Rose avait passé une bonne demi-heure devant le miroir à se persuader qu'elle n'avait pas l'air ridicule : entre l'impression qui la tenaillait de trop en faire (ce n'était qu'une soirée, après tout, pas un bal mondain ou quoi que ce soit de ce genre) et celle, insidieuse, qui lui murmurait qu'elle risquait de s'habiller comme une clocharde, mademoiselle ne savait plus où donner de la tête et passait d'une tenue à l'autre sans pouvoir se décider. Celle-ci n'allait pas, celle-ci non plus, et son lit ressemblait à un chariot le jour des soldes. Pour en finir et ne pas être en retard au rendez-vous que lui avait fixé Done, elle avait enfilé une tenue qu'elle s'était juré de ne plus enlever. Croix de bois, croix de fer, fini, on y touche plus !
Raison pour laquelle elle s’admirait de pied en cap en murmurant des phrases d'encouragement, un peu comme une collégienne qui doit faire le premier pas et avouer à l'amour de sa vie qu'elle compte porter ses enfants dans un futur plus ou moins lointain ; ce qui n'était bien entendu pas son cas et si elle rougissait, c'était à cause du maquillage, promis juré.

« Je suis ridicule », souffla-t-elle en rajustant les pinces qui retenaient les tresses de son chignon réalisé avec soin durant l'heure précédente. Lui aussi, elle l'avait refait au bas mot trois fois, et n'avait pas été loin de tout laisser tomber et jeter les épingles par la fenêtre tant sa frustration atteignait des sommets... Himalayesques. Trop critique, Rose fit un tour sur elle-même, passant un œil sévère sur la jupe verte qui lui ceignait la taille, le pull blanc qui lui recouvrait les bras, le collant pailleté et les bottines crèmes qui terminaient cet ensemble sur lequel elle avait tant hésité. Et si elle ne faisait pas assez habillée ? Erh... Mais si elle se changeait et faisait trop habillée, hein ?

Aaargh, ça recommençait ! La jeune femme frappa ses mains l'une contre l'autre, se saisit de son manteau beige et avec plus de douceur, prit la boule en verre et le paquet enveloppé qu'elle cala contre sa poitrine, où son cœur jouait un tango désagréable. Super, maintenant elle avait l'impression d'être une gamine de treize ans qui se rendait à sa première boom.

Why so stressed ? Comme si elle ne le savait pas, tiens. Elle s'accorda le temps d'un dernier souffle et d'un dernier regard à son appartement avant de fermer la porte et s'enfuir dans la nuit sans demander son reste. Mieux valait courir sans se retourner ; sinon, elle était bien fichue de faire demi-tour, histoire de vérifier qu'elle n'avait pas oublié d'éteindre la lumière.
Alàlà, Rose, vraiment...

L'avantage avec la foule, c'était qu'elle la distrayait assez pour lui faire oublier tous ses petits soucis. Son regard papillonnant d'un visage à un autre, espérant accrocher celui de Done, elle se prit à penser que ce rassemblement ressemblait à n'importe quel autre ; elle n'avait plus l'impression d'être dans un jeu, menacée de mort subite à tout instant, et cela lui fit du bien.
Assez pour que, une fois Done repéré, elle ne se remette pas à zieuter sa tenue pour vérifier qu'elle n'avait pas disparue entre temps. Sait-on jamais, ça aurait été embêtant.

« Eh, bonsoir ! Il y a tellement de monde, j'ai failli ne pas te voir ! »

Mais si Rose était passée à côté de lui sans le voir, il l'aurait trouvée ; elle n'avait pas à s'inquiéter.
Plus facile à dire qu'à faire.

Rose, tu crains:

Ah, oui, en effet, il y avait vraiment beaucoup de monde. Tous se trouvant un peu n’importe où et s’agglutinant tant que mal dans les moindres recoins de la pièce … Certes, sa taille était assez impressionnante pour contenir  un large nombre de joueurs, mais même Done devait avouer se sentir un chouilla oppressé. Mais tout ce qu’il avait à faire était se focaliser sur sa partenaire et …
Il était vraiment très content de la voir.

« Du monde, en effet … Je surveillais l’entrée, pas trop loin, ça aurait été dommage que je te perde avant même que la soirée commence, pas vrai ? »

Il laissa passer un léger rire, tournant son regard vers la foule. En règle générale, le temps restait tempéré toute l’année … Mais juste pour la soirée, un vent glacé d’hiver ainsi que la neige qui va avec avait été accordée par les Dieux Game Masters. Du coup, fatalement, le froid avait occasionné une épidémie de manteaux et bonnets, d’écharpes et gants …
Il revint sur Rose dont le charme n’était plus à prouver. Il la trouvait toujours très belle et n’avait pas douté qu’elle le serait tout autant pour la soirée. Du coup, le fermier avait un petit moment fait tourner dans sa tête une formulation pas trop cliché de la complimenter … Car dire qu’elle était belle, là, pouvait sous-entendre fatalement qu’elle ne l’était pas en règle générale (ce qui était  plus que faux !).  Hu. Done ne voulait vraiment pas faire preuve de maladresse.

