Louis était un pro des jeux de plateforme ; il allait leur arriver un truc en tentant l’ascension, c’était gros comme le nez de Chirac au milieu de la figure. Ce truc devait être bourré de pièges en tout genre, et c’était pas l’escalier qui allait lui dire le contraire, hein. Tant que le décor leur refaisait pas le coup des montagnes russes sans prévenir, tout lui allait.
Booon, peut-être pas se faire dévorer par un requin ou un crocodile en caramel fondu. Il tenait à son corps de rêve. Mais les flèches en pâte d’amande, il devait pouvoir les esquiver – ou ouvrir grand la bouche pour les dévorer. CLAC.

Indiana Jones aurait eu moins peur dans un temple en pain d’épice. Même maudit, le pain d’épice.
Une fois vaincue, la sorcière chez Hans et Gretel n’était plus qu’une vieille femme hystérique. Et cannibale. Maiiiis détaiiiils.

Il était pas en sucre d’orge, il allait tenir le coup.

Marin aida son adjoint à se hisser sur la plateforme, parce qu’avec ses petits bras en gelée c’était pas gagné. Une fois ses bottes roses bien calées sur le sol inégal, il jeta un regard à la piscine en contrebas. Wooow. C’était haut, ils avaient vraiment fait tout ce chemin ? Ses jambes protestaient à retardement, là, et dire qu’il restait encore pas mal de niveaux à franchir !
S’avouer vaincu ? Less likely than you think. Le Doc’ était un enragé à sa manière, il ne laissait jamais tomber. Il voulait rendre Indiana Jones et le professeur Xavier fiers de lui.

« Je me demande s'il traîne vraiment ici. Ou bien il se la joue Dieu créateur de niveau et nous on est les rats de laboratoire qui testent le produit fini. »

Oooooh. La remarque de Marin lui donna matière à réfléchir ; les petits engrenages de son cerveau malaxaient du beurre demi-sel. Il avait aucune idée de ce qu’Euphory pouvait faire de son temps libre. C’était un GM, les limites ne s’appliquaient pas à lui, il était au-dessus des lois. Il pouvait attirer les joueurs dans son antre et les dévorer ensuite, personne aurait trouvé quoi que ce soit à y redire. Les victimes étaient déjà au fond de son estomac virtuel.
Mais c’était pas bête, comme théorie. Vu qu’apparemment, de ce qu’il en savait, son beau château était un peu ouvert à tout le monde.

Comme un groooos parc d’attraction – avec des niveaux secrets.

Louis approuva le coup d’état de son amie d’un hurlement qui se voulait aussi viril que Tarzan mais se termina sur un couinement de Cheeta quand la plateforme se mit à bouger toute seule. Accroché à Marin pour ne pas glisser et revenir à la case départ (ou se péter la nuque contre le sol), Louis laissa le paysage défiler sous ses yeux. Des couleurs, des couleurs, encore des couleurs, une orgie de couleurs – et des motifs qui se fondaient les uns dans les autres comme s’ils avaient été passés au mixeur. Quand il secouait la tête, tout reprenait sagement sa place.

Ça lui faisait mal mais nom d’un nougat, ce que c’était cool.

« Il va nous remettre une MÉDAILLE à la fin, tu verras. Je suis sûr que si on va au bout du parcours on gagne un truc. »

Logique ; c’était comme ça dans les jeux vidéo, alors pourquoi pas ici ? Ils étaient dans un jeu vidéo. Si on leur faisait pas couler de l’or métaphorique sur la tête, il allait taper à la porte du donjon de Father pour réclamer son dû.

Leur moyen de locomotion en percuta un autre et il lâcha prise, le cul contre le riz soufflé. Il leva la tête vers la seconde plateforme multicolore.

« Oooh, je crois que notre correspondance est arrivée ! »

Vu que celle-là avait pas l’air de vouloir les mener direct au septième ciel.

