potentielles sur le fait de se faire passer-dessus par un semi-remorque lui passèrent justement au-dessus de la tête, à 6000 mètres d’altitude. Pfiouuuu. Quand c’était pas chez Brassens, Louis ne voyait pas les sous-entendus. Amour et paix sur le monde des bisounours et des cookies à la coco.

Va falloir que tu grandisses un peu, un jour, non ?

Ouaiiis, un autre jour, et certainement pas sur Euphemia. Trop de trucs funs à faire à la minute. Cooomme…

« Je t’ai volé ton âme, lui répondit-il en sortant finalement un stylo quatre couleurs de la poche de son pantalon – rose bubblegom, vert pomme, noir réglisse et bleu menthe, J’ai ton prénom donc j’ai ton âme, ça marche comme ça en France. »

Il avait un paquet d’âmes dans son sac banane et beaucoup trop de gens avaient un bout de la sienne, mais eh. Toujours voir le bon côté des choses. Il embêtait Bubo, c’était le plus important.
Argh. KAI.

« … Comment t’écris ça, d’ailleurs ? » fit-il en fixant la paume de sa main, pris d’un doute existentiel.

Non parce que Kai ça sonnait pas ultra français et lui il arrivait à se tromper en écrivant GÉRARD, alors… Enfin c’était dur d’écrire Gérard, aussi, y’avait le D silencieux à la fin, lààà. Un méga piège. Peut-être que Kai c’était pareil. Devait pas y avoir de tréma, mais… Mais c’était bizarre, l’anglais, il avait jamais rien compris.

… Il parlait anglais, hein ?

Louis lui jeta un œil perplexe par-dessus ses doigts. Le hibou était tellement mystérieux qu’il doutait de tout à son propos. Il pouvait lui raconter des bêtises, en plus – ah, il aurait mieux valu qu’il soit loin une fois que l’effet de son pouvoir se dissiperait.

C’était mal barré, pour l’instant.

Typical Doc.
En réponse à l'extrême violence de sa proie, le hibou tira la langue avec toute la maturité dont il était pourvu. Eh bien, s'il ne voulait rien lui dire, tant pis. Il trouverait bien tout seul. C'était son passe-temps favori, de toute façon, de piquer des informations ici et là pour construire une belle base de donnée qui serait bien utile un jour. Pour trouver plus d'informations pour sortir d'ici, par exemple. Comment cela se faisait, en fait, qu'il n'ait pas déjà plus de choses sur le petit blond ? Quelqu'un devait se laisser aller ... Ou bien n'avait-il pas trouvé ça pertinent, sur le coup. Assommé par l'agacement et le mal de crâne qu'il lui avait généreusement offert.

« Je t’ai volé ton âme. J’ai ton prénom donc j’ai ton âme, ça marche comme ça en France. »

Encore avec ça. Kai roula des yeux et balançant un soupir qui vint faire voltiger une mèche devant ses yeux. Il remarqua cependant le stylo dans la main du shinigami français et attendit de voir ce qu'il allait bien pouvoir faire. Jusqu'à ce qu'une tâche ne vienne salir le joli tableau de son plan, eh ? Bah bravo, et le gamin s'attendait vraiment à ce qu'il coopère ? Ils devaient tous les deux se valoir niveau stupidité, à priori. C'était bon à savoir. Mais un couple sans confiance, qu'était-ce, au juste ?

« Tu crois pouvoir te débarrasser de moi avec ton carnet de la mort rose à paillettes ? »

D'un côté, pourquoi pas. Le bâillement qui s'échappa de sa bouche lui rappela qu'il était encore bien trop tôt pour lui, et à cause de qui ? S'il pouvait l'obliger à se reposer éternellement, ce serait pas plus mal. Alors le canadien joua le jeu avec sérieux ... plus ou moins :

« Ça s'écrit U... R... STUPID. »

Il ne savait pas si Mister Omelette-au-fromage comprendrait sa blague sauce anglophone, mais ça lui semblait si drôle qu'il ne réprima pas le rire qui lui vint tout naturellement. Hahaha, mais qu'est-ce qu'on se marrait, eh ? Affligeant. Kai se gaussait en se tenant les côtes, partant presque en arrière. Quand il se fut calmé - assez vite quand même, il essuya une larme au coin de son œil et tendit la main vers le petit Louis pour lui demander son si joli stylo.