« On a tous sorti notre tenue d’hiver pour l’occasion … En tout cas, la tienne te va à ravir. »

Oui, voilà, quelque chose comme ça. Sourire rassurant, joues rosies qui espéraient qu’il n’ait pas eu l’air trop niais.

Encore un rien nerveuse, Rose s'accorda un regard circulaire à la foule qui l'entourait ; certains visages lui disaient quelque chose, mais la plupart se fondaient dans une masse grondante d'anonymes dont elle n'aurait pu dire s'ils étaient joueurs ou bien PNJ. Tant de temps passé à Euphemia, et encore tant d'inconnus au compteur... Il lui semblait qu'il en arrivait chaque jour un peu plus, mais c'était impossible, pas vrai ? Dehors, les précautions devaient se faire par centaine pour que plus personne ne touche à ces casques.
Et elle était là, à se persuader que cette soirée allait être formidable, comme si l'air qu'elle respirait était vrai et la neige réellement tombée du ciel. Mais s'il y avait bien un jour où faire semblant s'imposait, c'était dans ce genre de situation. Allez, respire et oublie, tout va bien se passer.

Dire que si elle n'était jamais arrivée ici, elle n'aurait pas rencontré Done. Le monde était vaste ; ce jeu ne l'était pas tant que ça, et il y avait pourtant moyen de se perdre de vue. Alors là-haut, là-haut...
Si seulement elle avait eu un GPS intégré, ce sixième sens que certains se vantaient parfois posséder ! Ils n'auraient plus eu à s’inquiéter de quoi que ce soit.

« On a tous sorti notre tenue d’hiver pour l’occasion … En tout cas, la tienne te va à ravir. »

La jeune femme fit de son mieux pour ne pas rougir bêtement. Difficile de croire sur l'instant qu'elle avait dépassé les vingt-et-un ans ; elle devait réagir comme la plus puérile des collégiennes. Désireuse de faire bonne impression, elle ne lâcha pas son sourire.

« La tienne aussi, répondit-elle bien que cela allait de soi (à ses yeux), j'avais peur de faire trop peu habillée mais... au final, je suis contente de ne pas m'être changée. »

Stricte vérité si l'on omettait la dizaine de tenues enfilées avant d'en arriver à ce résultat. Mais Done n'avait pas besoin de savoir. A dire vrai, elle en serait même morte de honte.
Rose sorti la boule de Noël de sa poche et regarda à nouveau autour d'elle avant de revenir sur les yeux de Done, qu'elle n'accrocha pas plus de quelques secondes :

« On doit bien accrocher la décoration au sapin, n'est-ce pas ? »

Il n'aurait plus manqué qu'elle se trompe dans le mode d'emploi. Si Rose le demandait, c'était qu'elle s'en sentait capable.
Elle avait été bien trop tête en l'air ces derniers jours pour se faire confiance.

« La tienne aussi. J'avais peur de faire trop peu habillée mais... au final, je suis contente de ne pas m'être changée. »

Done hocha la tête, compatissant, soufflant un tant mieux à son amie. S’habiller, lorsque de grandes occasions se présentaient, n’était jamais facile. Il fallait penser à tout, au moindre détail et ce dans le but de se montrer sur notre meilleur jour. Cependant, pour les deux protagonistes, la mission semblait s’être plutôt bien passée. De ce qu’il en avait vu, ses habits et les siens ne juraient pas atrocement avec la majorité de l’assemblée ; Rien de plus rassurant. Le regard des autres sur sa personne avait ce genre d’importance.

« On doit bien accrocher la décoration au sapin, n'est-ce pas ? »

Continua Rose, sortant l’objet de décoration qu’il tenait toujours dans sa main, pour sa part.

« Oui, c’est ça. Regarde, (désignant alors l’immense conifère du doigt) on est tellement nombreux que ça lui donne une drôle de tête, haha ! »

Tout Euphemia avait été convié, après tout. Et, mine de rien, ça en faisait du monde et des boules à accrocher. Le sapin se devait donc d’être assez grand pour soutenir toutes les boules mais, d’un autre côté, les invités ne l’étaient pas assez, eux, pour les accrocher plus haut qu’une ligne médiane. C’était conceptuel … Heureusement que ce n’était pas si moche. Peut-être que tout ça avait été calculé, au fond. Sans doute ?