Miranda voulut pousser un cri énergisant elle aussi, mais fut arrêtée comme son jeune ami à coup de parcelle pas bien stable. Pourquoi dans les jeux les montées semblaient plus douces ? Peut-être parce qu'ils n'étaient pas censés être trop réalistes. Et que dans Euphemia ils adoraient ça, le réalisme. Saupoudré de lac de gelée, de train qui vole et d'animaux hybridés avec des sucreries, bien entendu. Réalisme.
Dans tous les cas, les aventuriers restèrent ainsi accrochés l'un à l'autre le temps de leur ascension tranquille. Une vraie partie de plaisir comparée au crawl et à la gymnastique sur l'échelle. Très certainement que ça signifiait rien d'autre que le calme avant la tempête, mais il fallait savoir apprécier ce que le temps présent avait à offrir.

« Il va nous remettre une MÉDAILLE à la fin, tu verras. Je suis sûr que si on va au bout du parcours on gagne un truc. »

Pas sûr, s'ils détruisaient tout mais, eh ! Pourquoi pas. Après tout, ça devait bien compter comme un succès d'arriver aussi loin. S'il y avait bien une médaille, elle la dédierait à toute sa famille qui l'attendait de l'autre côté du cyberespace puis la mettrait elle-même autour du cou de son petit prince bisounours aux mèches roses. Il le méritait bien, c'était un si vaillant soldat. Leur réussite pourrait sûrement leur faire prendre de niveaux et ils auraient accès à d'autres trucs cools ? La jeune femme n'en savait trop rien, mais elle avait beaucoup entendu parler de zones et d'objets bonus qui venaient qu'avec un certain niveau. Les gens n'en parlaient pas trop, malheureusement. Personne n'avait encore pris la peine de partager un guide intéressant sur la question. Mais où était passée la solidarité entre joueurs. Bien loin, mon capitaine.
Mais si ce n'était pas une médaille qu'ils obtenaient, Miranda espérait au moins que ce ne soit pas quoi que ce soit de sucré. Elle en avait bien soupé pour dix ans, là.
Les nouvelles secousses, plus violente, les arracha de leurs rêves de gloire pour retourner à la dure réalité psychédélique. Miranda réussit à garder son équilibre, contrairement à Morphine, et elle l'aida donc sans attendre à se relever pour poursuivre ce qu'il appelait leur correspondance avant qu'elle ne se fasse la malle sans eux. Ni une, ni deux, la jeune femme le poussa sans ménagement et rejoint à son tour le nouvel ascenseur en riz soufflé et enrobé de chocolat pour changer. Autre chose, cette fois ils ne montaient plus mais suivaient une ligne horizontale. Miranda plissa les yeux pour mieux constater qu'ils faisaient bonne route. Si les jets de petits fours et de tartes à la crème étaient encore éloignés d'eux, les rails serpentaient à leurs côtés et, en un saut et l’allégresse d'un singe, Miranda alla s'y accrocher non sans laisser échapper un cri de surprise. Les rails avaient la consistance du réglisse, bien loin de l'acier de l'échelle qu'ils avaient eu le bonheur d'essayer plus tôt. Avec une telle prise, elle n'était pas sereine sur sa capacité à monter dessus sans tomber. Son regard se plongea vers le vide sous pieds, puis sur Morphine qui s'éloignait de plus en plus.

« Je crois que j'ai pas eu l'idée du siècle, là. »

Sa plainte vacillant entre le rire et tout de même une once d'inquiétude, la fille Simon fit chauffer ses méninges pour trouver une solution à son problème d'intrépidité. On lui avait déjà dit que ça rimait avec stupidité.