« Je te l'écris si tu veux. »

Tout ça avec un sourire qui ne cachait même pas ses mauvaises intentions.

Il comptait l’esclavagiser pour l’éternité, nuance. Il passait sa vie à lui coller au train, ça aurait été super contreproductif de le tuer maintenant qu’il avait un début de piste ! Il connaissait son prénom, mais ni sa taille, ni ses plats préférés, ni le nom de ses parents, ni celui de son chien. Il avait encore un paquet de trucs à découvrir – sans oublier le pseudo chatroulette. Très important.
La mine pomme du stylo tapota la peau de sa main, pensive. Kai, hmm…

« Ça s'écrit U... R... STUPID. »

Louis le fixa méchamment ; devait y’avoir une blague là-dedans, et comme il parlait aussi bien anglais qu’une taupe ça lui passait au-dessus de la tête. Ahaha, ce qu’on se marre. Il gonfla les joues et voulut le poignarder à coup de bic pour l’empêcher de se moquer plus, mais un élan de maturité vissa un sourire crispé sur ses lèvres. C’est pas grave, Doc’. Tu vas découvrir tous ses sombres secrets et il se marrera moins.
Pour ce qu’il en savait, Kai aurait pu être un tueur en série dans sa vie d’avant. Il avait oublié un corps sur le feu avant de mettre le casque et il voulait à tout prix rentrer pour finir de le découper.

… Ouais non, en fait, c’était glauque. Il se faisait peur tout seul.
Aaaah, espèce de sale… caramel mou.

« Je te l'écris si tu veux. »

Ok, c’était complètement louche, ça.
Le premier réflexe de Louis fut de ramener le crayon contre sa poitrine avec une expression scandalisée de starlette. Le laisser l’écrire ? Et puis quoi encore ? Il allait lui marquer un truc débile, genre Ganondorf, et le laisser se débrouiller avec ça ! Il le connaissait, pas par cœur mais assez pour se méfier. Les hiboux sont des oiseaux nocturnes et vicelards.

Son second réflexe fut de reconsidérer la proposition. Il disait non, et ensuite ? Kai restait sur ses genoux à l’écraser et il était pas plus avancé que deux minutes auparavant. Il s’énervait, le virait, marquait Quaï sur sa main, la lavait et oubliait le nom. Aaaargh. Y’avait aucun bon débouché, là, pire que des études de lettres.
Alors malgré le danger, il lui donna le crayon.

« Si t’écris une bêtise je te force à mettre la jupe, hein. »

Ça n’allait pas l’arrêter, mais il l’avait prévenu. Qu’on ne vienne pas lui dire qu’il était moche et méchant, il était super prévenant.
Si l’autre hibou mal léché lui écrivait une bêtise sur la peau, c’était qu’il la voulait, sa foutue jupe. Rose à pois blancs, ou alors rose avec des sequins réversibles et une tête de chouette – woooow, trop cool, il allait falloir qu’il demande à Lou si ça se faisait, ça !

Qu'est-ce qu'il était gentil. Comme il était bon ! S'il ne répondait pas à ses questions, au moins se montrait-il docile par d'autres façons. Déjà, c'était toujours Kai qui dominait en plus. Comment ne pas être trop fier de lui ? Un pincement victorieux des lèvres et il attrapa délicatement le trésor du cher Morphine. Très très joli, il admira les couleurs pastels et tellement girly, jouant avec les boutons le temps de décider par quel ton il allait marquer la peau du petit français.

