✗ On a tous un passé :

Il tourne sur son siège, sans paraître réellement préoccupé par la question. Pourtant, son regard a perdu l’éclat magnétique, moqueur, qu’il arborait depuis le début du processus d’enregistrement. Il ne dit rien. A quoi est-ce qu’il pense ?
A sa naissance ? Dix huit ans plus tôt, à Nara, ancienne capitale du Japon ? A son enfance fragilisée par un père immature, qui rompt avec sa mère, qui ne paie pas la pension alimentaire, qui accumule les dettes, et qui se fait une figure paternelle absente et dépravée ? A son intégration difficile avec le monde qu’il comprend mal ? A sa violence très tôt découverte ? A la première fois où il a frappé un professeur ? A son premier virement ? Son second ? Son troisième ? Son centième ? A cette fille qui a voulu coucher avec lui, à la fin du cycle primaire ? A ce sang qui a coulé sur sa joue quand elle l’a griffé, parce qu’il a refusé ? A ce plaisir sexuel, sauvage, bestial ? Cette attirance quasi masochiste pour son propre corps ? Sa recherche d’un équilibre parfait entre son intellect devenu trop insupportable pour les autres, et son corps encore trop fragile ? Ses combats des rues, l’argent gagné, les premières, et dernières, puisque rares, drogues essayées ? Puis, ce club de nuit. Les hommes nus, les corps chauds contre sa peau, et ses premières vraies expériences sexuelles. Une sorte de timidité par rapport à ça. Sa seule vraie faiblesse. S’offrir à l’autre. Mais indubitablement, il a aimé ça. Et le café. La découverte du café. Le vrai café. Celui qu’on boit par dix litre le jour, par soixante dix litre la semaine, ces maux de tête, cette suraccumulation d’absence de sommeil ; ses sens activés par une recherche intellectuelle. Une frustration scolaire profonde : un désintérêt complet au mode de vie japonais. Le sang qui coule lors des combats des rues. Son plaisir masochiste, ses hurlements de joie en découvrant ses lèvres explosées par un coup de poing. La terreur de ses adversaires face à ses réactions pulsionnelles, sexuées. La fuite. La solitude. La solitude. Constamment.
Ce sms.
Un choix.

Celui de devenir un joueur dangereux pour les autres.

✗ Ton arrivée à Euphemia et ta réaction :

« Je ne sais pas ce qui m’attendais là bas. Je sais juste que je ne voulais plus vivre de la façon dont j’avais vécu en looser à Kobe. Je refusais de redevenir ce rat noir, sanglant, à moitié crevé que l’on abandonne dans le caniveau parce qu’il ne correspond pas aux normes sociales. J’avais cette idée un peu ridicule. »

Ses phalanges jouent un rythme irrégulier contre le rebord du fauteuil.

« Mais en appuyant sur « oui », j’ai changé d’avis. J’ai décidé de devenir l’encyclopédie de ce que je ne serais jamais. L’Humanité. Je veux comprendre les humains, désormais. »

Il immobilise ses mains, bien à plat.

« Complètement. »