Hissé sans ménagement sur le chocolat et sans avoir eu le temps de hurler « ADRIAAAAN », Louis s’agrippa à leur radeau de fortune pour éviter que les cahots ne le jettent par-dessus bord. Il lança un regard ahuri à Marin, puis soupira bien fort. Woooouh, elle était pas de tout repos, cette aventure ! Ça paraissait plus facile sur l’écran d’une DS, il allait pas mentir. Mario racontait jamais combien il en avait plein les pattes de traverser tout le royaume et quatre ou six égouts pour sauver cette foutue princesse pas capable d’assommer Bowser avec son parasol. Il aimait bien Peach, mais elle aurait pu faire un effort – hein, entre nous.
D’ailleurs si y’en avait un des deux qui devait enfiler une robe, ça allait être lui. L’amiral était bien trop badass et viril pour ça, en plus il aimait le rose. Sans rancune, princesse.

Morphine se redressa lentement sur ses jambes, aux aguets. Le moindre choc et il repartait piquer une tête dans la piscine de gelée, et il y tenait moyennement. Le sucre lui collait toujours aux vêtements, et sa peau le suppliait d’y faire quelque chose avant de fondre sous l’attaque du saccharose diabolique. Rrrrh, nom d’un nougat, c’était vraiment désagréable. Mais pas moyen de couper l’aventure pour faire sa chochotte, il allait supporter la torture comme un vrai bonhomme. Faire honneur à sa race et sa lignée, à tous ceux qui avaient péri avant lui.

Il plissa les yeux et chercha quelques squelettes sur les murs. Ils pouvaient pas avoir été les premiers à trouver ce passage secret, si ?

Si ?

Le saut de Marin déstabilisa la plateforme et arracha un cri aux tripes d’un Louis surpris. A nouveau face contre terre, il regarda la jeune femme pendue aux rails s’éloigner sans aucune pitié.
Oulà. OULA. C’était pas prévu, ça ! Pas avoir eu l’idée du siècle, c’était un euphémisme ! Catastrophé, il s’aplatit un peu plus pour tenter d’agripper les rails et stopper son carrousel infernal, mais ses bras étaient trop courts. Aarrrgh, sainte mère des pâtes d’amande, ils étaient encore au niveau 1 et ils avaient déjà des ennuis. Ils allaient pas arriver loin, à ce stade.

« Okkk, panique pas, lui cria-t-il depuis son radeau de la méduse en perdition, je vais trouver un truc ! »

Faire le tour, en dernier recours – mais il aurait aimé pouvoir arrêter ce truc avant de faire un tour d’horloge complet. Elle allait pas se tuer si elle tombait, mais…
C’est pas la fin des haricots, Louis, on respire. Et on sourit.

Il gonfla la poitrine et jeta un œil en l’air ; un rail lui passait juste au-dessus du crâne. Avec un peu de chance, la plateforme allait comprendre le message et faire demi-tour. On croise les doigts, amiral.
Il agrippa le rail vert pomme et pria Jésus, Bouddha et Allah pour que son véhicule ne se barre pas sans lui et le laisse pendu dans le vide comme un abruti, parce que ça n’aurait pas du tout arrangé leurs affaires. Pas la peine de jouer les miroirs et pleurer en chœur, c’était à lui de faire un truc. Il était l’homme de la situation.
Le héros national, qui avait fermé les yeux face à tant de pression et pour ne pas voir la vérité en face, les rouvrit une fois qu’il s’aperçut que son bateau n’avait pas pris l’eau. Ouf. Un bon point. Il se tourna vers Marin, sur la pointe des bottines, et lui adressa un signe de sa main libre.

« J’arriiiiive enfin j’essaye. Prie pour moi. »

Prie le dieu spaghetti bolognaise de m’épargner les pelletées de tartelettes sur la tronche. Avec un soupir gros comme une montagne, il entreprit de faire avancer la plateforme en sens inverse en s’accrochant aux rails au fur et à mesure. C’était pas le plan le plus intelligent du monde, vu qu’il allait forcément devoir lâcher prise vu la hauteur, sans compter que le train pouvait lui passer sur les doigts à tout instant, maiiis…

Mais c’était un plan. Et c’était déjà bien, vu tout le sucre qu’il avait inhalé par mégarde cette dernière heure.