« Si t’écris une bêtise je te force à mettre la jupe, hein. »

Encore avec sa jupe, eh ? Ça sonnait presque comme un fantasme, là. Mais bien sûr, mon chou ! Kai fit un geste de la main accompagné d'un faux rire précieux en toute réponse à la menace. Comment pouvait-il croire un seul instant qu'il allait écrire une bêtise ? Lui ? Non, jamais ! C'était un adorable animal, le plus doux et serviable.
Arrêtant son choix sur le bleu menthe qui le représentait très bien, le canadien attrapa la main de Morphine et l'approcha de lui pour pouvoir y faire ses jolis traits. Il fit bien attention à faire croire qu'il dessinait des lettres. Un O, et un autre O et puis un petit v au milieu et un <, puis un autre inversé ... Et voilà une magnifique et mignonne chouette ! Comment ça c'était pas ce qu'il voulait ?
Avant qu'il ne puisse l'entendre geindre, Kai roula sur le côté en se tenant les côtes et riant à gorge déployée. Il avait lâché son prisonnier, mais il tenait toujours le stylo en otage de toute façon alors il se pensait toujours gagnant dans l'affaire.

« Hahaha, tu croyais vraiment qu'un hibou ça sait écrire ? »

Satisfait, il s'étala façon étoile de mer pour admirer le ciel et prit la pose d'une pauvre demoiselle en détresse :

« J'attends votre jupe, monsieur l'agent. Et mon chocolat chaud ! C'est que je commence à avoir soif, tiens. »

S'il ne pouvait pas dormir, qu'on le nourrisse au moins. L'heure du petit-déj', c'était quand d'habitude ? Il était quelle heure, en fait ? Bah ! Dans tous les cas, on le lui avait promis. Et en compensation, il pourrait bien commander des cupcakes en plus, non ? Parce qu'il le méritait.

Wow. Wow. L’humour était là et il était énorme – Louis sursauta presque en sentant le plaisantin rouler vers d’autres cieux, tellement mdr qu’on devait l’entendre depuis le monde réel. Il fixa un moment le joli smiley qu’il avait dessiné et referma la main, décidé à faire un tour chez Apricot pour trouver une foutue jupe qui aille à ce malotru. Une jupe bien moche, avec des sequins, et rose – parce qu’on ne lui demandait pas d’être à l’écoute des goûts des autres ; il ne connaissait que les siens.

En plus, Bubo ne méritait rien. Sale bête. Il en pleurait de la réglisse et ça faisait mal.
Ah non, zut. Kai.

Concentration, mon vieux, tu peux le faire. Et où était passé son crayon ?

« Hahaha, tu croyais vraiment qu'un hibou ça sait écrire ? »

« euh oui » fut sa réponse, lâchée sur le même ton qu’une blonde derrière un écran de TV réalité. Son espèce de chouette radioactive avait un cerveau et des pouces opposables, et donc aucun obstacle pour apprendre à faire autre chose qu’un dessin à la place de son nom. De toute façon, se fit remarquer Louis en levant les yeux au ciel à la mention du chocolat chaud, il avait son nom et il le lâchait pas. Il pouvait l’embêter autant qu’il voulait, lui foutre l’addition de toutes les gaufres possibles et imaginables à la figure, il en oublierait pas la sonorité.
Kai, Kai, Kai. Bouh.

Louis plissa ses yeux aux limites du physiquement possible.

« Tu me rends mon crayon ou t’auras même pas un petit lu, sale analphabète. »

Il soupira, agita ses jambes engourdies et se redressa tant bien que mal ; woh, ça tangue mon capitaine, qui a foutu le bateau à l’eau ? Il jeta un œil à la ronde, mais toujours aucun curieux en train de slalomer entre les potentielles particules mortelles de virus. Toujours flou dans sa tête, cette histoire, mais ça pouvait pas être si grave que ça, hein ? Les GMs avaient tout pouvoir, ils avaient qu’à éradiquer toute menace d’un simple claquement de doigts. Boom chica boom.