« Allons-y, alors ? J’ai toujours la mienne aussi. »

Le jeune homme montra donc l’objet comme témoin, et attendit l’approbation de sa "cavalière" avant de se diriger tranquillement vers l’arbre … Lançant en passant quelques furtifs regards autour de lui. On ne savait jamais vraiment ce qu’il pouvait se passer au fond d’une foule aussi dense. Il suffisait parfois de pas grand-chose pour que tout bascule ; or, pour quelqu’un comme lui qui tenait à ce que sa soirée et celle de Rose se passe pour le mieux, il préférait rester attentif. Sans pour autant oublier de faire la conversation, au passage :

« Tu n’as pas eu trop de mal pour trouver ton vœu, toi ? »

Rose se permit un sourire à la vue de la jupe que l'immense sapin ornait fièrement ; sûr qu'il n'y avait que peu de personnes de deux mètres à Euphemia, et elle se voyait mal monter sur les épaules de Done pour pouvoir accrocher sa boule plus haut que toutes les autres. Tant que le pauvre sapin supportait son drôle de look et qu'aucun zigoto ne se décidait à faire une pyramide pour remplir un pari stupide... De géants, non, il n'y en avait guère : mais d'imbéciles ou d'adolescents immatures, ça...

Rose hocha la tête et emboîta le pas à son ami, non sans un regard furtif à la boule qu'il tenait en mains. Sur tant de personnes présentes, quelle chance pour que son vœu soit choisi ? Quel risque pour que l'heureux élu ait inscrit quelque chose de complètement stupide sur la sienne ? Elle mourrait d'envie de savoir ce que ses amis avaient pu formuler mais n'osait pas même demander le sien à Done. Et puis, songea-t-elle, un vœu n'en est plus un s'il n'est plus secret. Comme on souffle les bougies d'anniversaire bouche cousue, tout révéler gâchait la magie.
Et à Euphemia, entre magie existante et non existante, elle n'aurait pas non plus osé se prononcer.

Mademoiselle secoua la tête de gauche à droite avec un sourire. Si ce n'était pas l'exacte vérité, elle n'avait pas autant hésité que pour sa tenue. La honte la reprit momentanément, puis elle décide de la reléguer dans un coin de son esprit pour la soirée. Il n'y avait vraiment qu'elle pour s'en faire autant, alors qu'il n'y avait aucune raison pour que quoi que ce soit se passe mal. Ses vêtements n'allaient pas non plus modifier le cours de la soirée.

Elle n'était pas stupide ; pourtant...

« J'ai un peu hésité, mais pas beaucoup, au final. C'est sûr que lorsqu'on te demande tout à coup de choisir un vœu, tout en sachant qu'il pourrait être exaucé... »

Mais le génie dans la lampe avait sans doute ses limites, et peut-être que rien ne se passerait, au final. A en attendre trop, on risquait  fatalement d'être déçu.

La curiosité était là : qu’est-ce que Rose avait bien pu mettre comme vœu, elle ? Mais jamais, ô grand jamais il aurait osé le lui demander directement. En fait, il préférait même ne pas trop y penser, de peur de se faire trop intrusif. C’était personnel, après tout. Tout ce qu’il pouvait faire, cependant, était d’espérer égoïstement que ce vœu se réalise ; ou bien, au moins, que celui du grand veinard de la soirée ne s’avère trop préjudiciable aux autres joueurs. En vue des individus que composaient les habitants des différentes îles, tout restait possible. Mais alors, face à certaines demandes, comment comptaient réagir les Game Masters ?

« Oui … c’est sûr que ça peut sembler un peu trop beau. »

Il ne fallait pas douter que certains avaient demandé un billet direct pour sortir du jeu. Cependant les chances qu’un tel souhait se réalise semblaient bien minces aux yeux de l’américain. Ne jamais oublier de lire les petits caractères. Verity n’avait pas l’air d’être du genre mesquine, mais bon. C’était toujours Father le patron. C’est lui qui gardait l’entière emprise de son univers. Alors en changer quelques règles ou les réadapter selon son bon vouloir …

« Je ne pense pas avoir trop hésité non plus … »

Faux.

« Je ne crois pas vouloir quelque chose en particulier … ou bien je doute que ce que je voudrais soit juste réalisable, alors autant faire simple, haha … »

Et pour arriver à finalement former des lettres sur sa boule, Done avait dû s’embarquer malgré lui dans un cheminement de questionnements personnels. Faire le point, ce genre de choses … Ce qui avait pris beaucoup plus de temps qu’une brève hésitation. Tu réfléchis trop, respire, se disait-il sans cesse … Mais rien à faire.

« Enfin, déjà il faut qu’on soit tiré au sort, hein ! »

Finit-il, rieur.
Et ça, c’était pas gagné d’avance, en effet. Le principe d’une loterie, quoi.