Tout en essayant de se balancer pour prendre la pose du paresseux sur sa branche, Marin alias Miranda ou l'inverse un peu trop aventureuse se dit qu'heureusement qu'elle portait un pantalon. Les jupes ne la gênaient pas pour courir, ni pour grand chose, mais ça aurait quand même rendu sa situation bien plus difficile. Et puis s'imaginer flottant dans la gelée un peu plus tôt ... Ouf ! Enfin, bon, elle abandonna et sentit la force dans ses bras déjà fatigués lui supplier de tout lâcher. De toute façon, même si elle avait réussi à changer de position, la situation aurait été la même et elle n'aurait pas su quoi faire ou aller ? Ramper sur les rails jusqu'à ce que le petit train arrive la récupérer ? Plutôt l'écraser, oui. Parfois, l'improvisation ne permettait pas tous les miracles. Mais les petits princes, un peu plus.
La jeune femme suivit du regard les faits et gestes du Docteur Morphine qui tentait de lui porter secours. Son petit cœur fut touché, et bien entendu qu'elle allait prier ! Dieu à qui elle ne faisait coucou que pour certaines occasions. Elle se disait qu'il ne devait pas lui en vouloir, mais quand même. Mais au moins avec tous ces gens qui allaient à l'église, il ne pouvait pas se sentir seul ? Dans tous les cas, ses yeux s’agrandirent lorsqu'elle vit l'extraordinaire se produire.

« Wah, t'es un génie, bravo ! »

Cria-t-elle en évitant d'extérioriser son excitation et agiter de trop les rails qu'utilisait le jeune garçon pour se tirer vers elle. Qui aurait cru que ça marcherait ? Comment ça pouvait marcher ? Peu importait, il arrivait, et c'était bien tout ce qui comptait. Miranda n'allait pas finir en omelette sucrée et utilisa ses forces restantes pour encourager à la façon d'une cheerleader l'avancée de son prince-co-équipier-matelot-compagnon-aventurier préféré. Le train était encore loin, il avait le temps.
Lorsqu'il se fut suffisamment approché, Miranda tendit les jambes et remonta sur la plateforme dans un bruyant et long soupir de soulagement. Ses bras tremblants se tendirent vers le petit bonhomme qu'elle réussit quand même à enlacer avec la force d'un ours.

« Tu m'as sauvée, wouuh, merci ! »

Elle resta là un moment, frottant sa tête dans les cheveux à présent décoiffés du Docteur puis accepta de le lâcher quand elle entendit la cloche du petit train qui s'approchait finalement. Comme elle était plus grande, elle n'eut pas de mal à attraper les rails et diriger la plateforme à la place du garçon.

« Repose toi, je prends la suite. »

Plus que jamais heureuse d'être en vie, pouce en l'air et grand sourire à son prince chéri, Miranda prit littéralement les choses en main et continua à suivre la route qui avait été commencée. Elle avait repéré un peu plus loin une espèce de cumulonimbus en marshmallow qui leur permettrait de prendre de la hauteur et, à priori, de sauter ensuite sur la locomotive. C'était ce qu'elle imaginait, en tout cas. Encore fallait-il qu'ils tiennent sur le dit nuage.

« Tu peux voir si on peut tenir dessus ? On pourra essayer de monter sur le train si c'est possible ! »

Presque presque prrrresque…
Louis ne se souvenait pas avoir été un jour aussi déterminé à faire du sport, à part peut-être pour le cross du collège en cinquième où la récompense était une pile de bonbons (ironique, oui, mais il s’était pas fait prier). Là, les enjeux étaient un brin plus importants mais l’effet était le même : l’adrénaline. La sueur. L’effort du conquérant. Le gros soupir qui lui dégonfla la poitrine quand il récupéra son commandant et qu’elle l’empêcha d’aller se planter les dents dans la plateforme. Sobs. Tout est bien qui finit bien, le Titanic mais en vachement mieux : il avait toujours trouvé ça naze que Jack meurt à la fin. Paye ton happy end, James Cameron. C’est vrai, quoi, les pauvres ! Ils avaient déjà souffert, qu’on les laisse faire des bébés et vivre vieux.