Le Doc’ n’y connaissait rien en informatique et son ignorance le protégeait des inquiétudes qui étreignaient certains autres joueurs. On s’éclate et puis quand ce sera fini, on reviendra. On cherche pas plus loin, et en rigooooole. LOL.

Il tendit la main à Kai pour l’aider à se redresser, pas trop rancunier.

« Ta jupe on ira la chercher chez Lou, et si ça se trouve elle sera assez sympa pour nous payer un chocolat parce que moi j’ai pas d’argent, là. »

Pas entièrement vrai mais bon – s’il faisait les yeux doux à sa vendeuse de vêtements préférée, peut-être que ça allait passer. Il était SMF et fier de l’être depuis le début de l’aventure, et il se sentait pas trop d’aller promener des chiens en guimauve juste pour que Kai puisse le dévaliser le jour d’après.

Sérieux, après toutes les cascades et les gamelles qu’il s’était tapé à cause de lui, c’était lui qui aurait dû lui payer la montagne de chantilly.
Tu parles d’un gros égoïste, wow.

Heureusement que les petites larmes de joie au coin de ses yeux ne lui cachèrent aucun instant de la réaction du français. Il s'en serait voulu, elle s'avéra phénoménale. Dommage qu'il n'avait pas d'appareil sur lui, il aurait accroché le tableau directement dans son salon avant d'en faire un tas d'exemplaires et de copies. Mais des jolies têtes de son petit chou à la crème rose, il sentait qu'il en aurait suffisamment et à d'autres occasions. Pas de soucis à se faire de ce côté là. Trop drôle.
Il venait de lui dire qu'il ne savait pas écrire et voilà l'autre qui te sortait des mots compliqués. Ananananaphalbète, eh ? La menace lui fit tirer la langue d'indignation et croiser les bras. Le stylo à présent coincé sous son aisselle, Kai ne comptait pas l'abandonner aussi facilement, oh ! Son petit cœur grognon se laissa cependant attendrir en voyant que le Docteur Morphine n'était pas venu vers lui pour le tabasser à son tour, mais pour l'aider à se relever. Okay, plutôt bon joueur. Presque étonnant, mais quand même agréable à noter. Lui-même se laissa donc faire et attrapa la main tendue pour retrouver les pieds sur terre. Woop !
Le temps de retrouver son équilibre, l'adolescent plaça son bras autour du cou de son prince charmant à la façon d'un vieil alcoolique sous l'emprise d'une petite vodka.

« Je te croyais aussi riche qu'un roi français. Mais okay, comme tu veux, chaton. Tant qu'on me nourrit ! »

Il n'en demandait pas beaucoup, hein ? Et il avait parlé de Lou. C'était LA Lou ? Apricot Tea de Crimson District ? Il supposait, étant donné que ça parlait vêtements et que la demoiselle tenait un magasin qui leur était dédié. Le monde était bien petit, s'il la connaissait aussi. Mais, d'un autre côté, elle ressortait bien de l'environnement de Crimson et devait donc être plutôt connue dans le coin. Le petit taré manipulateur qu'était Morphine avait dû être attiré par sa gentillesse et sa douceur aussi. Comme il avait à priori été attiré par celle du hibou. Oui, oui, tout à fait.
Voir Lou les accueillir et se faire demander de lui concocter une jolie jupe ainsi que de leur payer à boire n'avait pas de prix. Alors avec tout plein d'optimisme, Kai leva son bras libre où se trouvait à présent le crayon coloré et l'agita à la façon d'un bâton de majorette.

« GO, GO, GOOOooo ! »

Et on ouvre la voie. Sans ménagement, ils se tirèrent mutuellement jusqu'à la sortie du parc pour rejoindre l'île des petites canailles.