Marin arrêta de l’étouffer comme on étouffe son ours en peluche et il passa deux mains pleines de sucre dans ses cheveux. Ew. Ok, la douche s’imposait à la sortie du donjon. Euphory avait intérêt à avoir prévu un jacuzzi pour les aventuriers intrépides. C’était le minimum syndical.
Le « repose-toi » n’entra pas dans une oreille pour ressortir par l’autre. Il se laissa tomber le cul à terre avec un râle de sportif de haut niveau en travers de la ligne d’arrivée. C’était dur, ok ? Il avait pas la stature d’un militaire et ses doigts tremblaient encore à cause de la pression ; personne risquait de mourir mais quand même. Il était un être sensible et impressionnable, il voyait Marin pendre à des rails en réglisse et c’était la fin du monde. Un cri de désespoir dans la nuit. Le capitaine du Titanic face à l’iceberg, tiens.

Nom d’un chou à la crème, Cameron le poursuivait. Il refusait de laisser leur aventure se conclure sur un « blop » sucré, le « blop » étant eux qui se ramassaient dans la gelée et revenaient à la case départ. HORS DE QUESTION. Ils allaient prendre ce train et accéder au niveau suivant.

Tiens, en parlant de la locomotive…

« Tu peux voir si on peut tenir dessus ? On pourra essayer de monter sur le train si c'est possible ! »

Louis se redressa avec un regard sceptique au morceau de barbe à papa céleste. Ça avait pas l’air super solide, mais ils comptaient pas ouvrir une baraque à glaces dessus ; ça devrait le faire.
Il continua de se répéter que « ça devrait le faire » tout en escaladant le marshmallow. Comme prévu, la stabilité était douteuse mais le gros machin semblait pas décider à leur faire un coup de tour de la terreur sans prévenir. Les doigts plantés sur la surface collante, il adressa un signe à Marin, pouce et index en « o » de la victoire. Le o de « oooooui ».

« Ça gère, amiral, on peut monter dessus ! »

De là où il était, en tout cas, rien ne s’était transformée en sables mouvants.
Ils grimpaient vers le haut comme des pros – personne n’allait reparler du petit incident des rails. Personne.

Father en personne ne lui aurait rien tiré, même avec tout son rimmel de shojo gothik princess.

Miranda était ravie d'avoir le Docteur Morphine comme co-équipier. Est-ce que d'autres seraient venus à son secours comme lui l'avait fait ? Est-ce que d'autres auraient seulement fait tout ce chemin à ses côtés ? Pas sûr. Rien que d'entrer dans le château façon voleur, fallait déjà être un petit fou dans l'âme. Alors prendre la première porte sombre menant vers l'inconnu pour ensuite garder un haut taux d'optimisme pendant des épreuves éprouvantes ... De plus en plus particulier. Mais leur aventure était loin d'être terminé, tout pouvait encore arriver.
La jeune fille imita le geste de son compagnon avec un large sourire avant de prendre une grande inspiration et de lâcher les rails. La plateforme n'attendit pas son départ pour commencer à retrouver son itinéraire normal, mais la brunette fut assez rapide pour rejoindre le nuage marshmallow sans encombre.
Pfiou. Son soupir sonore fut masqué par les sifflements du train dont l'approche semblait imminente. Pas le temps de se reposer, alors ? Ses bras voulaient protester, mais l'adrénaline leur sommait de puiser encore un petit peu dans les ressources qu'il leur restait. Ils se reposeraient quand ils seraient morts. Ou au moins en sécurité. Elle imaginait bien que Morphine aussi devait être autant - si ce n'était plus - fatigué qu'elle avec son opération sauvetage effrénée. En sa qualité d'adulte responsable, elle pourrait proposer de s'asseoir un instant sur le dodu nuage qui gigotait sous ses pieds ... Mais elle n'était pas sûre non plus que si ce tour de train n'était pas le dernier. Ou que le nuage resterait en position encore longtemps. Pour peu qu'elle en savait, il pouvait se désintégrer à tout moment. Non, tout irait bien. Ils avaient la force, ils avaient le courage. Si l'un d'eux tombait, l'autre le soutiendrait avec vaillance. Mais, en attendant, aucune raison d'abandonner.
Préservant son souffle, elle grimpa la montagne de sucre volante avec le garçon et attendit avec lui l'arrivée de leur taxi personnel. Ils n'avaient donc plus qu'à se tenir prêt à sauter pour l'atteindre lorsqu'il se trouverait à la bonne distance. Le regard conquérant, à l'affût de la fumée rose et parfumée de la locomotive, elle lança pour patienter :

« C'est quoi ton vrai nom, Doc' ? Moi, c'est Miranda. »

Pas bien différent de son pseudonyme, en même temps c'était censé être un nom de plume. Un anagramme de ses nom et prénom pour appeler une autrice de fantaisies sur internet. Elle n'était pas allée véritablement loin.

Louis malaxa un instant la guimauve, les pieds plantés dans le sucre pour éviter de se manger les rails en réglisse et la piscine de gelée dix mètres plus bas. Il était presque tenté d’en arracher un bout avec les dents pour voir, mais ses réflexes de héros de RPG l’en empêchèrent juste à temps. Il était pas stupide, et il avait de l’expérience en tant qu’aventurier et game master ; on touche au festin et direct le piège s’actionne. Fallait pas le prendre pour un dragibus. Euphemia était un énorme MMO sur pattes, il avait le droit de se méfier.
Avec un petit « ew » dégouté envers tout le sucre qui lui collait aux paumes, il attendit que l’amiral le rejoigne et posa les fesses sur le nuage – de toute façon, ses fringues étaient fichues. Il allait sortir de là tout gluant, du genre à filer du diabète rien qu’à serrer des mains. Au moins, la peste avait bon goût.

« C'est quoi ton vrai nom, Doc' ? Moi, c'est Miranda. »

Le Doc’ cessa de lécher ses doigts pour se tourner vers elle, un peu surpris. Il lui avait pas donné son nom ? Qu’est-ce qu’il était malpoli, zut alors ! Tout s’emmêlait un peu, ici, il oubliait souvent à qui il avait filé son pseudo et à qui il avait débité son CV – vide, mais son prénom et son nom de famille étaient sexy. Ça suffisait.
Tout en surveillant les rails du coin de l’œil, il lui répondit avec bien trop d’enthousiasme pour ses petites cordes vocales à l’agonie :

« Miranda ? C’est cool ! Moi c’est Louis. Louis de Bonvouloir. Super french. »

On fait difficilement plus français, dixit ses cousins américains. Alors que pfffft, hein ; il aurait pu s’appeler Gérard Depardieu. Ça, c’était pire.
Un sifflement et un relent de pomme à la vapeur éclatèrent brutalement ses pensées. Il se releva en trombe, manquant de piquer une tête dans leur maudite piscine et se rattrapant de justesse au nuage à pleines mains. Fiou. Il avait eu chaud. Un pas de plus et il se prenait le vide. Il aurait plus manqué qu’il loupe le train à deux centimètres du but, quoi ; la rage.

La locomotive apparut au tournant, vida sa cargaison sous leur nez et reprit son petit bout de chemin jusqu’à eux. Genoux fléchis, plus concentré qu’il ne l’aurait été au brevet, Louis lâcha d’un ton conspirateur qui n’avait rien à faire là :

« Ok. On y va. C’est le moment. A la une, à la deux… »

Et sans laisser à Miranda le temps de se demander s’ils étaient censés sauter à deux ou à trois, il se lança dans le wagonnet avec la grâce d’un Magicarpe en pleine saison des amours. Il s’égratigna les jambes et atterrit tête la première dans un reste de gelée à la framboise, mais le niveau était franchi et il se mit sur les genoux avec un cri de guerre.

« AHA ! ON A RÉUSSI ! »

Et puisqu’il ne savait pas si tout était stable ou risquait de chavirer au moindre faux pas, il se calma immédiatement. Pas besoin de faire naufrage, on sait comment ça se finit. Titanic, tout ça.
Même si, dans le cas présent, ils risquaient plus de dérailler que se prendre un iceberg.

Avoir réussi à monter dans ce train à la nougatine avait vidé ses poumons d’une bonne tonne de ciment. En plus d’avoir passé l’examen de super aventurier (Indiana Jones pouvait trembler et remballer son petit fouet), Louis pouvait reposer ses jambes et ça, ça faisait du bien. Courir un peu partout et sauter sur les murets, ça le connaissait, mais se mettre à l’escalade hardcore d’un claquement de doigts…
Ben c’était pas une vachette de bonne idée, hein. Il avait testé et il détestait. 0/10, fun juste sur le moment et tous les regrets le lendemain.

Quoiqueee. Ils avaient pris possession du parc d’attractions secret d’Euphory, y’avait rien à regretter. Ou de son dépotoir à friandises, mais c’était quasi la même chose aux yeux de Louis.
Tout le sucre qu’il s’était foutu dessus, quoi. Dix minutes de plus et il se transformait en baba au rhum.

Quant à son amiral…

« Les épreuves ne sont pas finies, jeune prince ! »

Sans pouvoir commenter sa barbe chantilly de Père Fouras à cause du son de cloche (très littéral) qui lui vrilla les tympans, Louis jeta un œil tout rond au tunnel qui approchait et menaçait de les engloutir. Ohoho. Ok, ils allaient pas vite et y’avait de la place pour se coucher à l’aise, mais quand même. C’était carrément un truc de film d’action, ça ! Et comme il avait son diplôme, pas besoin de s’inquiéter. Ils se baissaient et ils passaient le tunnel et ils atterrissaiiiient…
Dans la fabrique à confiseries de tout le pays – logiquement. Mais à Euphemia, Louis n’aurait pas été choqué de débarquer directement chez Father. Tuut tuut, terminus, château de Dracula, tout le monde descend !

Ils allaient devoir faire gaffe à pas se faire transformer en papillotes sur le chemin.

« Pas de problème, s’exclama le Prince de Lu bien fort pour couvrir le bruit d’un énième crachat de fumée à la pomme, je gère ! »

Il attendit qu’un panneau « danger » lui tape un check pour baisser la tête et s’étaler dans sa gadoue à la fraise, juste pour le thrill. Yeux fermés, il ne les rouvrit que lorsque des petites lumières se mirent à clignoter sous ses paupières. Uh ? Sans se redresser (il tenait à sa tête !), Louis roula sur le dos et admira le plafond du tunnel, percé d’étoiles roses, vertes, bleues, jaunes…. Un vrai diaporama avec constellations en prime. Il se sentit sourire, puis perdre immédiatement la face quand le wagonnet se mit à prendre de la vitesse et à plonger littéralement vers sa destinée. Il hurla un coup, toujours pas fan de la vitesse, agrippé à tout ce qu’il pouvait toucher et persuadé de tomber mon dieu ce truc n’était pas homologué pour des être humains, et si –

Et tout à coup la lumière du jour et une montagne de gelée et de tartelettes sur la figure.

« AAAAAH ! »

Son cri se perdit dans un « hudjkrlm » humide et une paire de bras qui jouaient les ventilateurs pour se débarrasser de toute cette masse sucrée qui lui pesait sur la nuque. Il retirait ce qu’il avait dit, il allat être vacciné des pâtisseries pour AU MOINS trois jours.

Il décela les notes d’une musique inconnue, un peu perdu.

On est où, maintenant ?